mardi 19 avril 2011

La pluie à contre-jour, le temps des retours -your life is New York City, you're just this person

Avant de traverser l'Océan Atlantique, il y eut un autre voyage.
Rue Notre-Dame de Lorette, une vitrine minuscule qui passerait presque inaperçue, des canettes de soda empilées comme une anticipation nord-américaine, quelques tables dans une micro-salle aux couleurs acidulées. Ainsi, la veille du départ, nous avons dîné à
Q-Tea. Ce que j'ai bien aimé, c'est le passe-plat découpé dans la porte de la cuisine et l'aperçu furtif qu'il offre des fourneaux et de l'agitation du chef devant les poêlons brûlants.


A Q-Tea, le tofu à la sichuanaise ne plaisante pas avec le piment et on reprocherait presque à la petite marmite de poulet aux trois sauces d'être trop petite tant sa saveur est addictive. Le bubble tea est servi dans des verres géants mais il n'est pas aussi bon qu'à Zenzoo ou peut-être
chez vous. Vers 23 heures, un couple d'Anglais qui sortent d'un spectacle déboule en quête d'un plat chaud et rapidement préparé, le chef conseille le riz aux champignons et ils se retrouvent bientôt devant deux grands bols parfumés et fumants. C'est la vie à Q-Tea! Certaines savent aussi y fêter dignement les anniversaires...
Dans l'avion, je n'arrête pas de me demander qui est cette fille qui me sourit avec complicité au bout de la rangée. Elle porte un sweat shirt gris et des tennis vertes. J'apprends finalement que c'est la Grande Ecole dans laquelle elle étudie qui l'envoie passer un semestre à Columbia. Elle commencera avec circonspection les pâtes au fromage et aux épinards du premier plateau repas mais le terminera, alors que le petit sandwich au cheddar et au chutney de poire servi plus tard sera rapidement abandonné dans des éclats de rire partagés.
Une semaine new yorkaise - morceaux choisis

1. Au Blue Porch, le Bed and Breakfast de Brooklyn qui nous a accueillis, tous les matins, il y avait un fromage différent au petit-déjeuner. Certains jours, Trudy avait préparé des scones citron-cranberries servis tièdes ou des petits biscuits au cheddar et aux herbes fraîches. Les salades de fruits étaient quand à elles absolument luxuriantes (des quartiers de pamplemousse entièrement épluchés, quelle joie!). J'ai eu le droit de feuilleter les livres de cuisine de l'étagère du haut.
Par deux fois, nous avons dîné pas très loin de là, sur Courtelyou Road.
Le soir de notre arrivée tardive, à Purple Yam, où j'ai dévoré un incroyable sandwich aux boulettes coréennes (le pain maison, blanc, dense, moelleux, renfermait des boulettes archi goûteuse, une sauce sombre inédite et des légumes frais croquants).
Un jour de fatigue où nous étions rentrés plus tôt, frigorifiés, à
The farm on Adderley, où les orecchiette à l'agneau et au potimarron étaient vraiment à se pâmer, dans la cuisson, la texture, le parfum.

2. Au Moma, un gentil jeune homme à l'accent bien élevé nous offre deux tickets. J'adore l'architecture du lieu, les volumes et les lignes. Je suis fascinée par une vidéo intitulée
Semiotics of the kitchen (une performance de Martha Rosler tournée en 1975) et un autoportrait au miroir. En attendant G. parti chercher un café, un étudiant en design japonais me demande si j'étudie les arts plastiques. Il s'étonne que non, il s'étonne aussi que je vive en France.
Le restaurant du cinquième étage avait eu la bonne idée de mettre de grandes branches de cerisier en fleurs dans d'immenses vases transparents, la bonne idée aussi de servir du poulet avec des poires rôties, du chèvre frais, quelques noix de pécan caramélisées et une salade de roquette.

3. Il a hélé un taxi pendant que je remontais le col de mon manteau et faisais trois tours d'écharpe. Le chauffeur parlait un peu français et écoutait Chopin. Nous avons changé de destination en chemin. Le visage collé à la vitre, je regardais, au-delà des petites rivières dessinées par la pluie, les branches encore nues des arbres de Central Park, leur forme tortueuse et fragile, les promesses d'un printemps qui se faisait attendre. J'ai vraiment ressenti à ce moment la joie furtive du présent. Le chauffeur fut presque attendri de nous laisser devant
Shake Schack!
Dans la file d'attente où personne ne semblait lasser d'attendre, je me dis que leurs petits dessins de burger ou de milk-shake seront du plus bel effet dans mon journal de voyage*. Evidemment, j'ai absolument adoré le fait qu'on vous donne un petit boîtier qui vibre quand votre commande est prête et vous attend sur le comptoir. Un moment ludique et délicieux.

