mardi 11 décembre 2012

Fragments d'un discours amoureux (crevettes sautées et oeufs brouillés)


//C'était l'été - j'y repense par ces journées si froides//
Je dis, pleine d'enthousiasme, à propos d'un truc que je suis en train d'écrire: "Ah, je sais, je vais appeler ça La bonne excuse"
Il répond, dans la fraction de seconde qui suit: "Oh non, ça ressemble trop à L'alibi, si tu vois ce que je veux dire"
Saisie par cette interprétation impromptue et extrêmement matinale, je suis dépitée de constater que je passe mon temps à me justifier quand il s'agit d'écrire et de créer.
Je décide de me défouler sur le blender qui mixe à une vitesse vertigineuse les fruits du smoothie dominical, yellow forever (mangue + banane + orange + citron), que je sirote le cerveau en ébullition, en me félicitant de toutes ces vitamines et oligo-éléments ingurgités, sûrement très bons pour la création.
*Soupir endimanché*

J'ai un truc pour toi, ferme les yeux.
Il dépose entre mes mains un petit coffret Georges Perec contenant films et entretiens. Je suis fascinée par l'interview radiophonique intitulée Les 50 choses à faire avant de mourir. Je suis tellement troublée et émue que je copie ses paroles dans un carnet (il s'est arrêté à 35 choses):
.Aller sur les bateaux-mouches
.Jeter tout ce que je garde sans savoir pourquoi je les garde
.Ranger ma bibliothèque
.Faire l'acquisition de divers appareils électroménagers
.Arrêter de fumer
.M'habiller de façon tout à fait différente: me faire confectionner un costume trois-pièces
.Aller vivre à l'hôtel
.Vivre à la campagne
.Aller vivre pendant un ou deux ans dans une grande ville étrangère
.Passer par l'intersection de l'Equateur et de la ligne de changement de date
.Aller au-delà du cercle polaire
.Vivre une expérience hors-temps
.Faire un voyage en sous-marin
.Faire un long voyage sur un navire
.Faire une ascension, un voyage en ballon
.Aller aux îles Kerguelen
.Aller du Maroc à Tombouctou en dos de chameau en 52 jours
.Aller dans les Ardennes
.Aller à Bayreuth, Prague ou Vienne
.Boire du rhum trouvé au fond de la mer
.Avoir le temps de lire par exemple, Henry James
.Voyager sur des canaux
.Trouver la solution du cube hongrois
.Apprendre à jouer de la batterie
.Apprendre une langue étrangère, le plus simple serait l'italien (pour lire Dante dans le texte)
.Apprendre le métier d'imprimeur
.Faire de la peinture
.Ecrire pour de tout petits enfants
.Ecrire un roman de science-fiction
.Ecrire un vrai roman-feuilleton
.Travailler avec un dessinateur de bandes dessinées
.Ecrire des chansons
.Planter un arbre pour le regarder pousser
.Se saouler avec Malcom Lowry
.Faire la connaissance de Vladimir Nabokov
Je me remets difficilement du fait que Georges Perec décède quelques mois après cet entretien ludique et poétique.
Je raconte tout cela à W. tandis que la pluie fatigue l'essuie-glace de la voiture qui file ce soir-là vers un spectacle de danse contemporaine au LU, à Nantes. Entre deux bouchées de pain doux bigouden que j'ai pris soin d'emporter pour patienter jusqu'au dîner qu'on se figurait alors tardif, il me demande ce que je répondrai à ça, allez, juste cinq choses que j'aimerais faire avant de mourir. Je n'ai même pas besoin de réfléchir très longtemps mais il est étonné que la destination de voyage que j'énonce ne soit pas plus évidente. Je réserve encore quelques surprises souris-je en lui tendant un petit sablé au citron, une autre fraction du butin posé sur mes genoux, protégés des miettes par une carte routière des Pyrénées Atlantiques.
Suite à quelques pénibles péripéties dont je vous fais grâce et malgré la sympathie d'un couple de Nantais qui partageait notre sort, nous avons renoncé au spectacle de danse et après une brève concertation, nous avons décidé de rebrousser chemin, sous la même pluie battante. Tu pourrais appeler le Tire-Bouchon pour leur demander si l'on peut encore arriver pour le dîner? Vers 22h30, assis à notre table habituelle, côté comptoir, nous dévorions nos tartines, chaudes et réconfortantes (fourme d'Ambert et poires fraîches, saucisse fumée et fromage à raclette…), tandis que le libraire qui s'y connait en bandes dessinées méditait sur des mots croisés en parlant du prix des bonnes choses avec le nouveau serveur occupé à éplucher une certaine quantité de pommes de terre au rasoir à légumes. Nous avons partagé une mousse au chocolat, fini nos verres de vin et avons quitté le restaurant désormais désert avec le sourire des employés qui ôtaient aussi leur tablier pour enfiler la parka et le bonnet de rigueur.
****

