dimanche 27 novembre 2011

Hier soir j'ai trouvé ça bien (côte fleurie et carrot cake)

J'ai mis trop de temps à écrire ce billet, rapport aux nouveaux horaires de travail assez harassants. Quand j'étais ado, je rêvais à une vie d'urgentiste survoltée où l'on est déjà ravi de voler un moment pour traverser la rue qui sépare l'hôpital de la gargote qui sert des doughnuts pâlots et du café tiède dans un gobelet en plastique que l'on jette dans la poubelle de l'hôpital en s'impatientant déjà du prochain doughnut. Il se trouve que je ne suis pas urgentiste et que je n'aime ni le café ni les doughnuts mais désormais, je maîtrise la sieste debout dans le bus et si j'ai une minute pour avaler deux gorgées de thé, il m'importe peu qu'il soit de médiocre qualité et mal infusé. Je m'habitue peu à peu et développe quelques stratégies pour améliorer ces inconforts, je n'ai presque plus besoin de m'offrir la futilité indispensable de fin de journée qui permet de mieux appréhender la suivante. Sûr qu'après les vacances de Noël, j'aurai un sourire neuf plus souvent! Surtout si comme vendredi soir, G. m'attend avec des burgers maison et des chips au cheddar quand je rentre vers 21 heures...
Ainsi, je ne savais plus si j'avais envie d'évoquer notre échappée belle en Normandie qui me paraît si lointaine ou le charme des émissions radiophoniques de Laure Adler, dont je rêverais, un jour, de prendre la place. Dans une interview donnée à Télérama*, Vincent Delerm ( oui ...) dit cette chose tellement juste "Les gens imaginent souvent qu'on choisit son style, alors qu'en fait on fait ce qu'on peut, on suit sa pente naturelle."*****

