samedi 26 février 2011

C'est peut-être mieux comme ça (le coconut carrot cake qu'elle ne goûtera pas)


(Billet commencé jeudi soir, aux alentours de minuit)
Je rentre tout juste de Kontakthof dont c'était la première, ce soir au TNB.
J'étais au cinquième rang, sur la gauche, en face du cheval mécanique qu'enfourche avec une tristesse froide une jeune fille en robe violette qui avait demandé pour cela quelques piécettes à des spectateurs timorés.
Je porte une robe à manches courtes mais j'ai quand même très chaud, je cache mon argentique sous le trench posé sur mes genoux.
Ma voisine fait la conversation et j'acquiesce poliment: est-ce que j'ai vu le documentaire, est-ce que je suis abonnée au TNB, qu'est-ce que je fais dans la vie (là, elle a pris un air très étonné*), et ça me plaît ce que je fais dans la vie, est-ce que je sais qu'il y le même spectacle joué par des seniors, mais quand même ça doit être moins bien, c'est vraiment pas le même public que d'habitude, le décor est vraiment magnifique, on a de la chance d'être bien placé.
Elle m'apprend qu'elle a abandonné des études de biologie pour commencer un cursus d'arts du spectacle, parce qu'elle a mis du temps à admettre qu'elle était plutôt littéraire.
Et puis heureusement, le spectacle a commencé.
Au début, j'étais un peu décontenancée, il y avait beaucoup d'attente de ma part (sachez que pour avoir ma place, j'ai stagné une heure et demie devant la billeterie spécial étudiants où quatre pauvres places étaient disponibles pour la vingtaine de filles à lunettes carrées qui les convoitaient derrière leurs grands verres) et j'étais un peu angoissée, j'avais peur d'être déçue. Ce fut un peu le cas au début quand j'ai constaté que le rôle principal n'était pas tenu par Joy, cette grande fille diaphane qui m'avait tellement plu dans Tanztraüme, mais par une petite brune qui n'avait pas du tout sa fragilité particulière et magnétique.
J'ai quand même été très vite happée par la grâce et le rythme du spectacle, frais et enlevé, et si triste aussi, parce que j'ai l'impression qu'il n'y a que des rencontres ratées, des amours manquées, des rendez-vous violents, des caresses maladroites. J'ai été très émue par leur salut final, heureux et épuisé.
J'ai trouvé que le public était injustement glacial et pincé alors j'ai vite filé dans la nuit pour ne pas entendre les conversations désagréables de sortie de spectacle.