Loin d'égaler le rythme de Catherine Deneuve (elle regarde au moins deux films par jour raconte BB dans Magic), nous essayons de visionner un film un jour sur deux en tâchant de satisfaire les exigences de chacun (une pratique qui nécessite plusieurs années de domicile conjugal, ahem) puisque dès le premier dîner partagé, j'avais dit J'aime bien le cinéma des années 60, Truffaut, Rohmer, Godard…, ce à quoi il avait répondu Moi aussi, mais pas le même. Nous étions prévenus. Mais les temps derniers, nous avons été d'accord sur le fait que Deborah Kerr en gouvernante dans un manoir hanté reste bien plus convaincante qu'Art Gafunkel en psychiatre de pacotille, même s'il porte des costumes bien coupés.
J'organise aussi, à des fins personnelles, des petites projections dans mon bureau, comme l'autre jour, quand j'ai revu Journal intime de Moretti suite à cette chanson. Tout ce dont je me rappelais du film, c'est que j'avais seize ans quand j'avais emprunté la cassette VHS à la médiathèque… C'est comme si je n'avais jamais vu la scène où il décide de se rendre en vespa jusqu'à la plage d'Ostie où Pasolini a été tué, une nuit d'automne. Là, en écoutant Keith Jarrett, devant l'étendue immense, infinie et vaine de la mer, je ne pense plus à rien, je contemple en silence.
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Samedi, il est rentré du marché avec plein d'histoires à raconter et des denrées jusque là inconnues Alors en fait, quand j'ai demandé une butternut au stand des Bocel, ils ont un peu fouillé dans les cageots mystérieusement mis de côté et m'ont donné ça (une grosse courge vert foncé, à la peau très épaisse et encore pleine de terre, aux extrémités plates, avec un petit renflement sur toute la circonférence supérieure, comme s'il y avait une petite courge dans une plus grande), c'est une buttercup et apparemment, c'est super bon en purée. Bon, il y avait aussi des endives mais, euh, je me suis abstenu (souvenir d'enfance compliqué d'endives aqueuses et amères)… Mais dimanche soir, il n'était pas encore temps de se confronter à cette buttercup, il avait décidé de faire des oeufs brouillés et des crevettes sautées à la Fumiko.
Je m'attablai ainsi bientôt devant une assiette fumante et rudement parfumée, il a mis le disque de Dan Auerbach (j'aime par-dessus tout cette chanson) et ce fut un petit festin que d'alterner les bouchées de crevettes croquantes au goût de gingembre, de ciboule et de saké avec les oeufs brouillés tout moelleux et le riz à la vapeur bien chaud. En grignotant les tranches soyeuses et sucrées de la mangue du dessert, j'ai espéré que nous aurions encore beaucoup de films à voir, beaucoup de recettes à partager, beaucoup de nouveaux légumes à cuisiner, une vie en long entre tes bras.


Crevettes sautées et brouillade d'oeufs, une recette très simple et délicieuse du grand-oncle de Fumiko Kono
Pour deux personnes

-300g de grosses crevettes crues, décortiquées et déveinées
-2 gousses d'ail hachées
-1 gros pouce de gingembre râpé
-plusieurs brins de ciboule émincés
-2 CS de saké
-1CS d'huile de sésame
-4 oeufs légèrement battus avec un peu de sel et du poivre du moulin

Dans une grande poêle, saisir les crevette à feu très vif avec un peu d'huile d'arachide. Arrêter le feu et ajouter l'ail, le gingembre, la ciboule, le saké et l'huile de sésame. Réserver au chaud.
Dans la même poêle, très chaude, verser les oeufs battus et mélanger un peu. Cuire très peu de temps pour obtenir une brouillage très moelleuse.
Répartir les oeufs dans les assiettes, ajouter les crevettes et servir illico.