Il faisait vraiment très froid dans les rues de Trouville même s'il porte désormais une épaisse écharpe bleue qui m'avait appartenue autrefois car J'aime t'avoir à mon cou.
Le premier refuge fut le bar provisoire de Merci (oui, Merci à la plage), où l'on vous sert en fronçant des sourcils étonnés votre thé vert avec un morceau de fromage (indispensable car nous n'avions pas déjeuné et il était environ dix-sept heures), la confiture de fraises était quant à elle plutôt aimable. Aux autres tables, une femme seule cheveux blonds lâchés et manteau en drap de laine bleu marine grille des cigarettes élégantes au-dessus d'un manuscrit, une jeune fille avait assorti sans réticence un col claudine, des derbies vernies et un manteau léopard, les garçons portent tous des doudounes. Je garde mes mitaines rose pâle autour de la tasse de thé.
J'ai eu un petit choc, outre le froid et la foule qui aime se regarder et vérifie qu'on la regarde, lors notre passage à ce qui était autrefois
Topolina, un moment qui n'aurait pas déparé dans un film de Bunuel (j'ai dit Lynch mais il m'a gentiment corrigée. Par ailleurs, je me suis récemment aperçue qu'en fait, je n'aimais pas trop David Lynch -on a (re)vu Twin Peaks). A la place de la table d'hôtes où j'avais tant aimé dîner sur des fauteuils dépareillés, dans la chaleur rassurante du grand feu de cheminée, devant le piano à queue où s'accumulaient des partitions de J-S Bach, cet endroit dont je me souviens aussi très précisément du menu (une soupe de chou-fleur, un rôti de veau avec plein de jus, une tarte aux pommes croulant sous les fruits bien caramélisés), il y a désormais une sorte de brocante franchement inquiétante dans son accumulation discordante et, ce soir-là, une jeune femme y apprenait très laborieusement à chanter avec une professeur maniérée. Il y avait quelque chose d'effrayant et de très violent dans cette voix qui s'époumonnait vainement.
La chambre d'hôtel était au dernier étage d'une immense maison normande pleine de couloirs, de recoins et de papier peint fleuri. On voyait les toits, le clocher de l'église et les mouettes capricieuses depuis les petites fenêtres. En attendant d'aller dîner, il m'a tendu un petit paquet et sous le papier kraft bleu, il y avait
un coffret Sophie Calle. Alors, allongés sur la couverture matelassée, nous avons contemplé ses cadeaux d'anniversaire scrupuleusement photographiés car Sophie craint toujours d'être oubliée. Ainsi, à partir de 1980, jusqu'en 1993, et ce tous les ans, elle organise un dîner avec un nombre d'invités égal à celui des années fêtées. L'un des invités convie un invité mystère et Sophie compile et photographie tous les cadeaux reçus: des bouteilles de champagne et du chocolat suisse mais aussi un dessin de Topor, des oeuvres d'Annette Messager ou, dans un autre style, une fricassée de langoustes. J'aime les cadeaux de ses parents (une gazinière, un aspirateur...), cela me rassure.
Bientôt, il fut l'heure d'aller dîner aux Quatre Chats. Plein, plein de monde à chaque étage du restaurant, petit manchon en fourrure pour certaines, foulard en soie pour les garçons. Sous les suspensions en forme de nuage des cuisines, on s'agite sec. Le patron a toujours cette familiarité peut-être défensive, il n'est jamais avare en tapes dans le dos et compliments sur le sourire mais peu importe, on nous dresse une table dans un petit coin caché et, assis sur les banquettes moelleuses, nous observons les présentations tapageuses des autres dîneurs.
Aux Quatre Chats, la cuisine est sensuelle et précise. Le pain arrive entier, tout chaud dans la corbeille, le coeur d'aloyau rôti pour deux est parfaitement saignant et comble toutes les impatiences carnassières, les pommes de terre sautées servies sur une assiette brûlante sont rustiques et ravissantes. Je n'aime rien tant que ces nourritures simples et percutantes et la glace au chocolat au lait du dessert restait dans un même ordre d'idée, moelleuse, onctueuse et intense de manière inédite.
Absolument ravis par ce dîner plein de bonne humeur, nous avons profité de la plage déserte sur laquelle flottait presque irréelle la lune pâle et pleine. Nous avons beaucoup marché, discuté et ri avant de rentrer à l'hôtel au milieu de la nuit, trouvant encore le courage de nous arrêter contempler quelques vitrines.
Le lendemain, sillonnant tranquillement la jolie côte fleurie normande, je garderai l'odeur de la cire fraîche croisée dans une droguerie, la fraîcheur d'une tarte à l'orange, le chocolat sombre et mousseux dans la carafe en céramique blanche, les piles de pommes et les gros fromages au marché de Honfleur, la crêpe au citron du goûter, la mer partout tout le temps.
C'était le petit répit avant la grande rentrée!
****

Rien à dire d'autre sinon que
l'entretien en deux parties de Laure Adler avec Philippe Garrel est absolument indispensable si comme lui, comme moi, vous pensez que les films de la Nouvelle Vague aident à vivre.
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Indispensable aussi, le carrot cake acidulé des soirées qui se prolongent.
J'ai gardé la base du
coconut carrot cake de Lilo en remplaçant le coco par de la poudre d'amandes et en ajoutant des zestes et du jus de citron, du gingembre râpé et de la vanille.


*pendant très longtemps, j'ai été abonnée à Télérama. L'un de mes grands plaisirs était de le découper pour en faire divers collages jusqu'au jour où je me suis aperçue que je le découpais avant de le lire, de plus en plus agacée par des partis pris et certaines couvertures. Mon abonnement a pris fin. Je n'avais pas feuilleté un Télérama depuis au moins cinq ans. Dans l'article consacré à Vincent Delerm, il y a une note de bas de page qui précise ce qu'est la cold wave, de façon pour le moins condensé. Je ne relirai probablement pas de Télérama. Mais la prochaine fois, j'aurai plein de lectures à évoquer! En attendant, j'ai (un peu) remis à jour
l'index des recettes...

