lundi 24 janvier 2011

Vos yeux près des miens flous (photographie retrouvée)


Je ne sais pas très bien qui avait décidé de l'acheter. Est-ce mon papy chinois pour photographier les terres qu'il trouvait pourtant trop froides pour y mourir? Est-ce mon oncle N. dont je n'ai remarqué que bien plus tard les bizarreries maladives? Est-ce mon père parce que c'est très français d'avoir un album de souvenirs? Etait-ce tout simplement pour qu'il reste une trace de leur survie, ensemble?
Je sais que les photos impression mate s'empilent dans un désordre étourdissant dans la grande armoire en noyer de mes parents. Il y a comme une triste timidité collective à les regarder, il me semble toujours que les sourires de chacun dissimule une douleur secrète, celle d'avoir quitté son pays, celle d'avoir perdu des proches, celle d'être un peu perdu soi-même sur ces nouvelles terres. Pourtant, il y a l'anniversaire des trois ans, petites bougies sur le gâteau de supermarché et couettes de rigueur, il y a le premier cartable sur le dos quand je portais une robe rayée verte et bleue, les pique-niques autour d'un étang avec les boîtes compartimentées qui renfermaient un peu de riz, du poisson séché, du concombre mariné salé, des oeufs de cane au sel, des petites galettes aux oeufs de poisson, du sauté de porc au gingembre. Sur celles-là, je porte souvent une robe jaune avec des petits palmiers gris. Il y a aussi la première voiture de mon père, une Deux-Chevaux couleur crème avec des sièges en skaï brun-rouge.
Parmi les cadeaux que nous avons échangés lors d'un pré-Noël juste à deux, il y avait cet appareil que je gardais depuis plusieurs mois dans mon bureau sans oser prendre le temps d'y mettre des piles, de retrouver la notice, perdue depuis les années 80, quand ma famille en avait fait l'acquisition. G. s'en est secrètement chargé à ma place et me l'a tendu avec l'idée silencieuse que je pouvais en faire quelque chose de bien. J'ai tout de suite pensé à Hervé Guibert qui disait qu'il se sentait photographe quand sur une pellicule de trente-six, il y avait juste une photo de bonne. G. m'a prévenue doucement: ne pas trop attendre d'une seule photo, en faire plein plein plein, sans inhibition, accepter qu'elle soit ratée, évidemment. Faire ce que j'aime sans penser trop à ceux que j'admire. J'ai revu nos photos de famille, quand mon oncle programmait le déclencheur à retardement et que nous nous serrions pour tous apparaître dans le cadre, je sens le bras de ma mère qui s'enroule sur mes épaules.
G. m'a aussi offert un livre mystérieux, qu'aucun de nous n'avait jamais feuilleté mais dont j'avais relévé la jolie couverture dans un des albums des Editions Paumes (je n'arrive juste pas à retrouver lequel). Pendant vingt ans, les auteurs de Photo trouvée ont collectionné des clichés délaissés, abandonnés dans des poubelles ou à l'oeil des badauds dans les cartons des marchés aux puces. Des photos d'anonymes qui retracent de façon humble et sensible un quotidien qui parait étonnament familier. Il y a une voiture au bord d'une falaise, une femme qui fait la sieste au soleil, une chute à bicyclette, une partie de tennis, une robe qui parait toute neuve, l'après-midi de la pêche à pied, un mur couvert de portraits, la dernière fois que je t'ai vu, probablement aussi. Je contemple pendant des heures ces vies passées. Je passe mon temps à mettre la mienne sur vingt-quatre poses au fil des jours, accumulant une impatience curieuse en attendant de les porter à développer.