A la maison, j'ai grignoté du cake au chocolat et au citron en repensant à cette façon si particulière qu'ils avaient de se toucher le lobe de l'oreille ou une mèche de cheveux.
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Un samedi, je me suis dépêchée de foncer à la librairie avant qu'elle ne ferme et que je me retrouve en rade de roman pendant le week end (et donc contrainte à finir un des livres que j'empile sur l'étagère maudite et honteuse, par exemple la vie d'Harold Pinter par Antonia Fraser, commencé sur la plage à Biarritz, laborieusement poursuivi dans l'avion qui allait en Suède puis lamentablement oublié au fond de la valise pour cause d'agacement prononcé).
Je n'avais pas d'idées précises en tête, j'aurais bien aimé quelque chose d'aussi délicieusement écrit que les magnifiques textes d'Hervé Guibert sur la photographie que je lis avec fascination et émotion un peu chaque jour.
Alors que je parcours les étagères de littérature étrangère, la gentille libraire (celle avec les cheveux tout frisés et des jolies lunettes, pas celle avec les longs cheveux lisses qui se moquait l'autre jour d'un ado qui lui avait demandé s'ils avaient en rayon Ulysse et le lycée) vient me saluer et même s'enquérir de ma santé (c'est comme ça que je comprends "Vous allez bien?" mais ça doit être une déformation professionnelle). Du coup, je fais ce que je ne fais jamais, je demande si elle a lu des trucs trop bien dernièrement. Elle me sort alors plein de beaux romans et les défend avec beaucoup d'enthousiasme sans jamais avoir l'air niaise, ce qui est très appréciable. Je dis un peu ce que j'aime et elle affine ses conseils. Je n'aurais jamais cru avoir cet accueil dans une grande librairie comme celle-là. Je me dis que la libraire m'aime bien parce que nous avions très longuement parlé, avec un enthousiasme partagé, du travail de Martine Camillieri quand son livre sur les doudous était sorti. Du coup, quand elle m'offre une jolie boîte de chez Zulma et l'affiche qui fête leur vingt ans d'existence, je suis ravie et surprise parce que j'ai toujours peur que les gens me trouvent insupportable et que toute marque de gentillesse me liquéfie un peu, surtout parce qu'elle dit "J'attendais d'avoir quelqu'un de bien pour offrir la boîte et je crois que c'est vous".
Une fois rentrée à la maison, je raconte cette petite aventure à G. et je me rends compte que j'aimerais bien mieux connaître la libraire. Je pourrais l'inviter à boire un thé, ça ne paraît pas trop compliqué. Et puis je lui ferais du coconut carrot cake.
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Le coconut carrot cake est très librement inspiré du cake à la carotte violette et à la noix de coco de Lilo. Il réalise tous mes souhaits concernant le carott cake parfait: quelque chose de très moelleux, presque humide, délicatement parfumé à la cannelle, sans fruits secs et avec un très discret goût de carotte. L'ajout de noix de coco est pour moi miraculeux!
Comme G. ne se plie au gâteau à la carotte qu'en présence d'un glaçage, celui-ci a été improvisé en fouettant du fromage frais avec du sucre glace et du jus de citron. Il en fut absolument ravi.
Bien que les carotte Purple Haze se trouvent très facilement au marché, j'ai choisi des carotte classiques élevées au grand air de l'île de Batz.

Pour un petit moule de 20cm de diamètre
-170g de carottes râpées finement
-100g de farine (ici T80)
-150g de sucre blond de canne
-60g de noix de coco (merci Chris!)
-120g de beurre demi-sel fondu
-2 oeufs
-1cc bombée de levure
-1cc bombée de cannelle

Préchauffer le four à 180°.
Mélanger la farine, la levure, la noix de coco, le sucre et la cannelle.
Faire un puits et y verser le beurre fondu. Mélanger.
Ajouter les oeufs un à un puis les carottes
Verser la préparation dans un moule beurré et fariné ou recouvert de papier sulfurisé.
Faire cuire environ 40 minutes.
J'ai trouvé que c'était meilleur froid. Vous me direz!
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Evidemment, je n'oserai jamais inviter la libraire. C'est n'importe quoi.
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Sinon, l'excellente et réjouissante nouvelle, c'est qu'après la soutenance d'un mémoire qui craint (pas comme ma mémoire, mais je ne sais plus si c'est une bonne chose), il y aura un avion pour New York au début du printemps! Alors si vous avez des conseils ou des adresses planquées, je serai très heureuse de les éprouver. Par le passé, à Amsterdam comme en Suède, les bons plans des lecteurs ont toujours été à la hauteur... Merci d'avance!

*quand il s'agit de deviner quel est mon métier, les gens disent des choses aussi différentes et étonnantes que: architecte, femme de ménage, artiste ou pédiatre (ah! presque). J'aime bien que cela ne se voit pas, et qu'il y ait un petit mystère.

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mercredi 16 février 2011

Lettre à Lu. ou Le goût du snobisme (à défaut de partager un gâteau au chocolat)

Mademoiselle,
Merci infiniment pour votre télégramme.
Comme l'ASSA n'existe encore que par les incursions qu'elle se fraie dans les conversations de salon, j'ai été très émue d'apprendre que vous éprouviez de l'intérêt à son égard.
Ce projet, aux contours un peu flous bien que plusieurs jeunes gens modernes se soient montrés déterminés à les rendre plus concrets, est destiné à distinguer humblement les nécessités d'un snobisme qui se respecte.
Il est évidemment indispensable de garder à l'esprit qu'un snob reste une personne terriblement frivole, sensible à des esthétiques discutables et aux sous-titres hongrois, proie de choix pour le marchand malin qui se réclame de la série limitée et de l'art contemporain. Le snob ne craint jamais le ridicule, n'est pas à une contradiction près et manie avec sensibilité le second degré!
Vous trouverez ci-joint les conditions requises pour faire partie de l'ASSA, cette liste pouvant encore être soumise à plusieurs remaniements. Je serais évidemment honorée de prendre connaissance de vos suggestions.
Je me tiens à votre disposition pour toute information complémentaire,
Bien à vous,
Snoboumi

