samedi 19 mai 2012

Un beau jour c'est l'amour (et le coeur bat plus vite)

Pour savoir pourquoi:
.je veux absolument une paire de jumelles pour mon anniversaire (je les garderai autour de mon cou avec mon prénom écrit avec des petites perles carrées)
.je refuse de porter autre chose l'hiver prochain qu'un manteau en tweed rose avec un cache-épaule intégré boutonné sur le col
.je veux un petit pick-up bleu ciel (non, vert d'eau en fait)
.je m'intéresse à l'intégrale de Françoise Hardy et de Benjamin Britten
.je trouve tellement charmant et délicat qu'un jeune garçon se démène au milieu d'une forêt insulaire pour remettre la main sur un flacon de ketchup, et qu'une fois celle-ci en sa possession, il en applique avec souplesse un léger trait sur les hot-dogs du dîner préparés pour une jeune fille
.je dis vingt fois par jour à W. What kind of bird are you?
.j'aimerais bien être gauchère rien que pour avoir des ciseaux de gaucher
...
Précipitez vous à la prochaine séance de Moonrise Kingdom!
J'avais pour ma part un mode opératoire assez simple:
.finir un long mercredi après-midi de travail en laissant tout en plan sur le bureau pour aller prestement chercher des billets pour la séance de 22 heures, celle de 20 heures ayant déjà largement commencé
.donner les instructions à W.: Rendez-vous dans un quart d'heure au petit restau turc!
.commander des poivrons farcis, des boulettes de boulgour aux épices, un börek au fromage et un autre à la viande hachée à l'étage du petit restau turc
.s'extasier devant la fraîcheur des légumes, la subtilité des assaisonnements et la vaisselle très pop utilisée. Se dire qu'il faudra revenir au petit restau turc. Et qu'on ne peut pas repartir sans un autre börek (là, quelqu'un a dit d'une voix plaintive Oui mais vite alors parce que je veux pas avoir une place pourrie) qui sera dévoré en tentant de ne pas se brûler sur le chemin du cinéma à cause de cette même personne pressée...
.s'apercevoir que la salle est assez vide, s'en réjouir et en être un peu triste à la fois
.une fois les lumières éteintes, savourer ce bonheur simple et élégant de voir un nouveau film de Wes Anderson!
(le petit restau turc, 100 thés, vient d'ouvrir au 15 rue de Penhoët. Il sert des böreks à la farine biologique préparés à la demande par une cuisinière dextre et gentille. Les desserts ont l'air assez chouettes aussi)
Alors,
.si vous avez toujours préféré les enfants particuliers aux enfants bien rangés
.si vous aimez les travellings latéraux et les cadrages symétriques, les robes à col claudine et les chaussettes hautes, les orages et les prairies
.si vous êtes sensible au fait qu'on puisse avoir des sentiments pas tout à fait tendres envers ses parents, qu'on puisse aussi s'en sentir tellement différent que c'en devient troublant
...
J'espère que vous aimerez autant que moi Moonrise Kingdom!
(je vous laisse, je pars en week end au bord d'un lac avec un sac en osier, une valise jaune et un garçon qui me lira des romans d'aventure à voix haute...)