Comme j'ai beaucoup de choses à rédiger en ce moment, le temps se contorsionne, je fais un peu n'importe quoi avec l'hygiène de vie. Quand j'ai une journée entière à la maison pour travailler, je déjeune très tard, parfois à l'heure du goûter et dans une certaine hérésie diététique. Je n'aurais sans doute pas dû refaire le stock de nouilles déshydratées... mais dans chaque bol brûlant, il y a le souvenir des petits-déjeuners chez mes grands-parents et de la soupe de nouilles servies par mon grand-père dans un vieux bol Arcopal blanc à fleurs bleues. Cet après-midi, améliorée par du poireau émincé, un oeuf poché et du Sept-Epices japonais, dégustée en écoutant un pianiste évoquer ses souvenirs de Stockhausen, ma soupe de nouilles m'a aussi fait penser à la pizza-sandwich de Fanny, que je trouve absolument poétique dans sa simplicité déconcertante de gourmandise et de réconfort.

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vendredi 21 janvier 2011

Ce curieux sourire, qui m'avait tant plu (comme la tarte saumon, menthe et petits pois)

Alors que je rêvais de quitter au plus vite la triste ville grise et carrée où habitaient mes parents, un lycée s'y est précisément construit pendant que je finissais ma quatrième dans un collège qui, je l'apprendrai plus tard avec quelque consternation, portait le nom d'un sinistre neuropsychiatre. Il ne fut alors plus du tout question de m'envoyer dans l'un des lycées avoisinants, dans la ville qui jouxtait la commune de mes parents, une ville tout aussi laide mais qui avait l'indéniable avantage de posséder deux cinémas et une librairie fréquentable.
Evidemment, je n'ai pas trop aimé ce lycée qui sentait désespérément le neuf. Il n'avait pas d'histoire, en tout cas pas celle qui se grave au cutter sur les petits bureaux en bois vernis. Il y avait du plastique partout et surtout si peu d'élèves qu'il était impossible de passer inaperçu.
Pourtant, c'est dans cet endroit très plouc et ennuyeux que j'ai rencontré J., ce qui allait transformer considérablement ma vie.
J. avait bien trente ans de plus que moi, J. arrivait de Paris, J. portait des costumes parfaitement taillés, un long manteau beige, des beaux foulards et un chapeau, J. était mon prof de français (et cet année-là, au programme du bac, il y avait André Malraux, ce qui n'était pas vraiment de bon augure).
Un jour, j'avais écrit une lettre à J., une lettre naïve et scolaire, écriture appliquée et papier vergé à l'appui. Je ne me souviens plus très bien de son contenu (plus tard, G. me rappellera souvent que je devrais photocopier mes lettres mais je trouve ça prétentieux -à tort, probablement, car là n'est pas son propos) mais je sais que je lui demandais timidement quels étaient ses livres, films, musiques préférées.
La réponse aterrit quelques jours plus tard, au début de l'été, à l'intérieur d'une épaisse enveloppe en papier kraft, ravie vigoureusement au regard de mon père qui avait ouvert la boîte aux lettres familiale. C'est à partir de cette lettre, une quinzaine de pages recouvertes d'une écriture pressée, à l'encre noire, que je suis enfin parvenue à partir, autrement, de la ville et de la vie où je m'enlisais par la force des choses.
En effet, J. parlait de François Truffaut, de Jean-Luc Godard, de Gilles Deleuze et de Marguerite Duras, de Luis Bunuel, de Jacques Rivette et de Robert Bresson. Evidemment, je me suis précipitée à la médiathèque et tout a commencé comme ça.
