Les parties de Memory (les petites crèmes au chocolat de Léna)

Un jour, Edu Simoes a décidé de photographier le contenu des gamelles de déjeuner des ouvriers d'un chantier de Sao Paulo. Il raconte que malgré leur fatigue et leur faim toutes deux fracassantes, aucun d'entre eux n'a refusé de montrer son repas préparé la veille par une femme bien intentionnée. Edu Simoes explique avec pudeur que la composition de ces boîtes rondes, rectangulaires ou carrées en disent long sur les disparités sociales des travailleurs appartenant pourtant au même chantier. Toutes les gamelles comportent des haricots ou du riz, celles des plus heureux révèlent aussi quelques ailes de poulet ou des tranches de lard, voire un peu de boeuf haché, mais parfois, il n'y a qu'un oeuf frit et surtout, les quantités me paraissent dérisoires comparées à la force physique probablement requise par ceux à qui elles sont destinées.
Cette série de photographies d'Edu Simoes est à contempler au sous-sol de la MEP, très peu fréquentée le dimanche en fin d'après-midi. Un bon moment aussi pour se sentir minuscule devant un cliché de Martine Franck où l'on voit Vieira da Silva et Arpad Szenes, très âgés, se regarder l'oeil pétillant d'amour et d'histoires communes.

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Tout près, juste après, nous passons un long moment à la librairie Artazart. J'y ai toujours un peu le vertige devant les livres de photos archi tentants (premier livre de Martin Parr, polaroïds berlinois, Depardon seul à Manhattan). J'y ai surpris G. glisser un paquet dans son sac...
Plus tard, sur les conseils de M. que j'ai été ravie de revoir dans un bel endroit, nous avons adoré à la Maison Rouge la collection Olbricht joliment intitulée Mémoires du futur. Vous verrez, entre autre, tout le long du couloir au début de l'exposition, le visage changeant des quatre soeurs Brown photographiées ensemble pendant trente-six ans à Cincinnatti. Je n'ai pas pu m'empêcher de penser aux soeurs Lisbon de Virgin Suicides qui n'ont pas eu le temps de voir leurs cheveux blanchir, les veines de leurs mains devenir plus apparentes, leur sourire se rider. Expérience étrange.
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Lui, dans son manteau anglais, moi dans ma veste en tweed trop grande, nous avons remonté à toute berzingue le Faubourg Saint Denis glacé pour aller voir Memory, une autre expérience des années perdues qui vous flouent.
Dans son nouveau spectacle, Vincent Delerm incarne le rôle de Simon, un garçon qui autrefois fut amoureux de Sandrine, une fille assez déroutante, particulièrement lors d'une fête foraine. Un garçon surtout qui ne peut pas écouter Avec le temps autrement qu'en italien sur une vieille cassette parce qu'il faut bien avouer que c'est assez insupportable d'angoisse d'entendre Et l'on se sent glacé dans un lit de hasard...Simon retient ce qui est pourtant si facilement dévolu à l'oubli nécessaire de la vie qui avance et en cela, je m'en sens assez proche. Alors qu'il évoquait déjà dans ses chansons le souvenir futile mais farouchement aggripé à une mémoire solide des moments dont certains ne comprennent régulièrement pas la nécessité personnelle (révisions du bac avec une fille au mois de juin, interclasses de volley, voyage scolaire à Sestrières, feu d'artifice sur un talus à Biarritz, vos yeux dans l'autocar, tout ce qui ne reviendra jamais), le spectacle leur laisse cette fois toute la place. Cela m'a ravie puisqu'on m'a souvent reproché de me souvenir de ce qui ne sert à rien alors qu'ici, il devient prétexte à tout.
J'ai bien aimé aussi la convocation incessante de ceux qui ont toujours habité son univers amer et doux à la fois: Woody Allen se lance dans un monologue introductif où il est question de l'âge auquel George Harrison a quitté les Beatles, Barbara et Souchon passent à la radio, Antoine Doinel va au cinéma pendant une semaine et se dit tristement que fréquenter enfin cette fille si belle, ce n'est peut-être pas aussi bien que juste convoiter cette fille si belle. Et aussi qu'il est tellement étrange d'être obsédé par quelque chose à 11 heures du matin qui n'a plus vraiment d'importance à 18 heures le même jour.