4. (Parenthèse capillaire)
C'est en cherchant un endroit accueillant pour boire un verre que j'ai croisé par hasard le salon
Musa. Mon regard a tout de suite été happé par le spectacle absolument gracieux et complètement inattendu de deux coiffeurs japonais s'agitant autour de la chevelure lisse et sombre de leurs clients. Inattendus aussi les vieilles machines à écrire à côté des grands miroirs, le joli carrelage.
Il se trouve que nous étions depuis trois jours à New York et que par un mystérieux phénomène physiologique, mes cheveux étaient emmêlés comme jamais, plein de noeuds de taille différente impossible à défaire sans pleurer de douleur. J'y avais renoncé et consentais donc à arborer une sorte de touffe capillaire indescriptible. Quand j'ai vu le soin et l'application doux et précis dont les coiffeurs de ce salon faisaient preuve, j'ai tout de suite eu envie de leur confier mes noeuds.
Comme mon indécision chronique voyage avec moi, je n'ai pas vraiment osé entrer demander un rendez-vous tout de suite, me contentant de sautiller sur place en jetant des coups d'oeil admiratifs à l'intérieur et dressant avec G. les avantages et les inconvénients d'une telle décision (il m'a toujours semblé que mes cheveux étaient une cause de dépression chez les nombreux coiffeurs qui s'y sont affrontés. Ils déplorent à chaque fois assez ouvertement que ma tignasse est désespérément lisse et fine et fragile et sans volume et encadre un visage sans charme. Je déteste aller chez le coiffeur et le moment où ils vous tendent un miroir à la fin de la séance en vous demandant "ça vous va?" me désespère) or mon regard a croisé celui du coiffeur qui était le plus proche de la vitrine, un monsieur qui s'appelle Bushi Yoshimura. Comme il m'a souri, comme ça, un rendez-vous fut ainsi décidé le lendemain à 14h avec Yasuko, une jeune femme menue, à la fois vaporeuse et décidée. J'ai tout de suite eu confiance quand elle a dit "Oh là là, vos cheveux sont tout emmêlés...! Mais je suis sûre que vous aimez bien quand ils sont un peu en désordre, non?" C'était exactement ça.
Elle croyait que j'habitait le quartier et c'est seulement après avoir échangé sur nos vies respectives (son départ du Japon, son choix de vivre à New York, mon goût pour la ville, pour ce qu'on peut y manger aussi) qu'elle a dit qu'elle verrait bien une petite frange, pour changer un peu, sans en avoir l'air. Je n'ai pas du tout ressenti cette tension liée à l'appréhension et au fait d'être au centre du miroir tellement caractéristiques de chacun de mes passages chez le coiffeur jusque là, elle était douce et très légère dans chacun de ses gestes, de ses mouvements. Elle était toute enthousiaste aussi, sans ces plaintes que je peux entendre si souvent sur la texture de mes cheveux. Elle était super contente du résultat et moi aussi. Elle a dit "J'espère que votre ami va aimer, mais je pense que oui." J'étais ravie.

5. Dans le quartier de Williamsburgh, à Brooklyn, lors d'une balade absolument ensoleillée, nous avons croisé un disquaire exhaustif, des gros bols en faïence avec des losange colorés que je ne fais que regretter, des robes vintage, une épicerie japonaise, une boutique de design scandinave, un monsieur qui promenait son chien et s'amusait qu'on prenne précisément sa maison en photo et puis un endroit charmant qui s'appelle
Bakeri. Derrière le présentoir à gâteaux, des filles en pull jacquard, les cheveux dans un turban coloré, servent des rosemary cookies, des lemon bars, du salted caramel brownie, des cinnamon rolls; dans le coin cuisine, à côté d'un ventilateur ancien et d'une petite collection de livres de cuisine, une autre fille prépare des petits sandwiches au fromage grillé ou arrange sur des planches en bois la baguette maison, fendue en tartines, le beurre et la confiture, maison eux aussi. Le Skolebrod (une brioche toute douce avec un coeur de crème pâtissière légère et vanillée puis recouverte de noix de coco râpée) est tendre et parfumé, le peanut butter chocolate chip cookie est étonnamment délicat et le cappuccino se révèle attentionné. Un endroit précieux surtout si vous tournez deux fois à gauche en sortant.


6. J'aurais bien aimé savoir quel film était en train d'être tourné dans l'une des belles maisons de Brooklyn Heights.

7. Jour gris de pluie à Manhattan. Les bottes en caoutchouc colorées sont de sortie, les buildings dégoulinent. Evidemment, on dirait que tous les touristes ont décidé d'aller au Musée Guggenheim. Je respire un bon coup pour faire abstraction de ceux qui parlent fort, ceux qui prennent des photos qui ne rendront rien, ceux qui sont rivés à leur audioguide, ceux qui pontifient des heures à voix très haute, et je me laisse aspirer par le spirale blanche des galeries du musée. Et ce jour-là, je suis étourdie par un plateau de pêches peint par Cézanne. Imprévisible.