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dimanche 13 mai 2012

Toutes nos impatiences

L'année de la sortie de OK Computer, j'étais au lycée et comme j'étais une adolescente assez proprette (comprenez complètement coincée à regarder des films des années 60 et à citer Duras à tout bout de champ. En plus, j'avais un cartable hyper sérieux et des bonnes notes), j'avais l'impression qu'écouter Radiohead en boucle était déjà un début de subversion rebelle, d'autant que c'était aussi l'époque du premier disque de Louise Attaque et, comme j'étais sans pitié, je nourrissais une sorte de mépris pour ceux qui leur vouaient un culte à grand renfort de stickers au dos de leurs agendas. Avec R., mon meilleur ami de l'époque, on ricanait savamment pendant les cours de sciences naturelles que nous n'écoutions jamais. Nos positions subjectives étaient dissuasives et nous étions assez seuls, mais l'avions bien cherché.
J'ai souri (de façon un peu crispé, certes, parce qu'en plus, je ne trouve pas ça tellement propret finalement les films des années 60, ni Marguerite Duras) en repensant à cette époque parce que j'ai passé une partie de la matinée à réécouter Radiohead. J'adorais Exit music (for a film) que j'adressais alors secrètement à mes parents, j'aimais aussi l'ampleur de Paranoïd androïd, plus tard celle de Pyramid Song, la mélodie entêtante de Knives out et, celle qui me rend vraiment triste, True love waits.
Une partie de sa vie passée, solitaire et pleine de malentendus, c'est aussi ce que raconte Dominique A. dans un livre élégant et sensible. Sous la couverture vert sapin, en moins de cent pages, on le suit dans les rues glacées de Provins où les pierres n'en finissent plus de cicatriser. Dans cette ville terne, cruelle, et froide où il a grandi, dans cette enclave au milieu des champs de betteraves, l'enfance est passée comme un long train dont on ne connaitrait pas la destination finale.
Des souvenirs de famille assez effrayants aux amitiés maladroites, des humiliations à l'amertume de ne pas se reconnaître dans ce que la vie ne cesse de nous imposer, chaque page, chaque ligne de Y revenir m'a infiniment touchée. J'ai eu l'impression qu'il savait comme moi la difficulté de grandir dans un monde dont on se sent terriblement étranger, qu'on est un peu honteux d'examiner à l'âge adulte et dont on sait pourtant qu'il a largement contribué à nous constituer, avec ses chagrins en creux dont il s'agit d'en faire quelque chose pour ne pas qu'ils prennent toute la place et gagnent en amertume.
Vous pouvez réécouter l'impatience impossible et la mélancolie de la rue des Marais pour avoir une idée de ce que peut provoquer un retour à Provins.
J'ai lu le livre de Dominique A. un soir un peu particulier parce que G., que nous appellerons désormais définitivement et officiellement W., participait à un concert pour lequel, je n'en revenais pas, des jeunes filles avaient écrit son prénom sur des cartons qu'elles agitaient au premier rang de la salle de concert. Moi, hyper discrète, ballerines silencieuses et robe minimaliste, je me suis glissée sur le côté, près de la table de mixage. Autour de moi, il y avait le clan des garçons vestes en velours et celui des vestes en jean, il y avait aussi des gens seuls qui lisaient des petits romans dans la semi-obscurité, me laissant perplexe et curieuse. Et puis le concert a commencé comme ça.
Je peux vous dire qu'on est envahi d'un sentiment très étrange, quand on voit l'effet public que peut provoquer la personne qui se brosse les dents à vos côtés le soir après avoir râlé ensemble pendant une demi-heure sur le dernier film de Tim Burton (et sur Tim Burton en général). La même personne qui se réveille le cheveu broussailleux et le regard brumeux sur la tasse de café au-dessus de la table de la salle à la manger, celui qui picore dans votre assiette les petites pommes de terre sautées de Marianne au Tire-Bouchon, celui qui partage avec vous une glace au yaourt après la plage en août à Biarritz, celui qui vous écoute avec un silence indulgent parler de la nécessité de porter des sabots scandinaves, celui qui offre des places pour un concert de Dominique A. et qui intitule un mail Patoumi en Provins, et bien cette même personne provoque AUSSI chez des inconnus une visible envie de danser ou de secouer sa tête en rythme, y compris (ou surtout) chez les garçons vestes en jean.
Tout cela m'a beaucoup surprise et amusée, et j'ai fêté ce sentiment neuf en allant chercher un plateau de niguiri sushi au Fuji (vous pouvez vous reporter à ce sujet sur un nouveau paragraphe intitulé La question du restaurant japonais dans mon billet sur Rennes).
Le petit piquant du wasabi, le fondant du poisson, l'amertume voluptueuse du chocolat croqué en guise de dessert, les petites vidéos de Rachel Khoo qui rafraîchit et allège l'idée de se retrouver devant une assiette de cassoulet, les charmants dessins d'Isabelle Boinot dans son nouveau livre avec plein d'idées pour le goûter, ont fait passer le temps ingrat de l'attente de son retour et ont dissipé la légère mélancolie liée à l'idée de le partager avec d'autres (beaucoup d'autres filles visiblement!)
Quelques jours plus tard, c'était déjà le 6 mai et nous étions en proie à une autre impatience, un autre espoir. Nous avons tourné en rond dans la ville, nous avons grignoté des fromages dans des cafés assoupis par la torpeur dominicale, le bouillonnement était tout près pourtant. Le soir, à 18h30 place de la mairie, une foule dense, hétéroclite et bavarde se pressait devant un écran géant. Et puis, il y a eu un immense moment de joie très simple, des larmes aux yeux inattendues, des baisers, des bouteilles de champagne, des sourires, un soulagement. Une émotion qu'on ne soupçonnait pas. Le printemps, enfin, allait commencer.
(Depuis, il y a eu une nouvelle robe avec un ruban orange dans le cou, des chaussures prévisibles mais irrésistibles, des tartes aux pommes ultra fines, beurrées et caramélisées en terrasse, un soir où j'annonce une nouvelle super importante concernant le travail à Marianne qui vient s'assurer que nous ne manquons de rien, elle me répond la mine réjouie Mais c'est formidable! Après toutes ces années où l'on vous a vue écrire des tas de mémoires, votre thèse et tout ça!, un dîner de langoustines, de fromages et de fraises et plein de nouveaux projets en tête).

