mardi 28 octobre 2014

Roman-photo


Il est question de Jackson Pollock et de papier peint fleuri,  d'une fille à la chevelure potiron et de cake à la banane, d'ultra moderne solitude et d'un automne à New York ICI

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mardi 21 octobre 2014

Family lives

//Xavier Dolan, tu m'énerves d'avoir réussi à me faire pleurer sur du Céline Dion//

Le mercredi de sa sortie, dans le petit cinéma, Mommy réunissait une foule dense et impatiente qui se dispersera ensuite à petits pas dans la nuit, comme si chacun était encore abasourdi par tant de détermination et de grâce. Personne n'aura très bien compris comment trois spectateurs ont pu partir avant la fin, ayant pourtant entendu l'avertissement articulé très tôt par les lèvres ultra-gloss de la mère de Steve: Les sceptiques seront confondus.
Sur les pavés, essuyant de très fines gouttes de pluie, j'ai un peu mal à la tête, j'écoute G. qui dit "C'est une autre version de Family Life".
Il se trouve que j'ai reçu en cadeau, il y a quelques années, de la part de quelqu'un qui n'avait pourtant une connaissance que très partielle de mes goûts, le dvd de Family Life. Je ne l'avais jamais regardé, par appréhension. Le dimanche suivant, je décide de le visionner.
En ouvrant le boîtier, une feuille de papier pliée en quatre s'en échappe. Une lettre m'est adressée et les mots sur les petits carreaux portent en eux tellement de justesse dans leur folie que je sais en les lisant que je ne pourrai jamais les relire, parce que je n'arriverais sans doute jamais à me faire à cette douleur-là, la solitude absolue des vies trop folles pour le monde intransigeant où nous consentons à vivre. Je replie la lettre, j'insère le dvd, je lance le film. J'ai encore à l'esprit les images carrées de Mommy, ce cadre si étroit que chacun semble s'y cogner sans cesse.
Family Life déplie l'histoire de Janice dans la banlieue de Londres; c'est très loin de Montréal et pourtant, les toutes petites maisons qui s'alignent, répétitives et ternes dès les premières scènes ont quelque chose à voir avec les maisons mitoyennes de Mommy (qui ont elles-mêmes à voir avec celles d'Elephant, la froide histoire d'une autre folie adolescente), ces maison en apparence si tranquilles mais où l'on verse pourtant une bonne rasade d'alcool dans sa tasse de café quand on va laver son linge en sous-sol.
Dans Family Life, on ne voit pas Mrs Bailden, la mère de Janice, laver son linge, ni boire d'alcool. Elle se contente de garder les lèvres pincées, de serrer son sac contre elle et de boutonner ses chemises très haut. Elle sait mieux que quiconque ce qui est bon pour elle et les siens, même si cela passe par le forçage: il faut manger, et beaucoup (scène cauchemardesque du déjeuner dominical où les assiettes débordent), il faut travailler, et beaucoup, il faut s'habiller correctement, rentrer à l'heure tout le temps, ne pas trop fréquenter les garçons et puis il faudra avorter parce qu'une nouvelle fois, "je sais ce qui est bon pour toi". Mrs Bailden me fait penser à Mrs Lisbon, la mère de Lux dans Virgin Suicides, qui enferme ses filles et brûle les disques dans la cheminée. L'une et l'autre veulent garder leurs filles pour elles, selon un idéal fusionnel dévastateur qui refuse absolument de laisser la place à un désir qu'elle ne peuvent imaginer hors du leur. Mais Mrs Bailden me fait aussi penser à Diane O' Connor car, malgré la différence des accents (british pincé de la mère de Janice, québécois fleuri de celle de Steve), on entend dans ces deux voix maternelles la même emprise, la même dévoration, dont aucun enfant n'arrive à sauver sa peau. Toutes les deux sont prisonnières de leur amour qui paie cher son infinitude, car quel amour peut se satisfaire s'il est aussi insatiable dans ce qu'il réclame que dans ce qu'il offre ?
Mais si la mère de Janice provoque chez moi une aversion qui dure tout le film (et cela bien que je sache, par la clinique et l'expérience, qu'elle souffre aussi de la vie qu'elle s'inflige), Diane dont le prénom revêt différents aspects de mortification (on l'appelle Die, ou mommy et j'entends momie) me touche mystérieusement. Son obstination folle et sa solitude m'émeuvent aux larmes.
Dans Family Life comme dans Mommy, le héros à l'acmé de sa détresse croise une figure bienveillante dont le regard différent apaise le désespoir en marche. C'est le personnage du psychiatre dans le film de Ken Loach, qui considère Janice comme un sujet à part entière et pas comme une maladie semblable aux autres cas du même diagnostic, c'est le personnage de Kyla dans celui de Xavier Dolan. C'est pour moi la trouvaille du film, l'incarnation d'une féminité classe, douce et savante, mais qui porte pourtant une faille puisque quelque chose reste coincé, dans sa gorge au sens propre, et dans sa vie de mère de famille. C'est précisément parce qu'elle porte ce manque, ce petit quelque chose qui fait défaut, que Steve la laisse s'approcher. Mais dans les deux films, la rencontre échoue et renvoie chacun à sa solitude. Le héros se retrouve à nouveau abandonné et livré à ceux qui ont le pouvoir, pouvoir qu'ils ont obtenu en choisissant la solution de facilité, le même traitement pour tous, l'abrasion de l'individu, l'assujettissement à des méthodes qui recourent à la même violence en reprenant l'argument dévastateur de Mrs Bailden Je sais ce qui est bon pour toi.
La forme sèche de Family Life, ses couleurs sourdes et sa mélodie mélancolique m'ont fait autant d'effet que la lumière éclatante, le rythme frénétique et les soubresauts incessants de Mommy. Leurs histoires ont accompagné les premiers jours de l'automne, et dans le soir qui tombe plus tôt, je traîne ma silhouette sur les pavés, triste de savoir, en vrai, ce que les gens vivent sur les écrans.