Dans les années qui suivirent, J. fut très présent. Que ce soit pour discuter pendant les cours d'anglais qu'on m'autorisait à sècher, que ce soit au téléphone quand j'étais un peu désespérée, pendant les premiers jours d'hypokhâgne quand je regrettais de ne pas avoir fait médecine (c'est un drôle de souvenir les conversations téléphoniques de la prépa. J'étais à l'internat et il n'y avait qu'un poste téléphonique, au bout d'un long couloir. Personne n'avait encore de portable et on téléphonait assis par terre, recroquevillé dans un angle du couloir souvent désert parce que tout le monde était occupé à travailler), pendant les années de médecine aussi, comme le refuge rassurant d'être entendu et compris.
J'ai parlé de J. à G. quand nous avons quitté le cinéma après une séance enthousiasmante de Deux de la vague. Dans ce film documentaire, on suit l'itinéraire de Godard et Truffaut, de leur rencontre à leur fracassante rupture, à travers des extraits de films (c'était le bonheur infini de voir s'enchaîner la scène des biscottes dans Baisers volés, celle où Antoine Doinel à du mal à s'installer devant un repas japonais, la voiture qui emporte Jim et Catherine sous le regard impuissant de Jules, Bernadette Lafont dans Les Mistons qui me donnerait presque envie de faire de la bicyclette...), à travers aussi la trajectoire de Jean-Pierre Léaud, écartelé entre les deux cinéastes qui l'ont mis au monde, à travers des images d'archives qui montrent l'engagement artistique et politique qui les agitaient (petit frisson en reconnaissant Resnais en tête d'une manifestation soixante-huitarde), à travers enfin, le regard actuel d'Isild le Besco, qui feuillette des journaux d'époque et déambule dans Paris dans un manteau certes informe mais qui donne l'impression qu'elle est elle aussi d'un autre temps. Pas de révélations dans ce film qui m'a quand même terriblement émue parce qu'il compile les images qui ont construit mon goût pour le cinéma et parce qu'il montre aussi de façon vivifiante le processus de création de ses protagonistes.La façon dont Truffaut explique comme le cinéma l'a sauvé d'une vie médiocre est extrêmement touchante, comme la ferveur qu'il met très jeune dans sa cinéphilie qui voit le jour. Le lecture de la lettre qui scelle sa rupture définitive avec Godard après la sortie de La nuit américaine est à la fois très drôle et très glaçante. Evidemment, tout ça n'a pas du tout arrangé mon regret de ne pas faire de cinéma (figurez-vous que pendant plusieurs années, je suivais rigoureusement les sujets du concours de la Femis en me persuadant que j'étais trop nulle pour envisager ça. Désormais, la question ne se pose plus, j'ai dépassé la limite d'âge d'admission).
(sinon, pour ceux qui se le demandent, la séance de Deux de la vague fut suivie d'un repas-crêpes, avec une deuxième crêpe au salidou, à l'addiction reconnue)
Et puis, si vous aimeriez bien rencontrer une fille qui a un appartement sans miroir, qui peut sortir aux terrasses de café en pyjama, qui aime bien citer les noms des rues à Paris, qui s'amuse à se faire passer pour une autre, qui aime le prénom Anna, qui met des coussins violets sur son canapé en velours gris clair pour faire contraste, qui ridiculise avec une douce cruauté les galeristes, qui achète des pêches même si elle n'aime pas ça et qui fait des clins d'oeil à un Tic-Tac bleu coincé dans une rainure du parquet, lisez Alice Kahn, un super roman que j'ai dévoré cet après-midi. Dans une petite interview, son auteur, Pauline Klein, dit qu'elle rassemble des hasards pour en faire des histoires. Tout un programme!
On en oublierait presque la pourtant délicieuse tarte inspirée d'une recette de Catherine Kluger. Elle a le goût malicieux de vacances sur les côtes anglaises an compagnie d'une jeune fille au pair japonaise.

