Remember lovers never lose
Le matin il se lève tôt, il écrit dans son journal, j'ose enfin reprendre l'écriture du mien et les lignes se bousculent sous ma plume pressée de retenir quelque chose de ce printemps si particulier. Je convoque tous les souvenirs possibles, je traque le moindre détail, le geste infime, la couleur d'un pull, le souvenir d'un goût, la preuve de la subsistance de mon désir. Je sais que j'ai déjà préparé deux fois des orecchiette à l'anguille fumée et au chèvre frais, une recette réconfortante et enlevée.
Pendant que vous mettrez les pâtes à cuire, vous mélangez délicatement mais intimement dans un petit saladier une ou deux tiges d'oignon nouveau très finement émincé, des lamelles d'anguille fumée, du chèvre émietté, un filet d'huile d'olive, un filet de sirop d'érable et le jus d'un demi-citron. Vous pouvez aussi ajouter un peu de ciboulette ciselée. Lorsque les pâtes sont prêtes, n'oubliez pas en les égouttant de recueillir l'eau de cuisson dans l'assiette de service, pour la préchauffer. Mélanger avec précaution les pâtes bien chaudes à la préparation du saladier, poivrez au moulin. Videz l'assiette de service de son eau, essuyez la bien et servez vos pâtes. Je trouve ça plutôt très bon. Vous me direz.
Pendant que vous mettrez les pâtes à cuire, vous mélangez délicatement mais intimement dans un petit saladier une ou deux tiges d'oignon nouveau très finement émincé, des lamelles d'anguille fumée, du chèvre émietté, un filet d'huile d'olive, un filet de sirop d'érable et le jus d'un demi-citron. Vous pouvez aussi ajouter un peu de ciboulette ciselée. Lorsque les pâtes sont prêtes, n'oubliez pas en les égouttant de recueillir l'eau de cuisson dans l'assiette de service, pour la préchauffer. Mélanger avec précaution les pâtes bien chaudes à la préparation du saladier, poivrez au moulin. Videz l'assiette de service de son eau, essuyez la bien et servez vos pâtes. Je trouve ça plutôt très bon. Vous me direz.
Je veux me rappeler qu'un soir il a envoyé un petit message qui disait Rendez-vous à 19h40 au restaurant tibétain! (c'est un garçon précis. Après, il y avait cinéma). Je suis arrivée essoufflée, il m'attendait à l'intérieur, nous avons commandé des beignets de légumes et des shabalebs farcis au boeuf, j'adore la pâte élastique et tendre de ces petites galettes que l'on trempe brûlantes dans une sauce sucrée et acidulée. Je réchauffais mes mains autour de la tasse de thé bleue quand il m'a tendu un paquet carré. C'était Microfilms, des entretiens infiniment précieux de Serge Daney avec Eric Rohmer, Jacques Demy ou Olivier Assayas, et dont le livret comporte justement un portrait noir et blanc, années 80. Il a la même coupe et la même moue qu'Antoine Doinel. J'écoute ces rencontres érudites et sensibles allongée sur le canapé de mon bureau, recouvert d'un édredon très épais. Les six cd durent sept heures et sept minutes. Je pourrais passer ma vie à écouter les gens parler d'eux-mêmes.
G. n'a pas d'idoles, il ne voit pas non plus l'intérêt d'élire un film préféré pour un metteur en scène donné. Par exemple, il aime beaucoup Bergman, mais il n'a pas du tout envie de désigner l'un de ses films comme étant son préféré, il trouve ça vain. Nous avons parlé de cela en rentrant d'un vide-grenier dominical, le trajet suivait les courbes venteuses de la Vilaine, il était presque midi et les pêcheurs avaient rangé leur attirail. Les fenêtres des maisons, au bord de l'eau, laissaient s'échapper des effluves de rôti, nous avions faim. S'il n'a pas d'idoles et encore moins de préféré, s'il s'agit de regarder avec moi de très près les bandes annonces des films sélectionnés à Cannes, G. partage volontiers mon enthousiasme, très proche d'une excitation toute enfantine, entre impatience, critiques et pronostics. Evidemment, l'examen minutieux que je ferai plus tard de la tenue de Sofia Coppola l'intéresse beaucoup moins.
Comme je lis que Philippe Garrel aime comment la fiction et la vie se confondent de façon admirable dans Husbands and wives, un film où Woody Allen filme sa séparation d'avec Mia Farrow, j'ai tout de suite envie de le voir, voire de le revoir parce que G. m'assure que nous l'avons déjà vu. Je n'en ai aucun souvenir. Je tire les rideaux, je glisse le dvd dans le lecteur. New York est tout gris, il n'arrête pas de pleuvoir, il fait froid, il y a du vent et des feuilles mortes partout. Il parait même qu'un ouragan se prépare. Comme d'habitude, les personnages sont professeur de littérature, futur écrivain ou rédacteur dans une revue d'art. Les appartements sont étouffants, les livres accumulés pendant les années de vie commune débordent des bibliothèques, les affiches encadrées occupent les espaces restant sur les murs crème. Tout le monde n'arrête pas de picoler. Les nourritures ont l'air figé, comme lors du déjeuner à Dean & Deluca, quand Judy Davis, avec son insupportable tresse, se fatigue à prouver qu'elle adore le célibat. Woody Allen, dans son manteau en tweed trop grand, filme la fin d'un amour et comment ses protagonistes ne peuvent rien y faire. On se sent très malheureux pour lui.