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mardi 1 mai 2012

Le printemps hésite encore un peu

En habits mous sur le canapé, enveloppée dans une série de couvertures anciennes, j'avais commencé un billet comme ça:
Un matin, devant le tourbillon rose que dessine la compote de rhubarbe sur le fromage blanc discrètement granuleux, je me prends la tête entre les mains et la cuillère reste en suspens dans le bol en céramique japonaise. J'ai les yeux qui brûlent. Tout me parait insurmontable. J'ai l'impression d'être en classe de cinquième la veille d'une notation en gymnastique. Je ne sais toujours pas faire l'équilibre.
Le bonheur n'est pas gai disent les personnages de Desplechin. Insaisissable et capricieux, j'ai l'impression que j'ai peur de le frôler et je trouve tout compliqué. Un grand changement se prépare et j'ai peur alors qu'il y a peu à craindre. Dans les bus vitreux, je pleure l'air de rien. Mes poumons se creusent en silence, puis je reste droite et garde le sourire dix minutes plus tard devant mes petits patients. Quelques jours auparavant, dans une salle de restaurant décorée par des gens qui voulaient probablement une ambiance design contemporain, je reste perplexe devant...

Sauf que je n'arrivais pas à poursuivre sur cette lancée et...
En habits neufs devant mon bureau enfin débarrassé des milliards de papiers tellement sérieux et inintéressants (j'entretiens malheureusement des rapports peu rigoureux avec les choses administratives, c'est assez dommage au vu du volume d'angoisse que cela génère régulièrement), j'aborde les jours à venir autrement.
J'oublie ce dîner, dans un restaurant compassé de village, posé sur la place du calvaire avec vue sur le cimetière et la maison de retraite. J'oublie le maniérisme vain et lourdingue du sommelier, la vanité de l'amuse-bouche, l'approximation des cuissons, la tristesse du fenouil maltraité, la maladresse du dessert surchargé. J'oublie les familles amidonnées et la mienne qui me tracasse. J'ai mis quinze jours à m'en remettre.
Je retiens plutôt un autre dîner et son invitée singulière qui portait un joli sautoir vert anis. Ce soir-là, timidement, j'ai servi le velouté de betteraves au raifort de P., vraiment pas mal même s'il n'était pas aussi technicolor que le sien: le maraîcher avait voulu me faire plaisir en glissant des betteraves chioggia parmi les roses plus classiques et elles ont donné au velouté une teinte framboise écrasée. Après, encore plus timidement, j'ai apporté les assiettes brûlantes de cailles aux raisins, servies avec quelques graines, une tombée d'épinards, des shiitake. Il y avait aussi quelques fromages et puis nous avons poursuivi nos conversations animées (tes parents, Sofia Coppola, les photos floues, Bombay, Hanoi, etc) sur le canapé au-dessus des ramequins de tiramisù. Le vin donnait des joues roses à chacun. Elle avait bien compris que la vie est une fiction.