La tarte saumon-petit pois-menthe à la wasabi
Pour une tarte bien épaisse de 20cm de diamètre
La pâte brisée de Catherine Kluger-200g de farine (ici de la T65)
-90g de beurre très froid en petits dés (ici demi-sel)
-1 oeuf
-20cL d'eau très froide

La garniture-20cL de lait
-6,5cL de crème fraîche
-3 oeufs
-100g de petits pois (ici surgelés) cuits et immédiatement rafraîchis pour qu'ils restent vert vif
-200g de saumon cuit et émietté
-3 branches de menthe ciselée
-de la wasabi, du poivre et du parmesan

Pour la pâte, sabler le beurre et la farine du bout des doigts.
Faire un puits, y verser l'oeuf et l'eau préalablement mélangés.
Amalgamer rapidement pour former une boule de pâte.
L'envelopper de papier film et la laisser reposer au moins une heure au réfrigérateur.
Au bout de ce temps, la sortir, l'étaler sur un plan de travail fariné puis foncer le mouler soigneusement. Donner quelques coups de fourchette et laisser à nouveau reposer 30 minutes au frais.
Faire ensuite cuire cette pâte à blanc 30 minutes à 180° puis la badigeonner d'un peu d'oeuf battu avant de la réenfourner trois minutes afin de bien l'imperméabiliser.
Pour la garniture, fouetter énergiquement les oeufs, le lait et la crème. Ajouter dans cet appareil de la wasabi, du poivre du moulin, un petit morceau de parmesan râpé et la menthe ciselée.
Sur le fond de tarte précuit, étaler une couche de petits pois puis le saumon puis à nouveau des petits pois. Verser l'appareil.
Faire cuire environ 30 minutes à 180° (jusqu'à ce que l'appareil soit pris et un peu doré).

PS: grâce à Martine Camillieri, j'ai eu un moment d'émotion suite à un échange de mails (déjà, c'était pour moi une petite fête) et puis elle a dit Peut-être on pourrait faire ça? Merci MC!

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mardi 11 janvier 2011

Le soir où j'ai vu Somewhere


Un billet pour Virginia et Cléo
Le soir où j'ai vu Somewhere, la pluie n'a jamais cessé sur les pavés glacés; mes ballerines rouges et vernies avançaient en hésitant. J'avais aussi ressorti une petite écharpe grise injustement oubliée sur la plus haute des étagères du placard tapissé de bleu canard.
Le soir où j'ai vu Somewhere, une fête foraine tapageuse aux couleurs électriques et crues dispensait ses musiques vulgaires sur la place du cinéma, un multiplex hideux qui me fait toujours frissonner, mais Sofia vaut bien quelques frissons.
A travers les immenses baies vitrées du couloir qui mène à la salle, à l'étage, on pouvait contempler l'esthétique inquiétante et triste de cette fête foraine, les grosses peluches qui se balançaient au vent, les auto-tamponneuses qui se cognaient sur la piste minuscule.
Le soir où j'ai vu Somewhere, peu d'autres gens avaient décidé de le faire vu le nombre de fauteuils vides.
Pendant les interminables bandes-annonces, nous avons repensé au dîner que nous venions de partager au Tire-Bouchon dans une ambiance survoltée provoquée par l'arrivée massive d'une dizaine d'habitués, dont la femme d'un musicien qui portait une très enviable jupe en velours gris. Toutes ces embrassades et échanges de voeux n'ont pourtant pas éclairé le visage de mon serveur préféré, resté sombre pendant tout le repas. Il justifia maladroitement cet état par divers abus liés aux fêtes mais son ton suggérait d'autres motifs, plus secrets. Il avait en tout cas emballé avec soin une part de tarte au citron, la tarte au citron de Marianne, réservée pour le retour, après Somewhere, et déposée à cet effet sur une jolie assiette laissée dans la cuisine.
J'ai été parcourue de sentiments mêlés pendant toute la séance mais contrairement à ce que l'on peut lire dans des tas d'articles, jamais l'ennui ne s'est fait ressentir. Et à partir du moment où Cleo râpe un morceau de cheddar destiné aux macaronis qui frémissent sur la gazinière de la chambre 59 du Château Marmont, mon enthousiasme n'a cessé de croître (même si la fin me paraît contenir la plus mauvaise idée du film).
Il y a tous les parfums de glace commandés en pleine nuit (vanille, fraise, chocolat, pistache) et dégustés dans le lit immense d'un palace milanais, il y a les sweat-shirts colorés de Cleo, sa façon délicate de verser la sauce hollandaise sur les oeufs Benedict avant d'y ciseler de la ciboulette, il y a les hamburgers avalés dans un petit salon en jouant aux cartes, il y a la fraise sur le bord du verre de citronnade, il y a la détresse muette de Johnny Marco dont le corps avachi et le regard vain sont des traductions sensibles. Sofia Coppola a le sens du détail qui transcende le plan entier et je suis contente de savoir qu'elle a visionné Jeanne Dielman en préparant Somewhere.
Servie avec une tisane aux fleurs d'hibiscus, la tarte au citron de Marianne douce et acidulée, avait le goût de son sourire et accompagna la conversation enjouée qui suivit et qui concernait les différentes versions de la féminité explorées par Sofia Coppola, son utilisation de la musique, l'élégance dont elle peut recouvrir certaines trivialités.
Ce ne sera pas l'un de mes films préférés, mais parce qu'il parle avec classe d'une existence ratée sous le soleil de L.A et que les apparitions de Cleo sont absolument revivifiantes, le soir où j'ai vu Somewhere, j'ai regretté de ne pas faire de cinéma.

