mercredi 17 octobre 2018

Autofiction


Les retours de plage empruntaient chaque jour le même chemin. La voiture de location roulait toutes vitres ouvertes dans l'air saturé de soleil du mois d'août. J'aimais le moment où l'on apercevait, à flanc de colline, le village que nous avions choisi, qui se détachait sur le ciel si bleu. J'avais appréhendé qu'il ne figure dans aucun guide, G. avait évidemment trouvé cela parfaitement excitant.
Il arrivait que nous nous arrêtions à l'une des échoppes éphémères dressées en lisière de vergers, juste avant de nous engager sur la route qui menait au centre du village (que nous appellerons C.C pour faire simple). Là, sur une table à tréteaux, protégés par un store à larges rayures bleu, jaune ou vert, on trouvait du raisin, des pêches, des poires, des nectarines et de la pastèque, des tomates, des aubergines et des courgettes, tous gorgés du soleil de la côte toscane. Nous achetions quelques fruits, surtout du raisin et des pêches, dont le jus sucré était le meilleur des desserts.
Une fois la voiture garée, il fallait marcher cinq minutes avant d'atteindre l'appartement. Les sandales encore pleines de sable, le cabas avec le désordre de fin de journée à l'épaule, son petit matériel de plage au bout du bras (seau, pelle, arrosoir...), je remontais la rue piétonne en appréciant à chaque fois la beauté du lieu, sa quiétude. En chemin, nous réservions parfois une table en terrasse pour le dîner chez F. Ses gnocchis aux légumes et au pecorino étaient délicieux. Elle ne voulait pour sa part qu'une assiette de penne al'ragu dont elle se léchait les doigts.
Dans l'appartement, la cuisine était minuscule, toute en longueur, comme celle que nous allons bientôt avoir chez nous. Nous aimions nous y retrouver, au retour de la plage, pour grignoter justement quelques grains de raisin ou s'offrir un yaourt local, très blanc, très doux. Un moment rafraîchissant.
La cuisine s'ouvrait sur un long balcon, dallé de terrazzo. La vue y était splendide et émouvante. On apercevait la mer, celle-la même où nous nous baignions chaque jour, et les vergers, et la route qui serpentait. A la nuit tombée, le paysage devenait féérique car la côte toute entière frémissait sous l'effet des lumières minuscules. Et je n'ai jamais vu autant d'étoiles filantes que dans le ciel de C.C.
Le matin, nous descendions prendre notre petit-déjeuner au café, dans la rue principale et à quelques mètres de l'appartement. Elle buvait une orange pressée, chipotait quelques miettes de croissant, se rattrapait sur un yaourt. Les habitués avalaient un espresso au comptoir, commandaient parfois un sandwich à la mortadelle ou à la mozarelle.
A C.C, si l'on continue la via Vittorio Emanuele II et qu'on traverse la piazza del popolo, si l'on emprunte ensuite le grand escalier, on arrive à un très beau belvédère où selon les personnalités de chacun, la perspective sur la mer et les collines enthousiame autant que deux balançoires particulièrement convoitées.
Un jour, nous étions partis plus tôt de la plage et il y eut au retour un détour par le supermarché local pour une nécessité pratique que j'ai oubliée. L'appétit aiguisé par l'air du large et stimulés par la profusion exotique des rayons, nous partageons, à même une allée, debout dans nos tenues post-plage (robes faciles à enfiler, tee-shirt aux couleurs passées), une part de pizza encore tiède et un sandwich au prosciutto cotto, achetés au rayon boulangerie du supermarché. Ce n'est pas tout à fait artisanal, ce n'est pas fabriqué avec des ingrédients sourcés et encore moins biologiques, mais c'est absolument réjouissant et délicieux. Et puis on se fiche éperdument de se tâcher vu qu'on n'est déjà pas très propre...
Quand nous ne dînons pas à la terrasse de chez F., nous allons chez Gu., dont le restaurant est régulièrement et de façon incompréhensible, tout à fait désert. Pourtant, le minestrone y est savoureux et elle dévore chaque fois ses rigatoni au poisson jusqu'à la dernière pâte. Après le dîner, nous déambulons dans la ville, nous laissant surprendre par des animations estivales que je négligerais en temps ordinaire. Un soir un concert, un autre un spectacle de marionnettes. Mais en réalité, mon attraction nocturne favorite reste la dégustation d'une glace en terrasse juste avant de rentrer. Elle choisit invariablement celle au yaourt, je ne me lasse pas de la straciatella et G. navigue entre le chocolat au lait et la noix de coco.
Les jours passent ainsi, entre la plage, le café, les restaurants, les balançoires et le glacier. Nous passons de temps en temps à la biscuiterie en bas de l'appartement, elle aime grignoter ceux dont l'extrémité est chocolatée.
Bon, il n'y a pas de librairie à C.C mais j'ai tout prévu dans la valise et je lis avec exaltation un roman sentimental d'Edith Wharton qui s'appelle Summer.
Le jour du départ, avant de prendre l'avion, nous nous arrêtons dans une station balnéaire pour le déjeuner. Nous entrons, absolument par hasard, dans un restaurant de bord de route, à l'écart de l'agitation côtière. Presque toutes les tables sont réservées mais comme il est tôt (qui, en Italie, déjeune à midi ?), on nous fait une place en terrasse. Bientôt, on nous apporte de la foccacia tiède et du pain maison, délicieux. Bientôt, nous nous régalons de gnocchi au pesto de pistache et aux palourdes, de pappardelle au poisson et à la tomate, d'un bar grillé farci aux herbes. Il n'y avait pas meilleure façon de dire au revoir à cet été en Toscane.
Depuis quelques semaines, à table, en promenade ou au moment du coucher, elle demande régulièrement: "Maman, tu peux raconter les vacances en Italie ?" (pour être juste, elle adopte un ton quand même plus impératif: "Maman, raconte vacances en Italie !"*). Alors je commence, Les retours de plage empruntaient chaque jour le même chemin...

*Elle demande aussi sur le même ton "Maman, raconte vacances à Biarritz !"
C'est une histoire qui pourrait commencer par A Biarritz, on habitait une petite maison de pêcheur tout près de l'océan...