Quelques jours plus tard, un autre dîner avec trois filles que je ne connais pas (encore). Marinière sous veste noire et grandes créoles dorées, cheveux souples et bouche rouge, foulard en soie et accent scandinave, chacune parle sans trembler de leur vie assurée et je ne sais pas bien comment on pourrait me caractériser moi parce que bon, ce n'était pas trop le moment de parler d'Eric Rohmer ou d'Hervé Guibert. Je me sens minuscule et gauche avec mon cheveu en bataille et le visage sans fard. Je me concentre sur la mousse au chocolat et je rentre à la maison à grands pas en me promettant vainement qu'il faudrait que je renonce à avoir l'air d'avoir dix-sept ans. La nouvelle psychanalyste, que j'ai détestée deux secondes à cause de ses jolies espadrilles lors de la première séance, a bien compris le noeud qui embobine savamment ma quête d'une féminité qui n'est pas la mienne. Chaque séance est attendue avec une impatience studieuse.
Dimanche de premier tour, nous trompons notre impatience et notre appréhension en grignotant des tartines de fromage fondu devant Hannah et ses soeurs. Je l'avais déjà vu à plusieurs reprises mais cette fois-ci, et pour des raisons qui m'échappent, j'ai ressenti une solide aversion pour le personnage de Michael Caine, peut-être à cause du forçage que me semble induire son amour sans culpabilité. Je trouve beaucoup plus ambigu, et en cela il me touche davantage, le personnage de l'écrivain adultère de La peau douce, un film dans lequel chaque concours de circonstances (l'ennui ridicule d'un dîner de gala en province, la disparition d'un journal, le coupon d'un atelier de développement photographique -Photos la Muette- oublié dans la poche d'une veste apportée chez le teinturier) dérègle lentement une passion maladroite. Si vous ne l'avez pas vu, je vous recommande avec beaucoup d'affection ce film de Truffaut, tranchant et sensuel, ne serait-ce que pour entendre la belle voix de la fascinante Françoise Dorléac rappeler à son amant qu'il lui faudrait une paire de bas couleur zibeline...
C'était il y a longtemps maintenant mais je me souviens, j'ai pris un train un soir pour le rejoindre, il y avait un concert de Dark Dark Dark au Stereolux. Cela n'arrive pas souvent mais je portais une chemise à carreaux, un vieux modèle APC Madras, avec un gilet jaune et autour de nous, en fait, tout le monde était à peu près habillé pareil.
C'était il y a longtemps maintenant mais je me souviens, il est parti un matin pour jouer à Paris le soir, dans un café du onzième arrondissement. Je suis toujours hyper curieuse de la composition du catering (une fois c'est de la chorba et du poulet au curry, une autre fois des pizza, une autre fois encore du couscous dans des boîtes en carton blanc...)
C'était il y a longtemps maintenant mais je me souviens, il ne pouvait pas m'accompagner à la séance d'Oslo 31 août (j'avais foncé en sortant du travail, c'était la dernière séance), j'étais un peu triste de son absence, je savais qu'il ne serait pas à la maison quand je serai rentrée, j'ai traîné dans le cinéma après le film, j'ai regardé des affiches, j'ai lu des critiques, j'ai observé les gens boire des verres au bar et puis, quand je me suis enfin résolue à rentrer, je traînais encore des pieds en dévalant le grand escalier quand j'ai reconnu, derrière les portes vitrées, la silhouette de son manteau anglais. Ça ne se fait pas du tout mais je lui ai sauté au cou.
C'était il y a longtemps maintenant mais je me souviens qu'un soir, nous avons vu une annonce sur une façade macaronnée et que cela allait changer un peu ma vie, une fiction que j'apprends lentement à aimer.

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