dimanche 3 juin 2018

Happy days


Les jours qui précédèrent le départ pour Amsterdam, je ruminais un peu. J'éprouvais encore le spleen propre aux retours du Japon (à peine une semaine plus tôt) mais j'étais aussi inquiète pour le voyage à venir. Je craignais que le vol se passe mal (récits mille fois entendus de bébés vomitifs et vagissants), que la location soit décevante, que nous trouvions la ville ennuyeuse avec un enfant, bref, j'avais peur que ce soit nul. Dans la valise, entre les gourdes de compote et les mini lunettes de soleil, je glisse Jean Echenoz et Jean-Paul Civeyrac puis la veille du départ, je croise les doigts.
Pour mettre fin rapidement au suspense, je dirais très simplement que ce fut une très belle semaine.
Ma petite fille adore l'avion (et feuilleter les Cahiers du Cinéma donc plus aucun doute, c'est bien mon enfant!) et je me souviendrai longtemps
- de son regard devant une vidéo de Marina Abramovic en train de se massacrer le cuir chevelu. Elle commenta, pensive, Dame bobo peigne 
- de son expression de satisfaction après la première bouchée de glace au gianduja (je recommande fortement de choisir un appartement à De Pijp rien que pour pouvoir fréquenter assidûment Massimo Gelato car, quel que soit l'endroit du monde, il est entendu que les meilleures glaces sont définitivement celles des Italiens. Enfin, talonnées de près par les glaces japonaises)
- de son goût immodéré pour les pizzas avec des champignons dessus
- de la terrasse de Glouglou, une cave à vins natures, qui sert aussi des rillettes, du bon fromage et des œufs mayonnaise, trois denrées pas du tout consensuelles mais particulièrement appréciées par les petites filles (ce sont les vacances, il sera bien temps de revenir aux carottes à la vapeur - qu'elle repousse discrètement sur le bord de son assiette...)
- des oranges pressées sirotées à la paille dès que l'occasion se présente
- de son attention devant le bain des éléphants le jour où j'ai consenti à aller au zoo
- des sandwiches de Box Sociaal (de la mayonnaise à la sriracha!) et de la façon dont elle a conquis son petit public, remportant ainsi un délicieux morceau de millionaire's shortbread à croquer debout face au comptoir
- de sa joie au parc et sur les trottoirs Moi cours vite !  (une rengaine)
- des petits plats de chez Foodies, un traiteur italien somptueux où l'on peut aussi dîner sur l'unique table d'hôtes en écouter des 33 tours
- d'une photographie du centre-ville de Lourdes à la Huis Marseille
- des yaourts au granola, des fraises et des tomates cerises (les indispensables des menus d'un enfant de presque deux ans).
Surtout, j'ai éprouvé un sentiment inédit, un genre de révélation. Ça commençait comme un moment de tristesse, une peine intérieure, car j'avais bien conscience, en longeant les canaux, du genre de vacances que nous aurions passé là avec G., toutes ces journées ensoleillées pendant lesquelles nous aurions arpenté la ville librement de cafés en librairies en musées en terrasses avant de rentrer nous coucher hyper tard. Je sais très précisément à quoi ces vacances auraient ressemblé et elles auraient probablement été très douces mais j'étais aussi obligée de constater qu'en vivant des moments différents, et avec un enfant, j'éprouvais un certain bonheur, très pur, et que cette joie, réelle, vivante, était plus forte que le vague chagrin qui pleurait un film que je ne vivais pas, que j'avais déjà vécu, et pour la première fois de ma vie, après une douzaine d'années de psychanalyse, je constatais en vrai, du haut de ma structure d'incurable névrosée, que le réel pouvait vaincre l'imaginaire dans ce qu'il peut imposer d'heureux. Je n'en reviens toujours pas.