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lundi 3 décembre 2012

L'amour ça se devine (plaisir d'offrir et barres coco-pistache au chocolat)


Une liste personnelle qui tisse en silence des souvenirs car le temps de l'amour c'est long et c'est court mais on s'en souvient...
La librairie berlinoise où nous avons traîné des heures et tu m'avais aidé à attraper les revues des étagères les plus hautes.
Le jour où j'ai découvert mon désormais inséparable Pentax Me Super dans du papier cadeau rétro, le serveur s'était ému en apportant mon assiette d'oeufs brouillés.
Le dîner japonais samedi dernier à Tanpopo et sa croquette de crabe épatante.
Une petite liste d'idées pour le plaisir d'offrir sans forcément attendre le Père Noël...



Le cinéma de Noémie Lvovsky aux Editions Independencia, à offrir avec le double dvd Oublie-moi/La vie ne me fait pas peur
Dans une série d'entretiens sensibles et très précis sur son travail de cinéaste, Noémie Lvovsky fait le récit de ses nuits américaines et révèle en creux ses déterminations de femme et d'artiste régulièrement saisie par le doute. Avec beaucoup d'humilité, elle raconte son rapport charnel au cinéma le long d'une filmographie qui interroge le rapport au temps et à l'amour bien avant Camille redouble. On la suit, à la sortie de ses études, rentrer à la Fémis avec la bénédiction malicieuse de Jean Douchet, faire son premier film et se confronter à des détails très pratiques (nourrir une équipe, trouver de la pellicule…), faire des rencontres retentissantes (Arnaud Desplechin, Valeria Bruni-Tedeschi…), et sur les plateaux, au plus près de ses acteurs, braver ses propres démons. On sourit en apprenant qu'elle aime bien Wes Anderson et en lisant qu'elle considère ses films comme le théâtre de son inconscient.
Je me souviens bien de la sortie de La vie ne me fait pas peur, où l'on retrouvait les quatre filles de Petites, un film qui faisait partie de la super série imaginée par Chantal Poupaud, la maman de Melvil, dans les années 90 pour Arte et qui s'intitulait Tous les garçons et les filles de leur âge. Peut-être plus nuancé que Camille redouble, très très près de la tempête adolescente et de ce qu'elle impose alors au corps maladroit, La vie ne me fait pas peur se regarde comme un journal intime qu'on n'aurait pas su écrire.




Yocci's menu de Yoshiko Noda chez Corraini Edizioni, à offrir avec un joli bol japonais, une sauce soja triée sur le volet, un thé précieux ou une poêle carrée
Suivez de page en page, en dessins naïfs et souriants, Yoshiko, native d'Osaka mais vivant en Italie, râper du gingembre frais et du thon séché sur un morceau de tofu, froncer les sourcils pendant la délicate cuisson des tempura, modeler des onigiri à l'umeboshi ou au saumon grillé, rouler ses maki préférés, siroter sa soupe miso comme une tasse de lait chaud ou faire la danse du dango. Une irrépressible envie de nourriture japonaise risque de se faire sentir en refermant le livre!



Daily fiction (Histoires de la vie ordinaire) d'Albéric d'Hardiviliers et Mathieu Raffard aux Editions Atelier IN8, à offrir avec Les choses de Georges Perec
Les moins bonnes raisons du monde, Le dernier bain de mer, Leurs vies éclatantes, Avec de la crème de lait et du sirop d'érable font partie des quatre-vingt dix courts récits imaginés par Albéric à partir des clichés de Mathieu, pris à Londres, Paris ou New York. Des histoires cinglantes et poétiques, toutes en prise avec des vécus très quotidiens, comme le choix de la chemise du lundi ou cette journée de travail si particulière dans sa banalité, le bagel du déjeuner et la bière mexicaine de fin d'après-midi, les filles qu'on ne reverra jamais, celles avec qui on essaie de rompre, le garçon qu'on est devenu dans le miroir. Je préfère les photographies sans personnages et tous les récits ne se valent pas mais j'ai souvent retrouvé une ambiance familière plutôt agréable. Evidemment, concernant la vie quotidienne, Les choses laisse un ravissement merveilleux.



