Courrier des lecteurs
//Page 90 du numéro 702 des Cahiers du Cinéma//
Je ne savais pas comment faire
Oh mon dieu quel enfer
Et par où commencer
C'est la timidité
Chers Cahiers du Cinéma,
Tu ne pouvais pas le savoir mais dimanche prochain, cela fera dix-sept ans que je n'aurai plus dix-sept ans, cela fait donc un peu plus de dix-sept ans que je te lis.
Tes premiers numéros, je ne les achetais pas, je les empruntais, et même une fois je t'ai volé (forcément, c'était celui sur la Nouvelle Vague).
Certains exemplaires restent à jamais liés à des moments très précis de ma vie. Celui que j'ai lu dans le train quand je suis partie de mon hypokhâgne pour de mystérieuses raisons (avec Nicolas Cage en couverture, je t'avoue que ça ne m'a pas trop consolée), celui que je lisais quand j'ai appris que j'étais reçue au concours de première année de médecine (Luis Bunuel, déjà plus enthousiasmant), celui offert par mon amoureux l'été de notre rencontre (ça tombait bien, Truffaut faisait ta une). Il y a même des numéros pour lesquels j'éprouve une sorte de fétichisme, celui qui est paru après la mort de Rohmer par exemple, et son titre réjouissant, Rohmer for ever. Celui-là, je l'ai rangé de telle sorte que j'ai toujours un oeil sur lui quand je suis assise à mon bureau. Il y en a aussi que j'exècre et à cause desquels j'ai failli rompre avec toi. Ainsi, celui avec Johnny H. m'avait beaucoup énervée, j'en ai arraché la couverture et c'est la seule fois où j'ai consenti à porter atteinte à ton intégrité physique. Dans les vide-greniers, je guette tes vieux numéros et j'aime les visages des acteurs aux couleurs passées.
Alors voilà, cela fait plus de dix-sept ans que tu nourris chaque mois mon désir insatiable de cinéma et en même temps ma tristesse infinie, parce que du cinéma, je n'en ferai jamais. J'aime l'ampleur de tes entretiens, tes pas de côté et ton intransigeance, j'aime les photographies qui te parcourent, les titres de tes articles, tes partis pris. Certaines fois, à la lecture des méthodes de travail de certains metteurs en scène, j'ai la gorge qui se serre, et je te suis infiniment reconnaissante de me faire vivre ça, cette émotion-là. Tu revivifies tellement régulièrement mes envies de films que je te pardonne certaines lubies, comme la fois où tu avais fait figurer Loft Story dans ton classement des dix meilleurs films de l'année.
Il y a des articles que je n'oublierai jamais, pas parce qu'ils sont meilleurs que les autres mais parce que j'avais l'impression qu'ils avaient été écrits pour moi. Je me souviens par exemple d'Emmanuel Burdeau à propos de Three Times, de Mia Hansen Love qui parle de la Nouvelle Vague (oui bon, je suis incorrigible...) et plus récemment, de Nicholas Elliott quand il dit avec une délicate pertinence ce que lui évoque La Jalousie de Philippe Garrel (d'ailleurs, j'ai entendu à la radio la voix de Nicholas Elliott et elle m'a étrangement émue, j'aime beaucoup le lire et tout à coup il s'incarnait).
A la maison, c'est toujours moi qui t'accapare en premier mais mon amoureux aime bien que je lui lise certains articles à voix haute, et toutes les discussions qui s'ensuivent, tout ce babillage intime que nous avons autour du cinéma, nourrit le désir et incite encore et encore à s'abreuver d'images et d'histoires.
Tout ça pour te dire que quand j'ai vu mon nom dans le dernier numéro, un frisson intense et mystérieux m'a parcourue. Certes tu m'avais gentiment prévenue la veille par un petit message mais la matérialisation de cette annonce m'a filé une immense tachycardie. J'étais tellement ravie que je te pardonne même d'avoir (un peu) coupé mon texte.
Alors j'avais envie de te remercier, pour ça, et pour tout le reste.
