mardi 11 janvier 2011

Le soir où j'ai vu Somewhere


Un billet pour Virginia et Cléo
Le soir où j'ai vu Somewhere, la pluie n'a jamais cessé sur les pavés glacés; mes ballerines rouges et vernies avançaient en hésitant. J'avais aussi ressorti une petite écharpe grise injustement oubliée sur la plus haute des étagères du placard tapissé de bleu canard.
Le soir où j'ai vu Somewhere, une fête foraine tapageuse aux couleurs électriques et crues dispensait ses musiques vulgaires sur la place du cinéma, un multiplex hideux qui me fait toujours frissonner, mais Sofia vaut bien quelques frissons.
A travers les immenses baies vitrées du couloir qui mène à la salle, à l'étage, on pouvait contempler l'esthétique inquiétante et triste de cette fête foraine, les grosses peluches qui se balançaient au vent, les auto-tamponneuses qui se cognaient sur la piste minuscule.
Le soir où j'ai vu Somewhere, peu d'autres gens avaient décidé de le faire vu le nombre de fauteuils vides.
Pendant les interminables bandes-annonces, nous avons repensé au dîner que nous venions de partager au Tire-Bouchon dans une ambiance survoltée provoquée par l'arrivée massive d'une dizaine d'habitués, dont la femme d'un musicien qui portait une très enviable jupe en velours gris. Toutes ces embrassades et échanges de voeux n'ont pourtant pas éclairé le visage de mon serveur préféré, resté sombre pendant tout le repas. Il justifia maladroitement cet état par divers abus liés aux fêtes mais son ton suggérait d'autres motifs, plus secrets. Il avait en tout cas emballé avec soin une part de tarte au citron, la tarte au citron de Marianne, réservée pour le retour, après Somewhere, et déposée à cet effet sur une jolie assiette laissée dans la cuisine.
J'ai été parcourue de sentiments mêlés pendant toute la séance mais contrairement à ce que l'on peut lire dans des tas d'articles, jamais l'ennui ne s'est fait ressentir. Et à partir du moment où Cleo râpe un morceau de cheddar destiné aux macaronis qui frémissent sur la gazinière de la chambre 59 du Château Marmont, mon enthousiasme n'a cessé de croître (même si la fin me paraît contenir la plus mauvaise idée du film).
Il y a tous les parfums de glace commandés en pleine nuit (vanille, fraise, chocolat, pistache) et dégustés dans le lit immense d'un palace milanais, il y a les sweat-shirts colorés de Cleo, sa façon délicate de verser la sauce hollandaise sur les oeufs Benedict avant d'y ciseler de la ciboulette, il y a les hamburgers avalés dans un petit salon en jouant aux cartes, il y a la fraise sur le bord du verre de citronnade, il y a la détresse muette de Johnny Marco dont le corps avachi et le regard vain sont des traductions sensibles. Sofia Coppola a le sens du détail qui transcende le plan entier et je suis contente de savoir qu'elle a visionné Jeanne Dielman en préparant Somewhere.
Servie avec une tisane aux fleurs d'hibiscus, la tarte au citron de Marianne douce et acidulée, avait le goût de son sourire et accompagna la conversation enjouée qui suivit et qui concernait les différentes versions de la féminité explorées par Sofia Coppola, son utilisation de la musique, l'élégance dont elle peut recouvrir certaines trivialités.
Ce ne sera pas l'un de mes films préférés, mais parce qu'il parle avec classe d'une existence ratée sous le soleil de L.A et que les apparitions de Cleo sont absolument revivifiantes, le soir où j'ai vu Somewhere, j'ai regretté de ne pas faire de cinéma.

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20 Comments:

Anonymous V said...

Chère Patoumi , c'est une belle surprise de voir que ce billet est un peu pour moi , ça me remplit de joie !
Alors j'ai donc envie de voir Somewhere ! Ce que tu en dis , l'ambiance (moi, je n'avais pas peur de m'ennuyer ,juste de ne pas m'intéresser à l'histoire),les petites touches si importantes, la noirceur qu'on devine sous le faste . Merci patoumi, maintenant j'espère le voir !
Non tu ne fais pas (encore) de cinéma mais tes billets sont très cinématographiques, ce sont comme des courts-métrages .
J'espère ne pas me tromper mais je pense qu'ANOTHER YEAR te plairait . L'ambiance n'est pas celle de Somewhere mais la façon dont tu parles si bien de moments de la vie, de choses plus ou moins importantes me fait penser que tu aurais à dire et à penser sur ce film.
Oh la la, mais j'écris un commentaire très très long là ! Merci encore pour ce billet , il m'a donné envie .
A bientôt !

11 janvier 2011 à 07:56  
Blogger the_young_dude said...

