J'ai aimé comment, dans l'été lancinant (nous partons bientôt)
Ce soir, nous ferons nos valises et nous nous apprêterons à retrouver le goût des canelés grignotés dans les rues bordelaises entre deux librairies et deux terrasses, à retrouver à Biarritz les cocktails au crépuscule sur les tables minuscules du bar caché dans les rochers, les tapas aux oursins et au foie gras à côté du marché, les poissons grillés sur le port, les glaces en pleine nuit, et la ligne des montagnes fumante de brume depuis la plage des Basques.
Pour tempérer l'impatience et ne pas se laisser envahir par un malaise estival récurrent (oui, chaque année, les journées d'été et surtout les soirées me mettent dans un état particulier. Je repense tristement aux étés de l'enfance remplis d'ennui et de solitude misérable, aux étés adolescents fragiles et intimement tumultueux. J'ai tout à coup envie d'écrire à des personnes portées disparues sans parvenir à le faire parce qu'il y a trop de temps à rattraper et que cela serait trop fastidieux. Je repense aussi à l'année qui vient de s'écouler, les doutes qu'elle laisse en suspens. C'est un peu comme si les souvenirs accumulés depuis tant d'années affleuraient en tanguant à la surface de ma conscience), je m'applique.
Je réserve une table en terrasse du Tire-Bouchon pour le dernier dîner de la saison. Leurs vacances étaient proches, restait à faire le grand ménage. Marianne avait passé l'après-midi à nettoyer l'arrière de l'immense fourneau en fonte noire. Ce soir-là, elle servait de plantureuses assiettes d'échine de cochon rôtie qui faisaient l'admiration de nos heureux voisins. W., pour sa part, a demandé avec une timidité malicieuse s'il pouvait avoir un peu plus de jus. Qui c'est qui réclame a demandé Marianne, la réponse de la serveuse fut suivie d'un remplissage de petit bol de sauce brune et parfumée dont W. n'a pas osé laisser une goutte (je me suis dévouée pour l'aider à finir).
Je prépare des bruschetta qu'il dévore en demandant tout le temps ce que je mets pour que ce soit si bon, et des spaghettis à la tomate crue, avec du basilic ou des fleurs de thym frais. J'aime surtout les tomates de l'île de Batz, bien juteuses, celles du maraîcher bio du marché des Lices juste en bas de l'escalier à droite (celui qui vend des superbes bottes de betteraves, du chou pointu et du fenouil bien croquant) et celles des Bocel, Jean-Paul et Vincent (pas Eric, nuance), toutes difformes mais hyper goûteuses et parfumées.
Je me laisse entraîner, comme si j'avais les yeux bandés, le long d'un après-midi de surprises secrètement complotées par W. pour une journée particulière. Tout était si parfait que j'en fus longtemps troublée. Il y avait une pavlova délicieuse, légère comme un nuage, où se mêlaient des fruits frais et éclatants et une crème fouettée à la vanille toute douce. Il y avait aussi un nouvel appareil argentique et l'obstination à photographier une piscine dont le plongeoir finissait absurdement dans la mer. Il y avait un polaroïd dont on n'a pas osé regarder le résultat tout de suite. Il y avait un pot de gelée de thé poires-coings resté au magasin parce que les morceaux de coings étaient trop gros. Il y avait un manteau en tweed rose orangé qui laissait songeur sur mes contradictions Mais en fait tu voulais un truc assez intemporel non? Il y avait des livres emballés dans du papier cadeau vintage (Non mais cette Sophie Calle, elle est vraiment trop forte parce qu'elle va jusqu'au bout, même si cela parait un peu fou). Il y avait un gros rocher pour s'adosser en fin de journée sur une plage un peu isolée, et regarder la mer se retirer, doucement. Il y avait un restaurant auquel je n'avais jamais trop pensé mais qui était alors là, vraiment vraiment bon. Surtout le homard dans un velouté méconnaissable de chou-fleur aux parfums de tomate rôtie, de yuzu et de basilic et puis aussi les tranches d'entrecôte à saucer de façon indécente dans un jus corsé et sucré à la fois. Le dessert, une pêche blanche pochée, posée sur un granité d'umeshu et de menthe aux côtés d'un sorbet au lait ribot et de meringues très fines et délicates à la prune séchée, dessinait comme un petit tableau aux couleurs tendres sur la grande assiette blanche. Il a tendu un dernier paquet, j'ai eu le rose aux joues.
Dimanche, dans la fraîcheur du jour qui commence, je tire les rideaux du bureau et je me prépare pour une séance personnelle de Masculin Féminin. J'ai une immense tendresse pour Jean-Pierre Léaud dans ce film; parce qu'il n'arrive à rien il me touche à chaque plan. J'aime toutes les scènes de café, le constat preuve à l'appui qu'on ne peut pas comprendre quelqu'un en se mettant à sa place, le flipper, le photomaton, l'enregistrement d'un disque à message personnel dans la petite cabine, le plat de purée qu'il partage avec Marlène Jobert (et la façon dont il la sert, généreusement, pendant qu'elle lui verse un verre de vin de la carafe), j'aime les petites interviews de très jeunes filles, leurs manteaux trapézoïdaux, l'écharpe graphique de Chantal Goya, le fait de commander un Vittel-cassis... J'ai l'impression qu'il s'agit exactement de mon monde à moi, mon monde le plus intime.
