dimanche 31 août 2014

A life rewound - Something was lost

//Somewhere in Cambodia//

Ce jour-là, il était question pour ma mère de retrouver la maison où elle avait grandi, celle de son propre père, mon grand-père chinois, un ancien instituteur dont la sévérité notoire m'avait toujours paru factice quand je me rappelle avec quelle malice il regardait avec moi les candidats lyophilisés des Chiffres et des lettres s'affronter placidement. Nous aussi nous formions une équipe, lui aux chiffres et moi aux lettres, évidemment, et il me reprochait gentiment de nous faire perdre, nourrissant ainsi ma passion passagère pour les dictionnaires.
Ma mère vivait avec ses parents, sa soeur et ses quatre frères, dans une maison à pilotis bordée de manguiers à Kompong Cham, qui se situe à 120 kilomètres environ de Phnom Penh. C'était l'époque où elle allait à l'école en uniforme (jupe plissée bleu marine et chemisier blanc, mais elle a toujours dit que ça n'effaçait en rien les différences de catégorie sociale parce qu'il y avait des petites filles en chemisier de soie et d'autres en chemise taillée dans du drap grossier), l'époque où elle s'offrait pour le goûter des beignets de banane ou des sandwichs au porc laqué chez les petits marchands ambulants, l'époque aussi où l'on soignait les enfants malades avec du lait concentré sucré et celle où les mêmes enfants n'avaient pas toujours le droit de dîner en présence de leur père.
La voiture nécessairement climatisée avançait lentement dans les rues de Kompong Cham et bien que ma mère les eût autrefois parcourues dans tous les sens, à pied, à bicyclette, puis sur son petit vélomoteur, elle ne reconnaissait rien, et surtout pas les luxueuses villas aux architectures tapageuses. Ma mère, le visage collé à la vitre, le regard à la fois curieux, avide, et troublé par ce retour tant d'années après, après les camps, après l'exil, traquait le moindre signe de reconnaissance adressé à sa mémoire.  A peu près en vain. Elle donnait des instructions au chauffeur mais elle ne retrouvait pas sa maison.
Nous avons fini par nous arrêter au bord d'un chemin très encombré par des travaux d'urbanisme et elle est descendue, un peu hagarde sur la route poussiéreuse, elle a demandé aux ouvriers du chantier "Je cherche la maison de monsieur C., le directeur de l'école primaire, autrefois..." Je regardais sa silhouette qui paraissait égarée dans ce paysage étrange, éclaboussé par le soleil de midi, et je n'y croyais pas du tout, je pensais On ne la trouvera jamais, elle a disparu.
Et puis elle est revenue, elle a dit au chauffeur que c'était la rue de derrière, qu'il fallait faire demi-tour et puis voilà.
Quand la voiture s'est de nouveau immobilisée, elle n'a attendu aucun de nous, elle s'est élancée au dehors et je courais presque derrière elle, entre les bananiers et le linge qui séchait. Elle s'est arrêtée assez vite devant une grande maison dont le balcon, au premier étage, était largement occupé par ces tapis colorés qu'on croisait partout là-bas, à la fois dans les salles de bain et lors des pique-niques. Dans le jardin, des enfants se balançaient au creux de hamacs décolorés par le soleil. Une femme s'est retournée. Ma mère a dit "Je suis la fille de monsieur C., celui qui a construit cette maison..." La femme a dit à un enfant "Va chercher ton grand-père." Un homme très âgé, aux dents abîmées et à la peau burinée, est sorti de la maison. "Est-ce que vous vous rappelez de monsieur C., qui dirigeait l'école primaire...?" L'homme a dit "Oui, bien sûr ! C'était l'époque où la maison d'à côté était habitée par monsieur H., et celle d'en face par monsieur T." Il a ajouté, sans émotion apparente, "Tout le monde est mort maintenant..."
Quelques semaines plus tard, quand mon grand-père verra les clichés pris par ma mère ce jour-là, il dira "Ce n'est pas ma maison. Où sont les manguiers ? Qui a construit cet escalier, et cette extension ?" Il n'avait pas l'air triste mais plutôt contrarié comme lorsque le compte n'était pas bon du temps des Chiffres et des lettres. Mais j'aime penser que de toutes les façons, il préfère que personne d'autre n'ait jamais habité sa maison.
La visite n'étais pas terminée. Nous avons laissé la voiture dans la rue et nous avons marché un peu, nous avons traversé une pagode, et puis nous sommes arrivés sur les rives du Mékong. Loin de l'agitation, du bruit, de la poussière, face à l'étendue tranquille et souple du fleuve, des grappes de gens se retrouvaient autour des petites tables en métal pour boire une eau de coco très fraîche ou un jus de canne à sucre pressé à la demande par une dame en chemise-pantalon fleuri (mais ce n'était pas le même imprimé en haut et en bas, c'est pour ça que c'était joli). C'était l'heure de sortir les jeux de cartes et les confidences. Ma mère a dit qu'elle venait déjà là, autrefois, souvent seule, et qu'elle grignotait des beignets de banane en contemplant les ondulations lancinantes du Mékong, sans savoir qu'elle passerait plus tard trente ans sans les voir.

