If you're feeling sinister (noodle soup & tempura)
A la boulangerie, ce matin, le vieux monsieur devant moi demande une baguette ordinaire, pas trop cuite, et un palmier. La vendeuse entend un pain de mie et propose gentiment: nature ou chocolat? Je souris de ce malentendu gourmand.
Sur le chemin du retour, j'aperçois ma silhouette maladroite dans le miroir des vitrines, je vois le cheveu pas coiffé, le jean gris, la chemise froissée et le cardigan emprunté à G. Je repense aux petits-déjeuners portugais que l'on aperçoit à plusieurs reprises dans le dernier film de Manoel de Oliveira, le petit pain blanc et rond, le beurre très pâle, la marmelade sombre, le café au lait, le tout servi dans de la faïence bleue et blanche.
Arrivée à la maison, je prépare un café, je fais bouillir le lait pour un chocolat, je presse des oranges, je rassemble sur un plateau le butin de la boulangerie et j'avance à petit pas sur le parquet qui craque, les tasses sont remplies à ras bord.
Il a souri et dimanche a commencé comme ça.
****
La veille, dans une librairie pour enfants, il demande très sérieusement à la jeune femme qui y travaille si elle a Pan et Chat, une série d'albums d'Aki. J'en choisis deux, que nous lirons à une terrasse ensoleillée. J'aime beaucoup les larmes de Pan quand Chat lui manque et les petites mines perfides de Yoko. Aki a le chic pour saisir sur l'instant l'émotion décisive (observer un gâteau à travers la vitre d'un four devient par exemple terriblement poétique).
****
Hervé Guibert, quant à lui, explique qu'une photographie réussie est celle qui aura restitué l'émotion du photographe au moment où il appuie sur le déclencheur.
Quand j'ai dit à mes parents que je me servais du Minolta argentique qu'ils connaissent bien, ma mère s'est inquiétée, pensant que je n'avais pas assez d'argent pour avoir un appareil plus moderne. Ce fut compliqué de lui expliquer que j'aime le suspense de l'argentique, l'imperfection possible du résultat, l'attente du développement qui cristallise le souvenir, et simplement le petit bruit de l'obturateur.
J'aime par-dessus tout le cliché du revers boutonné de la manche de sa veste au-dessus du panier en bambou lorsque Lu. s'apprête à goûter ses dim-sum et aussi le profil de G. le matin, feuilletant un journal à la table du petit-déjeuner.
En haut à gauche, ce sont les reliefs d'un goûter au salon de thé polonais près de la fac de médecine, où j'ai dû m'arrêter un après-midi, saisie d'un vertige après avoir remis les pieds à la bibliothèque universitaire que je n'ai pas fréquentée depuis des années, et où j'ai vu, depuis l'étage dévolu au troisième cycle, les grappes d'étudiants de première année, réviser dans un silence studieux et triste. Je ne pouvais jamais venir travailler à la bibliothèque parce que je passais mon temps à imaginer la vie des autres, me demandant ce que telle fille qui semblait peiner en chimie organique mangerait ce soir-là au dîner, me demandant si tel garçon écoutait France culture et tout simplement lesquels d'entre nous auraient le concours.
En bas à gauche, c'est le comptoir de Black Temple où je me suis faufilée un soir vers 22 heures. Je ne sais plus à quoi je ressemblais mais toujours est-il que les garçons qui s'affairaient en cuisine m'ont dévisagée et m'ont demandé si je voulais un renseignement, comme si je m'étais égarée chez eux. On aurait dit que je n'avais pas la tête à manger des samoussa de légumes ou un rougail saucisses. Une fois le malentendu dissipé et après une conversation animée sur le bien-fondé de l'existence des sandwiches-baguettes (moi j'aime bien), on m'a conseillé le poulet créole avec du rice and peas. C'était servi dans une petite boîte cartonnée comme celles remplies de chinese food dévorée par Marielle Hemingway et Woody Allen dans Manhattan. J'ai découvert en l'ouvrant, assise en tailleur sur le canapé de mon bureau, que le poulet était super fondant, très savoureux, tout comme le riz, un peu frit, un peu grillé. Mon seul petit reproche serait que la sauce manquait de relief mais j'ai déjà proposé à G. d'y retourner pour goûter les samoussa la prochaine fois qu'on irait au cinéma, juste à côté.