Je ne savais pas comment faire
Oh mon dieu quel enfer
Et par où commencer
C'est la timidité
Chers Cahiers du Cinéma,
Tu ne pouvais pas le savoir mais dimanche prochain, cela fera dix-sept ans que je n'aurai plus dix-sept ans, cela fait donc un peu plus de dix-sept ans que je te lis.
Tes premiers numéros, je ne les achetais pas, je les empruntais, et même une fois je t'ai volé (forcément, c'était celui sur la Nouvelle Vague).
Certains exemplaires restent à jamais liés à des moments très précis de ma vie. Celui que j'ai lu dans le train quand je suis partie de mon hypokhâgne pour de mystérieuses raisons (avec Nicolas Cage en couverture, je t'avoue que ça ne m'a pas trop consolée), celui que je lisais quand j'ai appris que j'étais reçue au concours de première année de médecine (Luis Bunuel, déjà plus enthousiasmant), celui offert par mon amoureux l'été de notre rencontre (ça tombait bien, Truffaut faisait ta une). Il y a même des numéros pour lesquels j'éprouve une sorte de fétichisme, celui qui est paru après la mort de Rohmer par exemple, et son titre réjouissant, Rohmer for ever. Celui-là, je l'ai rangé de telle sorte que j'ai toujours un oeil sur lui quand je suis assise à mon bureau. Il y en a aussi que j'exècre et à cause desquels j'ai failli rompre avec toi. Ainsi, celui avec Johnny H. m'avait beaucoup énervée, j'en ai arraché la couverture et c'est la seule fois où j'ai consenti à porter atteinte à ton intégrité physique. Dans les vide-greniers, je guette tes vieux numéros et j'aime les visages des acteurs aux couleurs passées.
Alors voilà, cela fait plus de dix-sept ans que tu nourris chaque mois mon désir insatiable de cinéma et en même temps ma tristesse infinie, parce que du cinéma, je n'en ferai jamais. J'aime l'ampleur de tes entretiens, tes pas de côté et ton intransigeance, j'aime les photographies qui te parcourent, les titres de tes articles, tes partis pris. Certaines fois, à la lecture des méthodes de travail de certains metteurs en scène, j'ai la gorge qui se serre, et je te suis infiniment reconnaissante de me faire vivre ça, cette émotion-là. Tu revivifies tellement régulièrement mes envies de films que je te pardonne certaines lubies, comme la fois où tu avais fait figurer Loft Story dans ton classement des dix meilleurs films de l'année.
Il y a des articles que je n'oublierai jamais, pas parce qu'ils sont meilleurs que les autres mais parce que j'avais l'impression qu'ils avaient été écrits pour moi. Je me souviens par exemple d'Emmanuel Burdeau à propos de Three Times, de Mia Hansen Love qui parle de la Nouvelle Vague (oui bon, je suis incorrigible...) et plus récemment, de Nicholas Elliott quand il dit avec une délicate pertinence ce que lui évoque La Jalousie de Philippe Garrel (d'ailleurs, j'ai entendu à la radio la voix de Nicholas Elliott et elle m'a étrangement émue, j'aime beaucoup le lire et tout à coup il s'incarnait).
A la maison, c'est toujours moi qui t'accapare en premier mais mon amoureux aime bien que je lui lise certains articles à voix haute, et toutes les discussions qui s'ensuivent, tout ce babillage intime que nous avons autour du cinéma, nourrit le désir et incite encore et encore à s'abreuver d'images et d'histoires.
Tout ça pour te dire que quand j'ai vu mon nom dans le dernier numéro, un frisson intense et mystérieux m'a parcourue. Certes tu m'avais gentiment prévenue la veille par un petit message mais la matérialisation de cette annonce m'a filé une immense tachycardie. J'étais tellement ravie que je te pardonne même d'avoir (un peu) coupé mon texte.
Alors j'avais envie de te remercier, pour ça, et pour tout le reste.
Libellés : cinéma, Iphoneography