J'ai adoré et détesté à la fois, je crois. Ça a commencé par une mauvaise surprise : la VF. Moi qui habituellement suis très à cheval sur ce "détail", je vérifie et re-vérifie cent fois. Et pas là. Soulagement partiel : le film ne contient finalement pas beaucoup de séquences parlées.
Ce film m'a agacée, j'avoue, mais en même temps la maîtrise est là et parfois ça marche même franchement. Le son reste pour moi la plus belle réussite du film.
bref, et vive la tarte au citron ! Je n'en ai pas mangé depuis si longtemps...

11 janvier 2011 à 10:40  
Blogger Cléo said...

Je coeur ton billet sur ce film tout à fait charmant. Oui, la fin m'a un peu déroutée aussi(voir laissée au bord de la route, hihi), mais n'a pas gâché mon plaisir pour autant. Après le film, je n'ai pas goûté de tarte au citron mais croqué dans un Reese's (peanut butter cup). Hum. Moins délicat.

11 janvier 2011 à 12:01  
Blogger pasc said...

quelle joie de vous retrouver Patoumi, même si j'arrive un peu tard pour vous le dire!
Continuez!
Merci

11 janvier 2011 à 13:12  
Anonymous Camille said...

Chère Patoumi,
Le soir où j'ai vu Somewhere, je me suis aussi battue contre les parapluies des spectateurs pressés de rentrer - j'avais le coeur battant de ne plus trouver de place, ou pire d'être au premier rang.
Le soir où j'ai vu Somewhere, j'étais d'humeur extrêmement mélancolique, et un peu détachée.
J'ai ri de tous petits détails américains, californiens, d'attentions délicieuses, j'ai souri de la légèreté feinte, de l'utilisation des couleurs fanées et de la voix passée de Julian Casablancas lors du match de ping pong. ( J'ai aussi trouvé la fin décevante, comme un renoncement à la cohérence du film. ).
Cela dit, je ne suis toujours pas certaine d'aller voir L.A. - Ville bizarre.

11 janvier 2011 à 16:03  
Anonymous arrosoir said...

la tarte au citron est mon péché mais je suis devenue très exigeante sur l'équilibre sucre-acide et le croquant de la pâte...
alors je suis souvent déçue à la deuxième bouchée (passé le moment du plaisir de la découverte)
je n'ai pas été séduite par "lost in translation" beaucoup plus par "Marie Antoinette" mais finalement après toi, je tenterai bien celui là.

11 janvier 2011 à 16:57  
Anonymous patoumi said...

V.: les longs commentaires me ravissent toujours! Merci pour le tien qui me fait dire qu'il FAUT que j'aille voir le Mike Leigh alors!
La noirceur sous le faste, la tristesse de la jouissance, l'élégance discrète de l'angoisse ma plaisent chez Sofia Coppola!

Pia: tu sais qu'il m'est déjà arrivé de partir parce que le film était en VF? J'ai pensé à toi dimanche soir, parce qu'on a regardé Rushmore (j'adore!)

Cléo: j'ai pensé à toi souvent pendant le film! Merci pour le détail du Reese's, évidemment.

Pasc: merci d'être encore là!

Camille: moi aussi j'ai couru dans l'escalier par peur de la place au premier rang mais en fait, on était pile bien, au milieu verticalement et horizontalement. Tu traduis bien les impressions mitigées que peut laisser le film (et L.A)

Arrosoir: mon préféré, c'est Marie Antoinette et après (de près), Virgin Suicides. Bizarrement, j'ai très peu de souvenirs de Lost in Translation (qui avait beaucoup agacé G.)
La tarte au citron de Marianne est constituée d'une très fine pâte sablée et surmontée d'une crème au citron "cuite", pas un lemon curd. Elle est très légère et assez délicieuse!

11 janvier 2011 à 17:53  
Blogger Véronique Mazière said...

Mon Somewhere aura le goût d'un bonbon à la violette, désuet et acidulé.
J'ai détesté le bruit du moteur de la Ferrari. J'avais entendu, malgré tous mes efforts pour échapper aux critiques à la radio, que la fin était nulle et ça m'a gâché les dernières 20 minutes du film.

12 janvier 2011 à 10:25  
Blogger Gracianne said...

Je verrai peut-etre un jour Somewhere - ou bien Los Angeles, qui sait?
J'aimerais bien gouter des oeufs benedict, ca fait un moment que je me dis ca.

12 janvier 2011 à 10:27  
Blogger the_young_dude said...

ah oui, Rushmore en revanche, je ne suis pas partagée. Comme souvent avec Wes Anderson, en fait.

12 janvier 2011 à 14:48  
Anonymous patoumi said...

Radzimire: j'avais parcouru des articles en diagonale et écouté la radio d'une oreille distraite, peut-être que même si tu n'avais pas entendu parler de cette fin désastreuse tu l'aurais quand même trouver comme telle? Non, mais en fait, c'est affreux, je compatis!

Gracianne: franchement, ses gros oeufs pochés et la poêle avec le bacon qui frétille font super envie!

Pia: j'ai déjà envie de revoir Rushmore! (seul La vie aquatique me divise)

12 janvier 2011 à 20:25  
Anonymous Anonyme said...