En bas à droite, il y a les scones et le cheesecake au citron que vous pouvez retrouver à Apple pie, un salon de thé irlandais où Lisa prépare ses pâtisseries à partir des produits de la ferme qu'elle tient avec son mari, aux environs de Rennes. La farine est donc fraîchement moulue, les pommes viennent du verger. Le reste est biologique, de saison et autant que possible, équitable. Ce jour-là, l'apple pie cachait des figues séchées sous sa croûte épaisse et les petits carrés de chocolat aux raisins secs et aux miettes de biscuits, servis avec un filet de sirop d'agave, étaient absolument addictifs. J'aurais bien aimé que mon chocolat chaud le soit davantage (chaud) mais sinon, c'était délicieux et je vais surveiller de près le jour où Lisa sert du Irish Stew au déjeuner.
****
En préparant ensemble les nouilles, leur bouillon et les tempura qui les accompagneraient dignement, il a proposé de (re)voir Baisers volés. Alors après le dîner nous avons retourné les deux fauteuils années 50 chinés à la rentrée, nous avons déplié sur nos genoux le grand plaid groseille et nous nous sommes extasiés sur Delphine Seyrig qui n'a pas son pareil pour expliquer la différence entre le tact et la politesse. Je n'avais jamais remarqué pour ma part qu'Antoine Doinel grignote des morceaux de pain tartinés de moutarde quand il dîne chez les parents de Christine.
Et dimanche s'est terminé comme ça.
Si jamais vous aviez quelque difficulté à surmonter les mélancolies dominicales, le ralentissement ronflant du dimanche provincial, si une soudaine ultra-moderne solitude venait à vous étreindre, je vous conseille la préparation amoureuse d'un dîner japonais, simple et délicat, comme ils savent le faire.
Le bouillon est un bouillon de poule agrémenté de divers légumes (carottes, poireau, oignon nouveau, épinards), réchauffé par trois rondelles de gingembre et des grains de poivre du Cambodge. Les tempura, de grosses crevettes et de potimarron, ont été préparés en suivant l'impeccable recette d'un fin connaisseur.
Une petite coupelle de sauce Miyako no Tsuyu et une tasse de thé Hida no Tamaré* seront de bon aloi, je vous laisse choisir le disque qui accompagnera le repas.
*Le thé Hida no Tamaré, de première récolte, est cultivé à Mino Ibi et fabriqué dans la région montagneuse de Hida. La méthode traditionnelle de fabrication consiste à griller lentement et à feu doux les feuilles de thé cultivées dans le froid, en amont de la rivière Ibi. A découvrir chez Jugetsudo et à faire infuser à peine trente secondes dans une eau à 85°.
Le cheval bleu (salon de thé polonais) 1 rue Anatole France
Black Temple (cuisine créole) 4 passage des Carmélites
Apple pie (salon de thé irlandais) 31 rue de la Chalotais
Sur le chemin du retour, j'aperçois ma silhouette maladroite dans le miroir des vitrines, je vois le cheveu pas coiffé, le jean gris, la chemise froissée et le cardigan emprunté à G. Je repense aux petits-déjeuners portugais que l'on aperçoit à plusieurs reprises dans le dernier film de Manoel de Oliveira, le petit pain blanc et rond, le beurre très pâle, la marmelade sombre, le café au lait, le tout servi dans de la faïence bleue et blanche.
Arrivée à la maison, je prépare un café, je fais bouillir le lait pour un chocolat, je presse des oranges, je rassemble sur un plateau le butin de la boulangerie et j'avance à petit pas sur le parquet qui craque, les tasses sont remplies à ras bord.
Il a souri et dimanche a commencé comme ça.
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La veille, dans une librairie pour enfants, il demande très sérieusement à la jeune femme qui y travaille si elle a Pan et Chat, une série d'albums d'Aki. J'en choisis deux, que nous lirons à une terrasse ensoleillée. J'aime beaucoup les larmes de Pan quand Chat lui manque et les petites mines perfides de Yoko. Aki a le chic pour saisir sur l'instant l'émotion décisive (observer un gâteau à travers la vitre d'un four devient par exemple terriblement poétique).
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Hervé Guibert, quant à lui, explique qu'une photographie réussie est celle qui aura restitué l'émotion du photographe au moment où il appuie sur le déclencheur.
Quand j'ai dit à mes parents que je me servais du Minolta argentique qu'ils connaissent bien, ma mère s'est inquiétée, pensant que je n'avais pas assez d'argent pour avoir un appareil plus moderne. Ce fut compliqué de lui expliquer que j'aime le suspense de l'argentique, l'imperfection possible du résultat, l'attente du développement qui cristallise le souvenir, et simplement le petit bruit de l'obturateur.
J'aime par-dessus tout le cliché du revers boutonné de la manche de sa veste au-dessus du panier en bambou lorsque Lu. s'apprête à goûter ses dim-sum et aussi le profil de G. le matin, feuilletant un journal à la table du petit-déjeuner.