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dimanche 5 octobre 2014

Qui ne ressemble à personne

//Un café à Riga, mais ce n'est pas le propos//

Il a proposé de partir en bord de mer, là où nous étions allés au tout début, quand il fumait des cigarettes la fenêtre grande ouverte, et dans la voiture grise aux sièges écossais, on écoutait du Purcell très fort.
Je ne savais pas très bien lire les cartes routières (je ne comprenais pas la question Est-ce qu'il y a une sortie indiquée par un triangle ?), je n'osais jamais dire que j'avais un peu faim (alors que j'avais très faim), on jouait parfois à se faire deviner des titres de films ou des écrivains et j'étais très mauvaise (car à l'époque, je n'avais pas encore vu de films scandinaves avec un chiffre dans le titre). Je portais des tennis rouge et bleu, lui des pantalons très souples et doux, en velours finement côtelé et aux couleurs passées. Les chambres d'hôtel minuscules avaient vue sur mer pour distraire des papiers peints aux fleurs désuètes. Il faisait la lecture et moi pas trop souvent parce qu'il s'endormait systématiquement, nous en rions encore.

Ce sont des souvenirs doux parce que c'était aussi l'apprentissage minutieux et maladroit de la cartographie intime de l'autre, avant celle des routes côtières.
Cette fois-ci, il y avait assez de soleil pour s'accorder une crêpe au citron en terrasse, dans un village minuscule, en observant une autochtone remplir le coffre de sa voiture de gros tourteaux pour le dîner (s'ensuivit une petite discussion sur les fruits de mer et cette question soulevée par G. "C'est quand même bizarre de nommer fruit quelque chose d'origine animale et pas végétale, non?")
Marcher longtemps et rire beaucoup ont un effet particulièrement exaltant quand on les pratique au bord des vagues, des dunes, des ports et des villas désertes dont on aperçoit la silhouette bourgeoise entre d'épais feuillages que le jardinier de la propriété se garde bien d'élaguer. Aucun de nous ne connait la sensation de se retrouver, l'été, dans une maison de famille, avec des vieilles bandes dessinées dans la chambre et une tarte aux pêches dans le four. Nous parlons de cela.
Le soir nous dormons dans une chambre d'hôtes avec des magazines de jardinage et d'autres de voiles dans le grand panier en osier. Nous nous retrouvons à dîner dans le même endroit que notre hôtesse, mais pas à la même table, ouf. Il y a du bar grillé avec du riz sauvage aux légumes, délicieux. Après le dessert, nous marchons le long de l'eau mais il fait si noir que les flots se confondent avec la nuit et on ne peut pas descendre sur la plage parce que les sandales scandinaves portées avec des collants ne sont pas compatibles avec le sable mouvant. Alors nous écoutons la mer les cheveux emmêlés.