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mardi 4 janvier 2011

I was a fan and I still really am (du cake à la banane)


Comme il faisait suffisamment froid pour produire des petits nuages de buée lors d'une simple conversation (sur la pertinence du velours côtelé quand il s'agit de pantalon, rendez vous compte), on se promenait quand même d'un pas plutôt pressé aux alentours de Filles du Calvaire. Mais quand j'ai aperçu l'installation de Martine Camillieri dans la vitrine de Bonton, il devint impératif de s'arrêter et de prendre quelques photos, même si cela nécessitait une certaine stagnation peu congruente au froid ambiant.
M. Camillieri a toujours su détourner les objets du quotidien d'une façon ludique et malicieuse. Dans son très joli livre sorti cet automne aux Editions de l'Epure, elle vous donne envie de transformer un filet à ail en mini-hamac de poupée, de fabriquer un camping-car avec un bidon d'eau et des bouchons de lait, des petits bolides avec des pommes de terre rôties, des mini hamburgers et des Tout Mini-Cônes aux cookies et aux petits-suisses, de collectionner petits cageots de bois et micro pots de confiture pour des étagères d'épicerie de poupées. C'est charmant, et j'étais ravie de voir en vrai les goûters des doudous (puis d'aller faire des photomatons avec G. dans la cabine vintage de Bonton. Ce n'était pas précisément très narcissisant mais quand même assez drôle).

Deux jours plus tard, toujours sans pantalon en velours côtelé mais avec le souvenir d'un délicieux dîner à L'arbre de sel, j'ai ressenti un frisson de joie et d'émotion immense en allant à la Cinémathèque pour l'exposition Brune/Blonde.
Oubliée la triste avenue de Bercy secouée par le vent mauvais, je suis happée par la démarche libérée et heureuse de Shu Qi dans Millenium Mambo, ses beaux cheveux noirs qui palpitent dans son dos, son visage secret et lisse quand elle se retourne. Je suis hypnotisée par le mélange des souvenirs (quand j'avais vu ce film toute seule il y a plusieurs années, je sais que je portais une jupe bleue et une veste rouge en maille tricotée) et la surprise très belle du moment présent, avec G.
J'ai adoré tous les petits écrans qui diffusaient des extraits choisis avec érudition, finesse et malice, d'ailleurs les gens qui parcouraient les allées de l'exposition se souriaient régulièrement (il y avait une fille qui avait l'air très sympa avec une marinière et une veste en jean). L'évolution de la coiffure de Catherine Deneuve à travers des couvertures de Elle était aussi assez amusante (comme le fait de constater qu'autrefois il était possible qu'une actrice telle que Liv Ullman fasse la une du magazine), et le court métrage de Kiarostami, juste avant de quitter l'exposition à regret, sobrement intitulé No, malicieux à souhait. Toute cette profusion d'images était absolument excitante et galvanisante et trouva dans la librairie de la Cinémathèque une petite prolongation ludique puisque j'ai fini très vite après l'avoir dévoré un court texte d'Olivier Assayas acheté là-bas et intitulé Une adolescence dans l'après-Mai.
Ecrit en 2002 alors qu'il est à Goa après la fin du montage de Demonlover, il retrace très précisément les évènements (personnels et historiques se confondent) qui ont fait de lui un cinéaste. Parce que ce texte est adressé à Alice Debord (qu'il a aidée à rendre publics des films expérimentaux de Guy Debord), parce qu'il est dédié à Mia Hansen-Love (sourire fragile dans Fin août, début septembre, elle avait écrit un très beau texte sur son attachement à la Nouvelle Vague dans les Cahiers du cinéma), parce que j'aime bien les films d'Assayas (qui a de plus réalisé un documentaire sur Hou Hsiao-Hsien, tout se tient), ce texte qui a faillit être abandonné dans des cartons m'a fait pas mal d'effet.