En haut à gauche, ce sont les reliefs d'un goûter au salon de thé polonais près de la fac de médecine, où j'ai dû m'arrêter un après-midi, saisie d'un vertige après avoir remis les pieds à la bibliothèque universitaire que je n'ai pas fréquentée depuis des années, et où j'ai vu, depuis l'étage dévolu au troisième cycle, les grappes d'étudiants de première année, réviser dans un silence studieux et triste. Je ne pouvais jamais venir travailler à la bibliothèque parce que je passais mon temps à imaginer la vie des autres, me demandant ce que telle fille qui semblait peiner en chimie organique mangerait ce soir-là au dîner, me demandant si tel garçon écoutait France culture et tout simplement lesquels d'entre nous auraient le concours.
En bas à gauche, c'est le comptoir de Black Temple où je me suis faufilée un soir vers 22 heures. Je ne sais plus à quoi je ressemblais mais toujours est-il que les garçons qui s'affairaient en cuisine m'ont dévisagée et m'ont demandé si je voulais un renseignement, comme si je m'étais égarée chez eux. On aurait dit que je n'avais pas la tête à manger des samoussa de légumes ou un rougail saucisses. Une fois le malentendu dissipé et après une conversation animée sur le bien-fondé de l'existence des sandwiches-baguettes (moi j'aime bien), on m'a conseillé le poulet créole avec du rice and peas. C'était servi dans une petite boîte cartonnée comme celles remplies de chinese food dévorée par Marielle Hemingway et Woody Allen dans Manhattan. J'ai découvert en l'ouvrant, assise en tailleur sur le canapé de mon bureau, que le poulet était super fondant, très savoureux, tout comme le riz, un peu frit, un peu grillé. Mon seul petit reproche serait que la sauce manquait de relief mais j'ai déjà proposé à G. d'y retourner pour goûter les samoussa la prochaine fois qu'on irait au cinéma, juste à côté.
En bas à droite, il y a les scones et le cheesecake au citron que vous pouvez retrouver à Apple pie, un salon de thé irlandais où Lisa prépare ses pâtisseries à partir des produits de la ferme qu'elle tient avec son mari, aux environs de Rennes. La farine est donc fraîchement moulue, les pommes viennent du verger. Le reste est biologique, de saison et autant que possible, équitable. Ce jour-là, l'apple pie cachait des figues séchées sous sa croûte épaisse et les petits carrés de chocolat aux raisins secs et aux miettes de biscuits, servis avec un filet de sirop d'agave, étaient absolument addictifs. J'aurais bien aimé que mon chocolat chaud le soit davantage (chaud) mais sinon, c'était délicieux et je vais surveiller de près le jour où Lisa sert du Irish Stew au déjeuner.
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En préparant ensemble les nouilles, leur bouillon et les tempura qui les accompagneraient dignement, il a proposé de (re)voir Baisers volés. Alors après le dîner nous avons retourné les deux fauteuils années 50 chinés à la rentrée, nous avons déplié sur nos genoux le grand plaid groseille et nous nous sommes extasiés sur Delphine Seyrig qui n'a pas son pareil pour expliquer la différence entre le tact et la politesse. Je n'avais jamais remarqué pour ma part qu'Antoine Doinel grignote des morceaux de pain tartinés de moutarde quand il dîne chez les parents de Christine.
Et dimanche s'est terminé comme ça.
Si jamais vous aviez quelque difficulté à surmonter les mélancolies dominicales, le ralentissement ronflant du dimanche provincial, si une soudaine ultra-moderne solitude venait à vous étreindre, je vous conseille la préparation amoureuse d'un dîner japonais, simple et délicat, comme ils savent le faire.
Le bouillon est un bouillon de poule agrémenté de divers légumes (carottes, poireau, oignon nouveau, épinards), réchauffé par trois rondelles de gingembre et des grains de poivre du Cambodge. Les tempura, de grosses crevettes et de potimarron, ont été préparés en suivant l'impeccable recette d'un fin connaisseur.
Une petite coupelle de sauce Miyako no Tsuyu et une tasse de thé Hida no Tamaré* seront de bon aloi, je vous laisse choisir le disque qui accompagnera le repas.
*Le thé Hida no Tamaré, de première récolte, est cultivé à Mino Ibi et fabriqué dans la région montagneuse de Hida. La méthode traditionnelle de fabrication consiste à griller lentement et à feu doux les feuilles de thé cultivées dans le froid, en amont de la rivière Ibi. A découvrir chez Jugetsudo et à faire infuser à peine trente secondes dans une eau à 85°.
Le cheval bleu (salon de thé polonais) 1 rue Anatole France
Black Temple (cuisine créole) 4 passage des Carmélites
Apple pie (salon de thé irlandais) 31 rue de la Chalotais