Passer, un peu par hasard, avec le vague espoir, malgré tout, de trouver quelques mots doux. Et, alors que le sapin n'est plus qu'aiguilles oubliées entre les lames du parquet, découvrir non pas une mais quatre pépites... Voilà qui vaut bien un tout premier commentaire ! Merci de continuer à partager votre univers, merci de m'avoir fait découvrir le gâteau au matcha du Neko et d'encourager à faire parfois des infidélités à l'Arvor... Longue vie à vos coquelicots.

12 janvier 2011 à 21:21  
Blogger Emily said...

Un billet très chouette Patoumi. Quand je compare nos façons dont nous écrivons sur le cinéma, j'ai envie de tout supprimer sur mon blog, tant le tien est tellement beau. J'ai vu Somewhere vendredi dernier par une journée grise et pluvieuse mais dans la salle pleine est chaude, j'imaginais facilement le soleil de Californie. Même si je ne l'aimais pas autant que Lost In Translation, le film m'a beaucoup plu et je ne m'ennuyais pas du tout, même si comme toi, la fin m'a déçue. J'ai surtout aime le râpage du cheddar, cette scène où Cleo fait du patinage et son père se rend compte à quel point elle est doué, l'idée de manger un burger en bas au Château Marmont, s'endormant en écoutant une chanson jouée spécialement pour moi et les couleurs de la piscine.

14 janvier 2011 à 17:23  
Anonymous patoumi said...

Anonyme: j'en ai passé du temps à l'Arvor les dernières années et j'ai plein d'affection pour cet endroit mais je trouve que depuis quelques temps, leur programmation est beaucoup moins attentive et pointue et puis il y a des films qui sortent mais qu'on ne voit jamais comme certains Hong Sang Soo ou même La religieuse portugaise d'Eugène Green... C'est triste. Mais vendredi soir, j'y ai vu Deux de la vague, un grand moment pour moi!
Sinon, je ne suis jamais allée au Neko, alors qu'on m'en a dit beaucoup de bien, ton petit mot me donne envie d'essayer!

Vanessa: (tu es trop dure avec toi-même!)
Merci de me rappeler toutes ces chouettes images de Somewhere!

16 janvier 2011 à 15:59  
Anonymous Grand Chef said...

Nous n'avons pas aimé Marie-Antoinette, mais ce doit être une question de déformation professionnelle...

Ce qui ne m'empêche pas d'être heureux de lire à quoi ressemble une séance au cinéma, c'est ce qui nous manque le plus ici.
J'aurais pu dire que les sardines nous manquent aussi, mais depuis ce midi, on a de quoi faire! Merci! Joyeuse* a adoré la carte postale et le cake et dit "merci beaucoup à la petite fille qui nous a envoyé un cadeau"!

18 janvier 2011 à 14:04  
Anonymous camill said...

Moi aussi je me suis laissée prendre par le charme et l'élégance de ce film, j'ai été le voir bien qu'assassiné par une méchante critique. J'ai adoré ce plan du début où la voiture tourne en rond, inlassablement... et je l'aurais bien vue pour en fin de film aussi...
je ne savais pas que Sofia Coppola avait vu ce film, culte de mes 20 ans Jeanne Dielman, 22 rue... Effectivement, beaucoup de gens, de critiques, n'avaient pas compris. pour moi, c'était une installation cinématographique....

19 janvier 2011 à 10:00  
Blogger patoumi said...

Grand Chef: j'ai l'impression que Joyeuse* serait d'accord avec ma petite cousine de 4 ans qui semblait tellement déroutée devant ma barrette fleur et mon sac en tissu qu'elle m'a demandé "Mais, tu es un adulte ou un enfant?"

Camill: merci pour ce beau commentaire. J'aurais adoré voir Jeanne Dielman à sa sortie...

20 janvier 2011 à 00:56  
Blogger Marie said...

Rien ne pourrait remplacer "virgin suicide" mais malgré tout ce que je lis sur somewhere, je crois que j'irai quand même le voir !
Bonne soirée !

20 janvier 2011 à 20:10  
Blogger patoumi said...

Marie: Somewhere garde le charme inimitable de Sofia Coppola (même s'il n'est pas gracieux et grave comme Virgin Suicide que j'adore aussi). Tu nous diras ce que tu en auras pensé?

21 janvier 2011 à 17:03  
Blogger (les chéchés) said...

(J'ai été infiniment touchée par le retour à l'hôtel avec le concert privé et le tu vas voir, il est super!
rigoler sous l'eau en prenant le thé.
préparer deux belles assiettes, méthodiquement, appliquée, et la sauce versée, juste comme il faut.
la solitude, dans sa chambre, avec juste le bruit du papier de cigarette qui brûle, la fumée...)
tu sais terriblement dire tout ça... j'ai noté, Deux de la Vague... J'espère le trouver ici!
Belle semaine!
Des bises...

24 janvier 2011 à 10:33  

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