En tout cas davantage qu'un dîner très étrange à Momoka, la veille de la visite à la Cinémathèque. J'avais réservé et cela paraissait sage devant l'exiguité du lieu. Juste quelques tables dans la salle aux murs nus, des tables hautes de part et d'autre desquelles on est juché sur des fauteuils tournants en plastique froid. Ils sont assez volumineux et les tables sont très rapprochées, ma voisine espagnole a donc dû ramper pour accèder à sa place et j'ai dû déranger mon autre voisine, qui portait un pull vert pomme, pour aller me laver les mains.
La serveuse était un peu débordée, il y avait beaucoup de monde, elle souriait peu (en fait pas) mais surtout, interrogée à ce sujet, elle nous a appris que le saké était fabriqué aux Etats-Unis (ce qui n'avait pas l'air de la déranger outre mesure).
Le dîner fut très incongru: les portions déjà minuscules étaient à partager (ce qui posa problème à la table d'à côté où l'une des convives était enrhumée), saveurs archi-reconnaissables et rabattues, assiettes presque balancées sur la table quant à elle pas régulièrement débarrassée, aucune description des plats ou réponse laconique et visiblement fausse quand on interroge la serveuse, pas d'alternance chaud-froid, ordre absolument aléatoire d'arrivée des mets, très longue attente régulièrement, inégalité évidente entre différentes tables qui ont pourtant pris le même menu (que le nôtre donc, pas tout à fait bon marché. Radoumi était un peu désemparée...). Un peu pesant. Hâte de partir. Trop écoeurée pour dire au revoir ou faire un sourire.
Alors qu'une certaine légèreté nous envahissait progressivement en descendant la rue Blanche (plaisir d'être sorti de là, de se retouver juste tous les deux, établissement de plan pour le reste de la soirée), des bruits précipités de socques se firent entendre sur le trottoir, dans notre dos. Une voix inconnue nous hèlait Monsieur, Madame, comme si elle appelait au secours. Nous nous retournons et apercevons la chef de Momoka, le visage crispé d'angoisse, courant vers nous, haletant.
Ma serveuse m'a dit que vous n'étiez pas contents...
Bah oui, je suis un peu déçue, j'avais très hâte de venir manger chez vous et c'était un peu dur-là. On n'a même pas eu certains plats!
Ah oui, ah oui, vous avez eu moins que les voisins... C'est parce que j'ai une nouvelle stagiaire et c'est elle qui s'est occupée de votre table et je n'ai pas vérifié ce qu'elle faisait... Et puis il y avait beaucoup de monde...
[Un peu honteux comme excuse ça quand même]
Bah c'est vrai que quand on a hâte de venir et qu'on est déçu c'est un peu dur vous voyez... Surtout que ça avait l'air bon, ce à quoi on n'a pas eu droit...
Oh vraiment vraiment merci beaucoup, merci beaucoup, merci beaucoup. Quand vous reviendrez, je vous reconnaîtrai et
...
On n'a pas entendu la suite mais ce n'est pas grave parce qu'on ne reviendra pas (c'est touchant, c'est vrai, qu'elle soit venue nous dire un dernier mot mais ça n'excuse rien. C'est mon côté impitoyable).
Ce repas laisse un petit goût d'autant plus amer que deux jours plus tard, nous avons retrouvé P. et N. à la même table de Tanpopo qu'au printemps dernier et que ce dîner fut une délicieuse façon de conclure l'année. Il y avait une très belle robe graphique, des petits souliers en cuir noir, un cardigan gris tout doux, des ballerines bleues avec un liseré doré, des bulles, des saint-jacques confites parfumées au yuzu avec des blinis au sarrasin et au topinambour, du magret fumé maison avec une sauce au raifort frais, du civet de sanglier au saké et au gingembre, un hamburger sophistiqué à l'oignon doux et à l'anguille (ci-dessous), du nougat glacé au matcha et le plaisir de se revoir.