C'est dans ce décalage névrotique qu'infiltre le ravissement de la soirée, renforcé par le jeu extrêmement varié auquel se livre Delerm: il danse (revanche sur les boums immobiles), fait de la bicyclette, jongle, et manie même la raquette face à un adversaire qui n'est finalement que lui-même ou bien les fantômes des grands joueurs des années 80-90 dont il évoque les noms avec tendresse et ironie.
Ainsi, le spectacle distille aussi une légère tristesse, une vague appréhension un peu angoissante. Cela se ressent très fort dès le premier quart d'heure quand sont projetés des films de famille, récupérés par Delerm dans des vide-greniers et mis en perspective avec des images de cimetière et une chanson où le refrain répète Nous sommes vivants...Que sont devenus ces couples qui dansaient dans un salon au papier peint fleuri en attendant le gâteau d'anniversaire de quelqu'un probablement mort désormais? Qu'est devenue cette jeune fille filmée au mois d'août en fin d'après-midi? Ma gorge se serre. Elle se serre encore plus devant ce que je vois comme la mise en scène de sa disparition à lui, le visage grimé et tout blanc, s'évanouissant.
Tout cela se bousculait sous ma veste en tweed et j'étais incapable d'attendre de le voir après le spectacle.
Plus tard, je découvrais que j'aimais la glace au café, le goût de l'amer sans doute.
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Pour le retour en train, nous avions tout prévu. Petites verrines du Pain Sucre, à déguster avec des petites cuillères dorées puis une de leurs belles tourtes, à la farine de sarrasin, à réchauffer à la maison dès l'arrivée. Pour patienter, la lecture enthousiasmante de Whiskey & New York, la bande dessinée autobiographique de Julia Wertz qui décide à vingt-cinq ans de quitter San Francisco, sa vue sur la baie, ses appartements victoriens, ses hipsters cool (c'est elle qui le dit) et sa nourriture mexicaine parfaite pour aller s'installer dans divers appartements pas toujours très avenants de Brooklyn. Julia est l'incarnation d'une lose assumée, traînant ses cheveux sales et plats et son sac déchiré aux rendez-vous professionnels, se faisant renvoyer de plusieurs petits boulots, passant parfois sa journée dans des cinémas de Manhattan à s'alcooliser. Evitant soigneusement les fruits et légumes frais, elle préfère plutôt les bagels, les pizzas et surtout les bloody Mary. Julia ne mâche pas ses mots et son autodérision parfois pathétique la rend super attachante. Mon seul petit regret et de ne pas l'avoir lu en anglais!
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La veille du départ, je me souviens, il avait plu toute la journée. Avec Léna, nous nous sommes retrouvées dans un salon de thé assez nul où il n'y avait plus rien à manger (enfin, on n'avait pas très envie d'une hérétique tarte à la courgette de décembre et encore moins de la salade de pommes de terre froide aux lardons) sauf cette tarte au citron qui nous faisait un peu envie mais dont la pâte ne pouvait dissimuler sa terrible origine purement industrielle. En plus, le thé était mal infusé! Mais nous étions de bonne humeur et notre conversation se suffisait à elle-même pour nous animer (j'ai quand même pris la précaution de prévenir G. qu'il n'était pas nécessaire qu'il affronte la pluie pour nous rejoindre vu le contenu de l'assiette).
Plus tard dans la soirée, comme G. et Léna avaient réclamé en choeur du boeuf aux oignons (je ne sais plus vraiment comment nous en étions arrivés là) et qu'ils avaient fini par m'en donner envie, j'ai suggéré une boeuf aux oignons party. Bon, il était déjà assez tard et le frigo était plutôt vide puisque nous partions le lendemain alors je ne remercierais pas assez le petit traiteur grec chez qui nous avons choisi des tiropita et des beignets de légumes parfaits pour apaiser l'impatience de trois personnes qui n'avaient pas mangé grand chose de la journée. Le boucher avait gentiment détaillé de la poire (de boeuf donc) en lamelles, nous avions quelques oignons roses.