8. A Jadis, juste à côté du New Museum of Art (chouette librairie mais l'artiste du jour était assez indigeste), alors que la serveuse apportait nos verres de Prosecco, les invités d'une jeune fille qui fêtait son anniversaire firent leur entrée. Confortablement installés dans un grand canapé rien que pour nous, ce fut comme un petit spectacle: les embrassades enthousiastes, les petits cris de joie, les plateaux de petits fours qui arrivent, la façon précautionneuse dont les filles en robe précieuse s'en saisissent pour les immerger dans quelques sauces mystérieuses, les gens un peu perdus qui n'avaient l'air de ne connaître personne (là je me suis reconnue).

9. Avant de découvrir avec joie la librairie Mc Nally & Jackson, pendant que G. essayait un manteau à capuche que trois autres garçons ont alors également convoité, j'observais l'élégance discrète d'une New Yorkaise de mon âge. Cheveux souples et grandes lunettes années 70, robe en laine rose thé, elle essayait des mocassins compensés que personne d'autre n'aurait pu aussi bien porter qu'elle.

10. A 23 heures, au
Momofuku Milk Bar, la jeune fille qui me précède au comptoir fait un stock de truffes au chocolat. Elle se tourne vers moi et dans un grand sourire: "Et vous, lesquelles aimez-vous?" Je suis un peu embarrassée, je réponds que je ne les ai pas encore goûtées. Elle me dit "Vous ne pourrez que les aimer! Vous n'habitez pas le quartier?" Je ne pouvais pas encore savoir que le dessert qui me renverse chez Momofuku, celui dont j'ai encore très précisément en bouche la douceur et la subtilité, c'est le cereal milk soft serve. Il s'agit d'un petit pot de glace italienne immaculée dont chaque bouchée vous rappelle le goût d'un bol de corn flakes et donc tout ce qui va avec, un pull trop grand bien chaud, des chaussettes en grosse maille très douce, un canapé confortable, une chanson que vous aimez qui passe par hasard à la radio, la perspective d'une belle journée.
J'avoue que les nourritures servies chez
Momofuku sont assez séduisantes: pork buns bien chauds pour ouvrir l'appétit au Momofuku Noodle Bar (ce sont des petits sandwiches de pain chinois à la vapeur remplis de tendres et juteux morceaux de poitrine de porc laqué accompagnés de sauce hoisin et de rondelles de concombre mariné. Cela constitue pour moi un petit en-cas parfait après une séance de cinéma ou pour un dernier verre après une chouette soirée) ou poulpe snacké reposant sur une mystérieuse sauce extra-verte et recouvert de bacon atomisé au Momofuku Mà Pêche sont absolument exquis.


11. Au Schiller's, aux côtés d'universitaires barbus qui boivent un verre en grignotant du pain trempé dans de l'huile d'olive, je sirote un délicieux cocktail rose pâle qui s'appelle Casablanca (vodka vanille + coco + citron vert + grenadine).

12. Exposition temporaire Edward Hopper au Whitney Museum. J'apaise mon impatience en goûtant le burger du très chic café du musée aux alentours de 16 heures. Le pain était délicieux, avec un petit goût d'épices, des tomates confites et un chutney d'oignons s'affalent à l'intérieur, un ensemble très goûteux. L'exposition m'a serré le coeur, les personnages sont toujours si seuls dans l'encadrement des immeubles anonymes. G. pense que la grande femme blonde qui fume près de son lit sourit. Tant mieux.

13. Central Park était désert, à cause de la pluie. Il y avait quand même quelques écureuils esseulés et des oiseaux tranquilles. Traversée forcément romantique pour arriver au MET, que je ne pensais pas si grandiose.

14.Sur Elizabeth street, il a choisi une cravate à un vendeur qui lui ressemblait un peu et qui a eu plaisir à évoquer des vacances à Montpellier. Il adorait Brooklyn où habitaient ses parents et connaissait très bien les gens qui travaillent à The Farm. Il vendait des tablettes de chocolat
Mast Brothers et a griffonné sur un petit papier l'adresse d'un bar où il aimait bien boire un verre, pas très loin (Maxfish ça s'appelle).


Sur Elizabeth street aussi, j'ai acheté des chaussettes rayées (il y avait bleu marine/gris, moutarde/chocolat au lait ou bleu marine/rose) à une vendeuse qui voulait absolument
le tote bag de La Cocotte.