PS: on m'a dit que vous aviez une soeur assez snob si l'on en croit la mosaïque du carrelage de son hall d'entrée, peut-être serait elle également intéressée par l'ASSA? Je compte sur vous pour lui évoquer son existence.
Conditions requises pour l'inscription à l'Association des Snobs qui S'Assûment
Quatre à cinq conditions sont considérées comme suffisantes (pour l'instant)
*élire les rythmiques Agnès b. à élastique doré comme chaussures d'intérieur préférées
*chaque matin, verser une grande rasade de lait de jument dans son granola (home-made)
*appeler Mama Shelter, Mamie Shelter
*disposer d'une filiale secrète pour avoir du pain Poujauran à domicile (et ne tolérer, pour le tartiner, que du beurre Bordier)
*cuisiner un coucou de Rennes en écoutant Olivier Messiaen
*partir à Buenos Aires assister à des conférences lacaniennes
*dans ses livres de cuisine fétiches, citer
Alice Toklas ou Bernard Faucon
*porter des collants Falke et des chaussettes
Tabio*appeler son levain Paul Dedalus
*refuser d'aller voir Black Swan parce qu'un film que tout le monde va voir ne peut pas être un BON film
*partir à New-York se faire coiffer chez
Bumble & Bumble
*se parfumer avec
L'ombre dans l'eau
*attendre avec impatience la sortie DVD de l'intégrale Jean Eustache (qu'on regardera sur grand écran grâce à un vidéo-projecteur personnel)
*aimer Jerzy Skolimovski
*faire des soirées Abécédaire de Deleuze
*reprendre à son compte cette sentence des Amours imaginaires: "C'est pas parce que c'est vintage que c'est beau" (surtout quand on s'apprête à acheter une grande robe jaune fluo imprimée de flamants roses géants)
*dormir dans des tee-shirts APC vintage
*retapisser les tiroirs de commodes crevées avec du papier Silver Pins de chez
Little Greene
*mettre ses K.Jacques à la poubelle pour commander des
Rondini
*ranger ses chaussures dans des boîtes Bookbinders grises et, pour retrouver celles qu'on cherche, se fier au polaroïd apposé sur chaque boîte
et puis évidemment, il faut aimer Beckett.

Que prépare toute snob qui se respecte pour son amoureux qui rentre à minuit passé d'un endroit qu'elle doit tenir secret?
Un gâteau au chocolat graphique qu'elle resservira le lendemain matin parce que le bocal de granola home made est déjà vide, arrosé d'un
sencha haru de chez Jugetsudo, histoire de changer du lait de jument.

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mardi 8 février 2011

Ton regard bleu pâle* (son sauté de porc au gingembre)

Il portait un cardigan moutarde et vert sapin.
Il avait cuisiné l'un de mes plats préférés.