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dimanche 13 novembre 2011

All the beautiful girls, they wanna stay late

Un taxi attendait en bas de la rue où l'on n'entendait que le souffle froid de la nuit.
A l'aéroport, au milieu des costumes sombres, des attachés-cases maussades et des cravates serrées, je traîne mes collants lie-de-vin dans des ballerines bleues et je lis
le journal d'Italie de David B., troublée par la ressemblance de son visage dessiné et de celui de G., qui ne le savait pas quand il me l'avait offert la veille.
Dans l'avion, je regarde s'éloigner les routes, les lumières, les toits et les vies de la ville endormie. Je m'endors aussi au passage du panier de viennoiseries ramollies.
A Toulouse, M. avait préparé le petit-déjeuner sur la table basse du salon. L'appartement m'impressionne par son silence, on n'entend que les arbres de la cour carrée qui secouent leurs feuilles rousses et dorées. J'aime bien voir étalés sur la table de la salle à manger ses stylos, ses dessins, ses couleurs, son travail qui toujours m'a fascinée.
Ce furent trois jours absolument réjouissants pendant lesquels j'aurai dîné dans de la vaisselle de poupée, j'aurai trouvé un poisson en plastique jaune et rose sur une pomme cuite super parfumée, j'aurai dégusté en compagnie douce et bavarde une bisque de crustacés où se prélassait une énorme raviole au crabe, j'aurai goûté des fromages délicieux (dont un vieux Salers assez impressionnant), j'aurai picoré avec une maladresse dûe à l'émotion des dim sum délicats, j'aurai bu du champagne dans une maison très belle et le même soir, il y aura la sophistication rustique d'une soupe de chou-fleur au cumin, toute blanche dans le bol blanc, il y aura aussi la chair orange vif, fondante et rassurante, de la patate douce rôtie au four.
J'aurai sympathisé avec le chef de
Motchiya, un endroit absolument indispensable si vous passez à Toulouse. Le jour où j'y suis retournée pour le goûter, nous avons beaucoup discuté et il m'a dressé une très jolie assiette de pâtisseries. Leur cheesecake est comme un nuage.
J'ai parcouru la ville dans tous les sens, j'ai longé le fleuve et j'ai admiré des cours arborées, j'ai essayé un manteau bleu avec un col en (fausse) fourrure qui était trop grand, j'ai traîné des heures à
Ombres Blanches et aussi dans une papeterie qui avait un choix vertigineux de carnets coréens (lieu de perdition qu'elle m'avait judicieusement conseillé alors que nous devisions au-dessus d'un superbe chirashi sushi à Motchiya. J'avais alors adoré le gingembre frais mélangé au riz parfait, les éclats de framboise et les dés de mangue au milieu du poisson nacré).
Le dernier soir, avant de repasser une ultime fois à
la Fondation admirer les autels de Martine Camillieri, je suis restée un long moment dans un salon de thé désert et désuet à feuilleter le livre de photographies argentiques de Vincent Delerm. Sur les tables en bois ciré, avec un thé élégamment servi, j'ai découvert les néons tristes de la fête foraine de sa vie d'avant, les peluches un peu sordides, les promesses de repas médiocres, quelque chose qui me touche secrètement en lisant Probablement les choses joyeuses de l'enfance ne sont jamais très éloignées des choses tristes. Le propriétaire du salon de thé a dû sentir une mélancolie passagère envahir mon regard puisqu'il m'a discrètement offert, au moment du départ, deux macarons dans leur sachet un peu chic.
Mais plus tard, j'étais définitivement consolée de cette tristesse douce et mystérieuse (sans doute le prix à payer quand on a toujours préféré le probable au certain) devant une assiette fumante de spaghetti alle vongole en bonne compagnie.
Le lendemain, j'ai repris un avion. Alors que les autres passagers mâchaient en rythme les viennoiseries luisantes, j'ai sorti de mon sac les macarons, jaune et vert, précieusement emballés. Ils avaient le goût délicieux, impatient et un peu inquiet de la vie qui allait désormais commencer.