Deux jours encore plus tard, une façon très étonnante (et épuisante, avouons-le) de commencer l'année. Alors que nous rentrions d'une séance de The swimmer que G. a trouvé passablement ennuyeux et vain, impossible d'ouvrir la porte de l'appartement. La clé tournait désespérément à vide dans la serrure. Toutes les solutions furent envisagées, les voisins furent sollicités (car nous n'avions rien d'autre sur nous qu'un portefeuille, pas de téléphone du tout). Il fut question d'appeler un serrurier mais nul ne voulait se déplacer car le problème paraissait compliqué et puis c'était dimanche soir, il fut question de monter par la cour et de casser un carreau mais l'étage était bien trop haut, il fut question d'ouvrir une autre porte d'entrée avec une feuille plastique mais ce fut un échec... Nous décidâmes d'aller dormir à l'hôtel et je peux vous dire que c'est un peu bizarre d'aller à l'hôtel dans sa propre ville à deux pas de la maison (a fortiori sans brosse à dents et puis sans habits propres, sans livres, tout ça). Et puis le dimanche à 22h30, il devient très compliqué de dîner à Rennes. J'aurais rêvé qu'il existe une chouette brasserie où dévorer une entrecôte tendre et juteuse avec de grosses frites maison. Mais il n'y avait plus que la solution du kebab... Je vous avoue que cette fois-ci, j'ai pris une bière.
Le réveil fut un peu surréaliste. Comme si nous venions de faire un très long voyage. Un petit déjeuner consolateur fut décidé d'un commun accord et de toute façon, le serrurier ne passerait qu'en fin de matinée. Quand il a enfin réussi à ouvrir l'une des portes, un sentiment de soulagement ravi m'a envahie. Après un baiser (destiné à G., pas au serrurier), je me suis précipitée dans la cuisine voir l'état du cake à la banane et au chocolat soigneusement préparé la veille et que je n'avais pas eu le temps d'emballer. La première tranche religieusement partagée s'est révélée délicieuse; le cake est moelleux, goûte très bien la banane, il n'y a pas trop de chocolat et il sent mystérieusement la noix de coco sans en contenir (en revanche, il est à la crème et il y a aussi un peu de café serré, deux très bonnes idées de l'inépuisable David Lebovitz, qui cherchait à se débarrasser de ses blancs d'oeufs).


Le cake à la banane de David LebovitzPour un moule à cake standard-210g de farine
-1cc de levure
-1cc de cannelle
-150g de sucre blond
-55g de beurre demi-sel bien mou
-1 blanc d'oeuf + 1 oeuf entier
-2 belles bananes très mûres, écrasées
-125mL de crème fraîche
-1/2 cc d'extrait de vanille liquide
-60g de chocolat concassé
-une petite tasse de café serré

Mélanger la farine, la levure, la cannelle et le sucre.
Battre le beurre avec les oeufs puis ajouter en mélangeant entre chaque ingrédient les bananes, la crème, la vanille et le café.
Incorporer ce mélange au premier en n'insistant pas trop, seulement jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de farine apparente.
Ajouter le chocolat, mélanger un peu.
Verser dans le moule beurré et fariné.
Faire cuire 40 minutes dans un four préchauffé à 180°.

Je vous souhaite plein de bons livres, de bons films et de bons gâteaux en 2011!

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