A la radio, Fanny Ardant s'entretient avec Frédéric Taddéï et dit que le tragique, ce n'est pas la mort, mais le fait de passer à côté du bonheur.
Pour tempérer l'impatience et ne pas se laisser envahir par un malaise estival récurrent (oui, chaque année, les journées d'été et surtout les soirées me mettent dans un état particulier. Je repense tristement aux étés de l'enfance remplis d'ennui et de solitude misérable, aux étés adolescents fragiles et intimement tumultueux. J'ai tout à coup envie d'écrire à des personnes portées disparues sans parvenir à le faire parce qu'il y a trop de temps à rattraper et que cela serait trop fastidieux. Je repense aussi à l'année qui vient de s'écouler, les doutes qu'elle laisse en suspens. C'est un peu comme si les souvenirs accumulés depuis tant d'années affleuraient en tanguant à la surface de ma conscience), je m'applique.
Je réserve une table en terrasse du Tire-Bouchon pour le dernier dîner de la saison. Leurs vacances étaient proches, restait à faire le grand ménage. Marianne avait passé l'après-midi à nettoyer l'arrière de l'immense fourneau en fonte noire. Ce soir-là, elle servait de plantureuses assiettes d'échine de cochon rôtie qui faisaient l'admiration de nos heureux voisins. W., pour sa part, a demandé avec une timidité malicieuse s'il pouvait avoir un peu plus de jus. Qui c'est qui réclame a demandé Marianne, la réponse de la serveuse fut suivie d'un remplissage de petit bol de sauce brune et parfumée dont W. n'a pas osé laisser une goutte (je me suis dévouée pour l'aider à finir).
Je prépare des bruschetta qu'il dévore en demandant tout le temps ce que je mets pour que ce soit si bon, et des spaghettis à la tomate crue, avec du basilic ou des fleurs de thym frais. J'aime surtout les tomates de l'île de Batz, bien juteuses, celles du maraîcher bio du marché des Lices juste en bas de l'escalier à droite (celui qui vend des superbes bottes de betteraves, du chou pointu et du fenouil bien croquant) et celles des Bocel, Jean-Paul et Vincent (pas Eric, nuance), toutes difformes mais hyper goûteuses et parfumées.
Je me laisse entraîner, comme si j'avais les yeux bandés, le long d'un après-midi de surprises secrètement complotées par W. pour une journée particulière. Tout était si parfait que j'en fus longtemps troublée. Il y avait une pavlova délicieuse, légère comme un nuage, où se mêlaient des fruits frais et éclatants et une crème fouettée à la vanille toute douce. Il y avait aussi un nouvel appareil argentique et l'obstination à photographier une piscine dont le plongeoir finissait absurdement dans la mer. Il y avait un polaroïd dont on n'a pas osé regarder le résultat tout de suite. Il y avait un pot de gelée de thé poires-coings resté au magasin parce que les morceaux de coings étaient trop gros. Il y avait un manteau en tweed rose orangé qui laissait songeur sur mes contradictions Mais en fait tu voulais un truc assez intemporel non? Il y avait des livres emballés dans du papier cadeau vintage (Non mais cette Sophie Calle, elle est vraiment trop forte parce qu'elle va jusqu'au bout, même si cela parait un peu fou). Il y avait un gros rocher pour s'adosser en fin de journée sur une plage un peu isolée, et regarder la mer se retirer, doucement. Il y avait un restaurant auquel je n'avais jamais trop pensé mais qui était alors là, vraiment vraiment bon. Surtout le homard dans un velouté méconnaissable de chou-fleur aux parfums de tomate rôtie, de yuzu et de basilic et puis aussi les tranches d'entrecôte à saucer de façon indécente dans un jus corsé et sucré à la fois. Le dessert, une pêche blanche pochée, posée sur un granité d'umeshu et de menthe aux côtés d'un sorbet au lait ribot et de meringues très fines et délicates à la prune séchée, dessinait comme un petit tableau aux couleurs tendres sur la grande assiette blanche. Il a tendu un dernier paquet, j'ai eu le rose aux joues.
Dimanche, dans la fraîcheur du jour qui commence, je tire les rideaux du bureau et je me prépare pour une séance personnelle de Masculin Féminin. J'ai une immense tendresse pour Jean-Pierre Léaud dans ce film; parce qu'il n'arrive à rien il me touche à chaque plan. J'aime toutes les scènes de café, le constat preuve à l'appui qu'on ne peut pas comprendre quelqu'un en se mettant à sa place, le flipper, le photomaton, l'enregistrement d'un disque à message personnel dans la petite cabine, le plat de purée qu'il partage avec Marlène Jobert (et la façon dont il la sert, généreusement, pendant qu'elle lui verse un verre de vin de la carafe), j'aime les petites interviews de très jeunes filles, leurs manteaux trapézoïdaux, l'écharpe graphique de Chantal Goya, le fait de commander un Vittel-cassis... J'ai l'impression qu'il s'agit exactement de mon monde à moi, mon monde le plus intime.
A la radio, Fanny Ardant s'entretient avec Frédéric Taddéï et dit que le tragique, ce n'est pas la mort, mais le fait de passer à côté du bonheur.
Libellés : cinéma, en balade, Jean-Luc Godard, Minolta, Rennes