Photographies d'Anne Wiazemsky chez Gallimard, à offrir avec du thé Bellocq
Avec le Pentax acheté grâce au cachet de La chinoise, AW a beaucoup photographié JLG, son amoureux compliqué, comme elle l'avait raconté dans Une année studieuse. On le voit disparaître derrière la fumée de sa cigarette, boire un thé devant sa bibliothèque en expliquant un truc avec les mains à Jean-Pierre Léaud ou lire Le Monde avec un ennui ostensible sur une plage du Midi. On croise aussi Pasolini, Jeanne Moreau qui se débat avec sa robe sur le tournage de La mariée était en noir et Mick Jagger le regard interrogateur. Ces photographies ont faillit être perdues et j'ai été très angoissée les temps derniers à l'idée que je n'avais pas assez pris de clichés de la vie qui passe, avec ses fêtes intimes et ses détails à l'infini que ma mémoire, aussi exercée soit-elle, ne peut seule retenir.
Rien de mieux que l'un des thés complexes et délicieux de chez Bellocq dont les boîtes jaunes sont du meilleur effet dans une cuisine mais même leurs sachets en papier brut sont magnifiques.



Mes recettes pour le goûter d'Isabelle Boinot aux éditions IMHO, à offrir avec un carnet rendu précieux par vos soins
Un coffret regroupant ses recettes à emporter et ses recettes de fêtes est également paru mais les recettes pour le goûter est celui qui me fait fondre pour des raisons que je ne m'explique pas, si ce n'est mon affection pour le goûter, cet en-cas délicieux, doux et réjouissant, qui vient ponctuer la journée et se savoure avec une satisfaction silencieuse appuyée certains jours par une dimension de consolation. J'aime les petits dessins de glace à la fraise, de clafoutis aux cerises, de biscuits fourrés au chocolat, de tartes aux abricots et puis ces ombrelles plissées des goûters d'été. Un cadeau tendre et délicat comme tous les livres de cuisine et carnets de voyage d'Isabelle Boinot.
Pour compléter le paquet, pour quelqu'un auquel vous tenez particulièrement, un carnet qui n'a pas de prix (ici, par exemple, une compilation de mes adresses parisiennes préférées avec les petites cartes de l'endroit en question précieusement conservée et collée à chaque page)

A grignoter en toute occasion (après un banh mi maison et avant un concert de Dark Dark Dark par exemple), les barres pistache-coco de Lilo sont inratables. A offrir à ceux qui se désolent de ne plus trouver de Bounty au chocolat noir chez les buralistes ou dans les presses de gare (mais dans les épiceries berlinoises, il y en a)

Les barres coco-pistache au chocolat
Pour huit barres réalisées dans des moules à financier
-100g de noix de coco
-125g de sucre blond de canne (150g dans la recette initiale mais c'était trop sucré pour moi)
-125mL de lait entier
-50g de pistaches décortiquées réduites en poudre fine et une demi-douzaine concassée
-100g de chocolat à pâtisser fondu et maintenu au chaud au bain-marie

Recouvrir le fond des moules d'une fine couche de chocolat et laisser refroidir au réfrigérateur.
Faire chauffer le lait et le sucre. A la dissolution complète de ce dernier, ajouter la noix de coco et laisser épaissir la préparation sur feu très doux sans cesser de remuer. Hors du feu, ajouter la poudre de pistache et bien mélanger. Laisser refroidir.
Répartir la préparation coco-pistache dans chacun des moules, bien tasser.
Laisser reposer une dizaine de minutes au réfrigérateur.
Recouvrir d'une couche de chocolat fondu, disperser quelques pistaches concassées.
Laisser prendre une dernière fois au réfrigérateur.
N'attendez pas le prochain concert pour les essayer!

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