dimanche 12 avril 2020

Ton visage tes yeux qui s'inondent


J'avais encore le goût des vacances de février.
Le miel des montagnes sur les tartines beurrées, la brioche grillée des petits-déjeuners, le vent dans les cheveux sur le télésiège qui montait jusqu'au lac gelé, le silence partagé sur les balançoires qui s'élançaient face aux sommets enneigés, les tuiles aux amandes recouvertes de chocolat qu'on achetait à la toute petite boutique située à l'entrée du village.
Une escale à Toulouse, et sur le chemin, un détour pour le déjeuner, dans une très belle maison, en pleine campagne, avec un chef à l'accent australien. Les enfants, nombreux ce jour-là, abandonnent leur jus de fruit racé et les bouchées de poulet pané pour se retrouver dans l'immense jardin. Ils reviendront à toute allure et des pâquerettes plein les cheveux pour le dessert somptueux.
Et puis, la lumière du printemps précoce dans les rues de Toulouse, l'amour l'après-midi, les pizzas en terrasse, les discussions sur la composition de l'Orangina, le dîner chez les amis, la passion cranberries, les makis Motchiya, la voix de Marguerite Duras.
En arrivant tard à Rennes un mardi soir, nous dînons à Origines, et les accras de butternut firent l'unanimité, malgré les lèvres brûlées.
Ensuite je me souviens, j'ai pris un train pour le bord de mer avec une petite fille de trois ans et demi, comme elle se désigne elle-même. Dans l'appartement avec vue sur le large, nous partageons nos habitudes dans le parfum mélangé des clémentines et du café instantané Belleville (franchement, quelle invention sublime).
Ces jours-là, c'est la tempête, c'est très beau. Nous allons voir les vagues sur la plage à quelques pas, elle dessine dans le sable, écrit son prénom, réclame des parties de 123-soleil mais avec le vent, on s'entend à peine. Il n'y a personne, sauf une fois un monsieur avec un chien qui nous ont fait sursauter.
Nos repas sont tous assez incroyables, et nous sommes partout accueillies avec un enthousiasme inédit (être seule avec un enfant fait visiblement un certain effet...). Elle est subjuguée par le inari sushi à l'anguille chez Otonali. Moi aussi. Et comme je suis l'adulte responsable de la situation, je décide d'y retourner le soir suivant.
Je me souviens bien, la lecture de la correspondance de Frédéric Berthet, les lettres à Barthes, et puis un matin, pieds nus sur le parquet de la cuisine, le petit message d'une amie « Tu as vu la démission de la rédaction des Cahiers ? » Cette nouvelle m'emplit d'une infinie tristesse, je me sens encore plus séparée du monde tel qu'il évolue.
Pour le train du retour, nous achetons une part de flan pâtissier, une torsade au chocolat, j'ai encore quelques clémentines, et nous rapportons pour G. des sablés bretons au beurre B.
L'école a repris, et nos goûters de fin d'après-midi, et les dîners en amoureux du vendredi, le marché du samedi et l'éternelle négociation autour de la crêpe au sucre (uniquement après la file d'attente du maraîcher).
Le premier mardi, je lui apporte une brioche au potimarron et aux pépites de chocolat Petite Nature. Elle la dévore sur le chemin « un pur délice, maman ».
Le premier jeudi, un orage éclate, nous ne sommes pas du tout équipées et pour éviter d'être trempées nous nous abritons à Chérie Chéri. Nous comptons partager un chocolat chaud mais il est tellement bon (je suis obligée de l'admettre...) que nous en prenons un deuxième.
Nous commençons la lecture de Sacrées Sorcières (le très gentil libraire du rayon jeunesse, en me tendant l'exemplaire, fait tomber la petite publicité pour l'adaptation toute récente de Pénélope Bagieu. Je soupire. Il me dit « Oui, laissez, franchement je préfère le mettre à la poubelle ! » Je le trouve encore plus gentil )
Cette semaine-là, j'avais préparé un somptueux bœuf bourguignon et, pour le dîner de samedi, pendant que G. est à un concert, nous dévorons des spaghetti alle vongole.
Le lendemain, le premier dimanche, nous déjeunons tous les trois au restaurant cambodgien de la rue Legraverend. Nous hochons la tête de façon unanime en déclarant la bouche encore pleine Le chef sait vraiment bien faire le crabe farci ! Nous repartons avec un petit sachet de nougat chinois.