Pour de mystérieuses raisons, presque toutes les photographies que j'ai prises avec mon Pentax ME Super durant le voyage de printemps au Cambodge sont arrivées floues du laboratoire de développement. Un problème de mise au point.
J'ai longtemps pensé que je ne dirai jamais rien de ce voyage. Et puis finalement si.

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lundi 25 août 2014

Trois mille cheveux de travers (préparent la rentrée)

//Bol dragon et petite surprise à Petite Nature//
Après un baltic road trip palpitant que je raconterai bientôt (enfin, je l'aurais déjà écrit si je n'avais pas été perturbée par le visionnage des Revenants un siècle après tout le monde. J'avoue que la présence de Céline Sallette en a largement scellé mon addiction et je suis même obligée d'avouer que malgré le milliard de trucs énervants du scénario et de la mise en scène, je suis très impatiente de connaître la suite), je partageai avec G. quelques jours de vacance(s) à la maison, avant la vraie rentrée. C'est quelque chose d'assez délicieux que de continuer  encore un peu à s'octroyer un petit-déjeuner ensemble, assis autour d'une table où s'étalent les tartines, le beurrier japonais et la confiture italienne, mon chocolat, son café et un jus d'oranges pressées, plutôt que d'avaler nos breuvages matinaux brûlants pieds nus sur les tomettes de la cuisine.
L'autre petit luxe ultime, outre celui de lire un roman victorien sous les draps en lin, fenêtre grande ouverte sur les balcons déserts des voisins, fut aussi de se retrouver pour déjeuner (activité habituellement réservée aux midis dominicaux) et j'ai bien aimé quand il a proposé vendredi dernier "Tu m'emmènes à Petite Nature ?"
Une nouvelle fois, tout était délicieux. On a trinqué autour de petits verres de jus orange-fraise-pastèque-menthe, il y avait des numéros de Vertigo à feuilleter et figurez-vous que la bande-son comportait la chanson qui a déclenché toute cette histoire de filles face B. Comme je commence un peu à connaître les responsables de la programmation musicale, je peux vous dire que finalement, j'aime bien aussi être une fille face A !
J'éprouve une certaine affection pour les dernières semaines de l'été, quand on est plein d'envies et d'inspiration, que le souvenir des vacances est encore vif et qu'on guette avec impatience les petits enthousiasmes de l'automne à venir, les nouveaux films, les nouveaux romans, les nouveaux élans comme autant de promesses intimes.

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dimanche 3 août 2014

L'été grenadine (un début)


Rentrer de Biarritz dans la nuit.
Dans la voiture, Daydreaming de Dark Dark Dark (est-ce une chanson de fille face B ? La question reste entière) mais aussi des bagels au saumon avec beaucoup de roquette, de l'eau qui pique, un gâteau basque qui fait des miettes partout, des chips onion and cream qu'on ne grignoterait jamais dans la vie normale mais là, si.
Les rouleaux de foin, les éoliennes, l'architecture des nuages, la texture de la lune, parfois les pluies d'été.
Parler de Quand passent les cigognes.
Les mauvais souvenirs et les très très bons (les promenades nocturnes et le bruit de l'océan, les mojitos et le champagne avec les délicieux tapas du CDFG*, les dîners sur les nappes à carreaux rouges chez Pilou, les longs moments au Festin Nu et les discussions timides avec les libraires -que dire quand on vous dit "Alors vous êtes fan de Rohmer ? "...)
A l'arrivée, la boîte aux lettres qui s'ouvre sur une avalanche de courriers, et entre deux revues dans leur emballage plastique qui crisse, une carte qui vient de loin, avec une machine à écrire dessus et des mots qui font chaud dedans, dedans.
Vérifier que les plantes se portent bien (ce fut le cas).
Le délice de dormir dans son propre lit, ses propres draps, quand on en a été tenu éloigné un certain temps.
Le lendemain, enfiler des vieux vêtements qui rappellent d'autres époques (l'internat, les nuits de garde) et faire plein de lessives parce qu'il faut refaire la valise et qu'on n'aura même pas le temps d'aller voir Boyhood : demain, très tôt, un autre voyage commence !

*le Comptoir du Foie Gras, 1 rue du Centre, est l'endroit idéal pour prendre le pouls de la ville en début de soirée. Tout y est appétissant et réjouissant (surtout les tout petits sandwiches au magret fumé et à la confiture d'oignon et la tortilla, épaisse comme un oreiller). 
Et puis:
Chez Pilou, 3 rue Larralde, où l'on mange avec appétit des croquettes de poulet, de la hure de cochon avec plein d'herbes fraîches, des échalotes et des cornichons, du poisson cuit au cordeau et une exquise crème caramel.
Le Festin nu, 2 rue Jean Bart, une librairie qui ne fait pas semblant d'être une librairie.
Mais encore:
BB Wok, 65 avenue de Verdun, un endroit tranquille et souriant, avec plein de gingembre frais, de citronnelle, de basilic et de piment dans les assiettes colorées.
Le Milwaukee Café, 2 rue du Helder, pour son jus Green Detox revivifiant, son cheesecake tout simple et son pulled pork sandwich (qui serait encore meilleur avec du coleslaw dedans mais bon...)

A bientôt pour de nouvelles aventures !

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