Au petit-déjeuner, il y a de la confiture de rhubarbe et d'abricot sur la nappe à pois mais je me concentre sur la brioche locale, avec des petits raisins secs étonnamment bienvenus. Puis au marché près de l'église, nous grappillons pour le retour quelques tomates et des cocos frais de Paimpol et puis du pain dans une boulangerie qui fait aussi épicerie, salon de thé et lieu de commande pour le couscous du vendredi et le kig ha farz tous les premiers samedis du mois.
Nous marchons, nous marchons, sur les sentiers, sur les galets, entre les rochers recouverts d'algues, le long des chemins où courent les mûriers. Au retour, nous pensions qu'il était trop tard mais, alors que la plupart des gens sirotaient leur café post-prandial, on nous a gentiment installés à une petite table à l'écart, pour voir la mer en se réchauffant autour d'une petite montagne de moules au gingembre et au citron confit. La fumée aurait fait de la buée sur ses lunettes s'il en avait encore porté.
Une dernière promenade avant de rentrer, sur la langue de sable qui avance dans la mer et où il avait évoqué, il y a de ça des années maintenant, du temps des tennis rouge et bleu et des pantalons en velours finement côtelé, la danse lente des méduses telle que la décrit Paul Valéry.
Evidemment, la vie, ce n'est pas que des weekends en bord de mer. C'est aussi les longues journées de travail et rentrer vraiment tard, avec dans les oreilles un milliard d'histoires dures, injustes, cruelles, ou qui rendent tout simplement les gens maladroits de leur existence, ce qui est déjà beaucoup. C'est aussi prendre le train l'angoisse au ventre, la même que lorsque le téléphone sonne alors que ce n'est pas du tout une heure pour sonner. C'est se disputer un peu aussi, de temps en temps, pour des malentendus douteux que catalysent l'angoisse et la fatigue.
Evidemment, il n'est pas nécessaire de partir en bord de mer à chaque fois que la vie trébuche. On peut aussi dîner en terrasse à l'improviste et partager à l'occasion une pizza inattendue, coppa, gorgonzola et pêche pochée. Ou essayer de manger proprement un éclair au citron au soleil, en fin d'après-midi. Aller boire un thé vert et grignoter un cupcake à la myrtille.
Acheter plein de livres et les dévorer, les uns après les autres, comme on dévore les petites crevettes bouquet du samedi, avec une mayonnaise corsée, préparée à la cuillère par G.
Déjeuner tous les mardis à Petite Nature et regretter chaque fois que ni C. ni S. n'habitent ici parce qu'elles aimeraient forcément le Bol Dragon (et le veggie banh mi !).
Commander six madeleines au chocolat pour le goûter (c'est-à-dire que ce sont des madeleines classiques mais entièrement recouvertes d'une couche épaisse comme un petit manteau de chocolat noir. Il dit que ça lui rappelle les madeleines Bijou, en mieux).
Et puis, aller au cinéma voir Saint Laurent et aimer pour toujours le tout début du film, la voix de Saint Laurent au téléphone, et un peu plus tard le moment où Valéria Bruni-Tedeschi essaie un ensemble sous l'oeil aigu, sensible et bienveillant du styliste. Repenser à cette scène me fait monter les larmes aux yeux.

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