15. East Village, c'est vraiment un chouette quartier.

16. Près d'Union Square, un Cambodgien a ouvert une échoppe à sandwiches qui s'appelle
Num Pang ("pain" en cambodgien et num pang pâté veut dire sandwich au pâté, un classique de ma mère avec force sauce hoisin, sauce piment, salade, carottes rapées et rondelles de concombre les midis où elle n'avait pas le temps). Il est très dommage que le lieu ne soit pas vraiment confortable (quelques places sur des chaises de bar à l'étage) parce que les sandwiches sont délicieux (enfin, celui au porc aux cinq épices que j'ai goûté). Je suis surtout fascinée par le fait qu'un Cambodgien en soit à l'origine! Allez-y peut-être un mercredi pour profiter du marché d'Union Square où s'empilent les chaussons aux pommes fermiers, les pains au levain, les espèces rares de betteraves. Le miel des jardins communautaires new yorkais, vendu dans des petits ours en plastique souple, est absolument délicieux.

17. Le Noguchi Museum est au milieu de nulle part mais le magnolia blanc du jardin, les courbes lisses du marbre des sculptures de Noguchi, la grande salle claire à l'étage où l'on peut feuilleter des livres de design bien installé sur un canapé qu'il avait dessiné, valent largement le détour.

18. Dernières heures à new yorkaises après une semaine en Lousiane**, G. est au volant d'une voiture bleue, je suis émerveillée par les lumières de la ville. Les fenêtres de Manhattan vues depuis Brooklyn m'émeuvent comme autant de vies que je ne vivrai jamais.
Les valises abandonnées dans la chambre d'hôtel, nous nous dirigeons d'un pas pressé, affamé et excité, vers PJ Clarke's. On ne devine pas du tout quand on y entre, qu'après le videur qui surveille, le comptoir saturé et le juke box fréquenté, on puisse découvrir une salle toute calme, avec du bois partout et des nappes à carreaux rouges. On ne s'attend pas non plus à ce que le burger, servi jusqu'à deux-trois heures du matin soit absolument savoureux, frais, vivace. Incroyable. Soirée délicieuse à discuter et à se laisser envahir par l'émotion d'un retour new yorkais.
Le lendemain, sur le chemin du PS1, l'annexe du Moma, il y eut un petit-déjeuner mémorable dans un café de poche, Sweet Leaf. On peut y boire du thé (du vrai! Bonheur infini de siroter un Pu Ehr correctement infusé après quinze jours de Lipton Yellow approximatifs), le plus difficile reste de choisir la substance solide qui va l'accompagner. Ce furent une large part de cake à la banane recouvert d'éclats de chocolat et de noisettes et un petit gâteau à la cannelle, tout tendre, très doux, que G. a adoré. Service adorable.
Après le PS1 (librairie formidable), tournez à gauche puis encore à gauche, traversez. Passez devant une grande société de taxis jaunes, un pub, une épicerie, un cabinet de voyance et n'hésitez pas à aller déjeuner à
Sage General Store. A la fois rustiques et délicats, les plats sont préparés à partir de matières premières locales et cuites dans un grand four à bois pour ceux qui s'y prêtent. La pizza (de taille raisonnable avec deux oeufs sur le dessus, une sorte de petit fantasme pour moi!) me laisse un souvenir ému, tout comme la tarte au chocolat (toute légère et fraîche en bouche, on ne s'y attend pas du tout). Le BLT est indécemment dodu et le mac and cheese des voisins de gauche paraissait parfait. A droite, un couple se réveille avec un café et des tacos... C'était déjà la fin du voyage.


*J'ai pris le temps chaque jour de noter et dessiner aux feutres les diverses occupations de la journée, le contenu des assiettes notamment, forcément. Et puis j'ai gardé tous les tickets de musée, les cartes de restaurants, certains emballages de biscuits, des étiquettes... Collages à la colle blanche.

**Ceci fera l'objet d'un autre billet, afin de prévenir l'indigestion.

Q-Tea 19 rue Notre-Dame de Lorette
Purple Yam 1314 Courtelyou road
The farm on Adderley 1108 Courtelyou road
Shake Schack 366 Colombus avenue ou encore dans Madison Square Park
Salon Musa 156 Sullivan street
Bakeri 150 Wythe avenue
Jadis 42 Rivington street
Mac Nally & Jackson 52 Prince street
Momofuku Milk Bar 207 2nd avenue
Momofuku Noodle Bar 171 1st street
Momofuku Mà Pêche 15 W 56th street
Schiller's 131 Rivington street
Num Pang 21 E 12th street
PJ Clarke's 915 3rd avenue
Sweet Leaf 10-93 Jackson avenue
Sage General Store 24-20 Jackson avenue

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