J'ai apporté les assiettes brûlantes avec une petite appréhension, j'avais à faire à de fins amateurs de boeuf aux oignons! J'ai guetté leur sourire, j'ai eu l'impression que ça leur plaisait bien, chic.
Pour le dessert autour de la table basse chinée, pas le temps ni vraiment l'envie ce soir-là de servir autre chose que les petites crèmes de Pascal Beillevaire, et aussi son riz au lait au caramel beurre salé. Personne n'était très fan du riz au lait mais avec le caramel, hmmmm, on va dire qu'il a été envisagé autrement... Quand elle a goûté la crème au chocolat, Léna a tout de suite fait le rapprochement avec celle qu'elle prépare quand son amoureux est tenté par celle de la malhonnête laitière. J'aime tellement ça que je lui ai fait promettre de me donner la recette... (que je recopie)

Les petites crèmes au chocolat de LénaPour 6 à 8 ramequins:
150 g de chocolat noir ; 50 cl lait entier ; 4 jaunes d'œuf + 1 œuf ; 80 g sucre
Faire fondre le chocolat avec un peu d'eau. Une fois fondu, ajouter le lait entier, remuer quelques minutes à feu doux, jusqu'à obtention d'un lait chocolaté.
Dans un saladier, battre les jaunes d'œuf avec l'œuf, ajouter le sucre, bien fouetter. Verser le lait chocolaté dans le saladier, mélanger.
Faire cuire 30 minutes au four préchauffé à 150°c, au bain-marie.
A priori, le point crucial est la cuisson. Privilégier les petits contenants parce qu'elle sera plus homogène et les crèmes seront bien soyeuses. Léna utilise des toutes petites tasses comme ça:

Elles sont vraiment délicieuses, à savourer debout dans la cuisine, mais aussi avec une gavotte et des quartiers de clémentine acidulée.
Bob's kitchen 74 rue des Gravilliers
L'ouvre-boîte a ouvert il y a quelques mois au 20 rue des petites écuries, à soutenir parce que c'est courageux d'ouvrir une librairie! Le libraire est charmant et la sélection très alléchante.
Nanashi 31 rue de Paradis
Claus 14 rue Jean-Jacques Rousseau
Sésame 51 quai de Valmy
Artazart 83 quai de Valmy
A bientôt!
150 g de chocolat noir ; 50 cl lait entier ; 4 jaunes d'œuf + 1 œuf ; 80 g sucre
Faire fondre le chocolat avec un peu d'eau. Une fois fondu, ajouter le lait entier, remuer quelques minutes à feu doux, jusqu'à obtention d'un lait chocolaté.
Dans un saladier, battre les jaunes d'œuf avec l'œuf, ajouter le sucre, bien fouetter. Verser le lait chocolaté dans le saladier, mélanger.
Faire cuire 30 minutes au four préchauffé à 150°c, au bain-marie.
A priori, le point crucial est la cuisson. Privilégier les petits contenants parce qu'elle sera plus homogène et les crèmes seront bien soyeuses. Léna utilise des toutes petites tasses comme ça:
Elles sont vraiment délicieuses, à savourer debout dans la cuisine, mais aussi avec une gavotte et des quartiers de clémentine acidulée.
Bob's kitchen 74 rue des Gravilliers
L'ouvre-boîte a ouvert il y a quelques mois au 20 rue des petites écuries, à soutenir parce que c'est courageux d'ouvrir une librairie! Le libraire est charmant et la sélection très alléchante.
Nanashi 31 rue de Paradis
Claus 14 rue Jean-Jacques Rousseau
Sésame 51 quai de Valmy
Artazart 83 quai de Valmy
A bientôt!
Libellés : chocolat, en balade, Julia Wertz, livres, Paris, recette, Vincent Delerm