Je m'aperçois que je n'ai jamais lu L'attrape-coeur, c'est dimanche, je formule le voeu secret que je pourrais en trouver un exemplaire aux bouquinistes de la place Sainte-Anne. Nous enfilons nos manteaux d'hiver, nous partons vérifier. Sur la place déserte battue par le vent, il n' y a pas de bouquiniste, juste la présence ironique de deux nouveaux glaciers désoeuvrés. Nous décidons de faire un tour à l'épicerie turque mais il n'y a pas exactement l'objet de convoitise de G., des biscuits fourrés particuliers. De retour à la maison, je m'adonne avec volupté à mon addiction préférée du moment, la Nocciolata Rigoni di Asagio, une pâte à tartiner cacao-noisettes, souple, peu sucrée et délicatement parfumée. Repérée initialement grâce au petit écureuil rouge apposé sur le couvercle doré, elle est du meilleur effet en couche fine sur les crêpes du marché (vous pouvez m'envoyer un petit message si vous voulez savoir à quel crêpe-truck je me fourvoie chaque samedi), ma technique consistant ensuite à les rouler assez serrées puis à couper en deux et de biais le long cigare obtenu, qui se déguste alors exclusivement avec les doigts.
Je m'adapte aux conditions climatiques et je prépare une soupe aux lentilles corail, épicée et soyeuse. Je mets du gingembre partout.
Je lis la correspondance brûlante Hervé Guibert/Eugène Savitzkaya et découvre le coeur serré, au fil des pages, la disproportion des sentiments, ou du moins leur expression. HG écrit très souvent, parfois plusieurs jours de suite, parfois de longues lettres, il est un amoureux désastreux, il n'y peut rien, quand il se sent abandonné il peut dire des choses très violentes, puis se ravise, s'excuse. Il supplie, implore et embrasse beaucoup. ES est peu disert, il ne répond pas toujours, il ne vient pas quand on l'invite sur l'île d'Elbe, il se dit maladroit, il est infiniment touchant dans sa retenue. Les rares rencontres se soldent par une insatisfaction sourde, la solitude de chacun d'eux transpire chaque page, je lis tout d'une traite, épuisée, émue et triste.
J'écoute avec G. le merveilleux Catalogue d'oiseaux pour piano d'Olivier Messiaen.
Je vais boire des macchiato à Surprise Party en rentrant de la séance de psychanalyse.
Je lis Comment j'ai appris à lire d'Agnès Desarthe, je le lis presque sans discontinuer, je me sens envahie d'une jubilation enivrante, j'ai envie de l'offrir tout de suite à G., je ne veux pas tout lui raconter, je lui parle juste d'un passage qui m'a fait sourire infiniment. Agnès, petite fille, n'aimait pas du tout les personnages du Clan des Sept ou du Club des Cinq, elle les trouve ennuyeux de perfection. Elle préfère les Castors Juniors parce que Eux savent tout faire, mais ce sont des canards. Cette phrase déclenche mon hilarité immédiate, je ressens une proximité un peu absurde en la lisant. Je suis aussi complètement remuée par l'idée que quelqu'un ait pu penser qu'on pouvait lire en cachette de soi-même. L'arrivée d'Agnès en terminale A au lycée Henri IV et sa rencontre avec des élèves qui fréquentent assidûment la Recherche me rappelle la rentrée en hypokhâgne, quand j'ai découvert que des élèves à peine plus âgés que moi avait décidé de créer un club Julien Green (il venait de décéder cet été-là). Dans le même temps, je m'autorise à passer un long moment à lire au lit le matin au réveil (précisément les romans pour adolescents d'Agnès Desarthe car je voue un culte secret à son premier roman publié, Je ne t'aime pas, Paulus) et je me rappelle alors comment enfant, je dormais très mal, je me réveillais très tôt, j'allumais ma petite lampe de chevet rose et je lisais sous la couette, avec une voracité tranquille.
Un soir, nous sommes retournés au Tire-Bouchon, après plusieurs mois d'absence. En dressant notre table, D., le patron, a dit Je désespérais de vous voir! Vous étiez malades? Je dis Presque. Plus tard, Marianne apporte nos assiettes et demande Vous aviez des soucis de santé? Je lui raconte, je dis que mon père vient de sortir de l'hôpital après de longues péripéties. Elle pose une main sur mon épaule Alors maintenant on croise les doigts.
Microfilms, une série d'entretiens réalisés par Serge Daney, éditée par l'INA
Husbands and wives (1992) est un film réalisé par Woody Allen
La correpondance Hervé Guibert/Eugène Savitzkaya est publiée chez Gallimard
Comment j'ai appris à lire d'Agnès Desarthe est publié chez Stock
Je ne t'aime pas, Paulus et sa suite, Je ne t'aime toujours pas, Paulus sont publiés à l'Ecole des loisirs
Libellés : Agnès Desarthe, cinéma, G., Hervé Guibert, livres, Olivier Assayas, pâtes, Woody Allen