Le Journal d'Italie de David B. est aux Editions Delcourt, dans leur collection Shampooing.
L'exposition de Martine Camillieri, Banalités, est jusqu'au 31 décembre à la Fondation Ecureuil au 3, place du Capitole.
Motchiya se cache au 10, rue Palaprat.
Les jolis carnets coréens sont à la Mucca au 23, rue des Lois.
J'ai feuilleté le livre de photographies de Vincent Delerm, intitulé Probablement, aux Editions Actes Sud, chez Debailleul au 2, place Saint Etienne.
Les dim sum, suivis d'une brioche à la vapeur fourrée au taro, se dégustent chez Cha Yuan au 16 rue Cujas.

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mercredi 2 novembre 2011

Martine Camillieri (et moi)

Au printemps, j'ai pris un train pour Malakoff.
Invitée à déjeuner chez Martine Camillieri, j'avais prévu de lui offrir des biscuits fourrés avec une ganache chocolat et framboise. J'avais réquisitionné pour leur transport une boîte à chapeau qui avait contenu autrefois un petit béret en tweed fabriqué en Allemagne par des filles qui avaient baptisé leur jolie marque The girl and the gorilla. Cette boîte, fermée à l'époque par un large ruban en satin gris et dont la conservation avait toujours paru douteuse surtout après deux déménagements, trouvait là une seconde vie inattendue.
En longeant les jardins fleuris de Malakoff, dont les murs sentaient régulièrement la glycine et laissaient déborder les branches indisciplinées de cerisiers prometteurs, j'avais une petite appréhension liée au sentiment, que je connais si bien, qui affleure lorsque je m'apprête à rencontrer quelqu'un que j'admire.
De Martine Camillieri, j'avais le souvenir de petites théières creusées dans des écorces de citron ou de mandarine. Le souvenir aussi de tarte en fils (de la pâte feuilletée passée au presse-ail puis recouverte de lemon curd, d'éclats d'abriots sec et d'amandes effilées), de dîner-palindrome et de hamburgers pour doudous. Les pétales d'anémones fanées se glissent entre les assiettes des invités et les lego font de jolies étagères Charlotte Perriand. Je savais que d'un geste, elle pouvait déplacer un objet de sa position de déchet à celle d'un prototype design. Grâce à elle, le quotidien perdait de son évidence et gagnait alors une poésie infinie.
Arrivée à sa porte, j'ai timidement sonné.
Dans son atelier, puis autour d'une salade ultra-verte, d'un parmesan très bon avec la marmelade d'orange maison, des petites blettes du jardin à la vapeur presque sucrées sous l'huile d'olive triée sur le volet, mon appréhension s'est dissipée. Je crois qu'elle a trouvé les biscuits pas mal!
Ce moment, précieux et si doux, s'est terminé quelques mois plus tard quand j'ai écrit un petit texte* pour accompagner la très prochaine exposition de Martine Camillieri à la Fondation Ecureuil, à Toulouse.
Si vous êtes dans les parages, le vernissage de cette installation intitulée Banalités, aura lieu le mercredi 2 novembre à partir de 18h30, et vous aurez jusqu'au 31 décembre pour venir y voir les autels éphémères de Martine Camillieri.
Ainsi, juste deux jours après avoir soutenu ma thèse, je prendrai l'avion très tôt le matin pour ne pas rater ce moment qui s'annonce gracieux.
Un merci infini à Sylvie Corroler, la directrice de la Fondation Ecureuil, pour m'avoir fait confiance, et pour tous nos échanges.
Un merci aussi à Martine Camillieri, pour sa gentillesse pétillante, et toutes les photos qu'elle m'a laissée faire chez elle.
A bientôt pour le récit de mes journées toulousaines!

*vous pouvez le lire sur le site des jolies Editions de l'Epure

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