C'était dimanche soir et il voulait fêter nos retrouvailles.
Je venais de passer deux jours à Paris, en bonne compagnie.
Dans le train du retour, j'avais un peu soif. Je contemplais les lumières des villes traversées trembloter en vitesse, j'ai remonté le col de ma veste.
Ma voisine a versé une vinaigrette huileuse sur sa salade défraîchie (j'ai un petit problème avec les salades de maïs), je me suis cachée derrière mon roman.
J'ai aimé les sandwiches suédois au pain maison et le cake citron-basilic, par contre les fausses mamies qui font des cakes salés tout secs et des tartes au flan me laissent de marbre (pour ne pas dire: m'énervent un peu).
J'ai aimé aussi la pâle lumière du soir sur les Tuileries, une sorte de surprise en sortant du métro.
J'ai aimé ses histoires, son écoute silencieuse.
Il y a eu un dîner charmant avec une fille qui portait un gilet violet avec des petits parapluies et une autre, qui avait un nouveau sac, et un super sourire. Les udon aux tempura fumants allaient plutôt bien avec le verre de Pouilly fumé. Conversation animée (aimez-vous revoir des camarades de collège? est-il possible de revenir du Japon sans un excédent conséquent de bagages? lisez-vous encore des magazines de cuisine? aimez-vous travailler la nuit? elle est comment cette Annie Bertin?).
J'ai croisé deux silhouettes parfaites. Au Café suédois, où nous avons monopolisé une table tout l'après-midi (parce c'est définitivement un endroit de prédilection pour les longues discussions), il y avait une Japonaise qui portait une veste courte, un peu épaisse, à fins carreaux sur un pantalon ample, bouffant, un peu court, bleu et rouge, et des chaussettes hautes bleu marine à pois blancs dans des petites ballerines grenat discrètement ouvertes au bout. A Beaubourg, en attendant P. dans le grand hall, je ne peux pas ne pas remarquer une fille très mince, à la chevelure hitchcockienne, portant un manteau droit, des ballerines noires vernies et un sac des années trente.
Evidemment, je me demande ce qu'elle va cuisiner avec la poudre d'anchois et le gochujan achetés au K-Mart juste avant de reprendre le train...
G., pour sa part, pour diverses raisons, avait bien compris qu'un dîner de circonstance devait être régressif et réconfortant. Il y avait d'abord quelques mini-parts de pizza en veillant à ne pas se brûler les lèvres puis un sauté de porc au gingembre, comme celui que faisait ma maman, celui que j'aime tellement que je peux en manger au goûter (ce que je préfère à cette heure-là, c'est un bol de sauté brûlant avec du riz froid. Trop bizarre. Trop délicieux, par je ne sais quelle alchimie). C'était un des classiques que je retrouvais dans les boîtes qu'elle préparait le dimanche pour me nourrir la semaine l'année du concours de première année de médecine. Sans doute mon classique préféré quand j'y repense!
G. n'a pas téléphoné à ma maman pour avoir la recette, il a ouvert le livre de Sala Baï et s'en est inspiré. La recette de ma maman est encore plus simple, c'est presque déroutant. La seule tâche fastidieuse consiste à émincer le gingembre en fine julienne mais, et cela reste un mystère pour moi, elle était toujours dévolue à mon père (comme cela revenait à mon grand-père pour ma grand-mère. Ca doit être un truc pour les garçons obsessionnels).
Elle fait revenir le gingembre dans une huile neutre, sans cesser de remuer. Quand il commence à accrocher à peine, elle verse dans le wok du porc finement émincé. Elle remue bien et là, à l'aveugle, elle assaisonne: sucre de palme, sauce soja, sauce nuoc-mam, puis elle couvre et laisse mijoter à feu doux. Avant de servir, plusieurs tours de moulin à poivre (du Cambodge, pour rester dans le ton).
On ne dirait pas comme ça, mais c'est absolument dément, adjectif qui s'applique aussi au sauté de G., enrichi d'oignons caramélisés, parfaitement parfumé et plein de jus pour mouiller le riz. Avec en plus, le goût de ses sentiments. A vrai dire, je lui ai déjà demandé d'en refaire.
Pour le dessert, j'avais promis une surprise, en direct de sa pâtisserie parisienne préférée. Ce soir-là, il y avait Momo, l'éclair chocolat-passion, délicat, suave et acidulé, en compagnie d'un baobab dont cette fameuse fille au nouveau sac avait déjà tout dit. C'était, comment dire...? Trop vite dévoré.

*une chanson que nous aimons bien et que j'ai entendue hier soir, absolument pas hasard, dans l'une des supers émissions de Laure Adler et dont la diffusion inattendue a transcendé mon assiette de moussaka (à la courgette...) avalée avec circonspection pendant une garde.

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