La machine à laver est en panne, et pour la première fois de nos vies, nous allons tous les trois à la laverie. En attendant que le linge soit prêt, nous longeons la rivière. Les cerisiers sont déjà en fleurs. L'air est doux. Elle file à toute vitesse sur sa bicyclette jaune (je préférais le modèle vert d'eau mais quand j'ai proposé cette couleur, sa réponse fut définitive « J'ai pas envie d'un vélo de la même couleur que le frigo »).
En rentrant ce dimanche, nous préparons des cookies. Pour le dessert, nous les mangeons tièdes avec du lait bien froid.
Le mardi suivant, je retourne à Origines avec G. pour un dîner à l'improviste (merci la baby-sitter...)
J'essaie d'oublier la serveuse pénible et je me concentre sur le poireau grillé, le chèvre frais et l'oeuf mariné.
Le mercredi, pour le dessert, G. a acheté un Paris-Brest et un éclair à la vanille.
Cette semaine-là, j'ai discuté de Ma nuit chez Maud avec Vincent Delerm. Il dit des trucs hyper touchants.
Le jeudi, je vais à Saint Hélier avec une petite fille sur une bicyclette jaune. Elle a patienté pour le goûter depuis la sortie de l'école et nous nous arrêtons comme promis à la petite gargote à crêpes. Elle dévore son exemplaire au sucre. Nous achetons du bon pain et des fromages (dont un déliceux pérail de brebis).
Cet hiver, à Milan, j'ai vu in extremis l'exposition belle et malicieuse mise en scène par Wes Anderson et son amoureuse, Juman Maalouf et, de la même façon, il était prévu un week end parisien, occasion ultime de voir la rétrospective Boltanski à Beaubourg.
Devant l'actualité épidémiologique du mois de mars, qui courait déjà en décembre mais passons, nous décidons d'annuler ce petit voyage. Mais pas question de renoncer à s'amuser.
Ecole buissonnière ce vendredi-là, de toute façon il n'y aura plus d'école dès le lundi suivant. Avant de les retrouver, je suis allée déjeuner à Petite Nature, j'ai pris le temps de savourer un bol de ramen fumant les yeux sur le dehors.
Grande joie d'être tous les trois un jour de semaine, nous passons l'après-midi à nous promener. Nous achetons, je me souviens, des fritures de Pâques que nous goûtons à peine sortis du magasin, et des sablés matcha-citron.
En fin d'après-midi, nous filons à Nakama, le bar à cocktails japonais où nous n'avions jamais mis les pieds. Pieds qu'elle déchausse illico Des tatamis comme au Japon ! Son bonheur fut complet en avalant la première gorgée du jus pomme-mandarine-miel-fleur d'oranger qu'on vient de lui servir (elle en parle encore).
Bientôt, il est déjà 19h, pas trop de trajet à faire pour le dîner puisqu'à la porte d'à côté, il y a Pénates. G. lui raconte :
- Ici, autrefois, quand papa et maman venaient de se rencontrer, il y avait un restaurant où ils adoraient manger, où ils ont fêté des choses importantes...
- Des anniversaires ?
- Par exemple, des anniversaires, oui.
- Et on mangeait quoi dans ce restaurant ?
- Des saint-jacques à peine cuites dans du très bon bouillon, des caillettes moelleuses et rebondies avec de la purée.
- Des caillettes ? C'est quoi ? Des petites cailles ?
Rien à voir à Pénates mais la même joie, la même excitation devant chaque assiette qui se succède, la même extase. Tout est très simple mais avec à chaque fois, un éclat singulier : bulots avec une mayonnaise aux algues, premières asperges, raviole au fromage frais et piment d'Espelette, turbot rôti avec une sauce hollandaise délicatement désuète. Et, somptueuse crème au chocolat.
Elle nous attend à peine sur le chemin du retour, dans la nuit, riant aux éclats sur sa bicyclette jaune.
Le lendemain soir, j'apprends, la fermeture des cafés, des bars, des restaurants.
Deux jours plus tard j'apprends, le confinement.
Abattement, tristesse, insomnies, discussions tard dans la nuit, honte, colère, colère, colère.
L'article sur le site de Libération avec mon nom au début.
Mais ça ne change rien. Abattement, tristesse, insomnies, discussions, discussions, discussions, honte, honte, honte et colère immense.

samedi 28 septembre 2019

Chaque jour est un été


Trois jours par semaine, aux alentours de 16h12, je suis devant le portail de la petite école.
Dans le cabas indien acheté il y a vingt ans, un goûter dans une boîte Barbapapa. Bientôt, une petite main dans la mienne.
Selon l’humeur et les nécessités, nous allons
Au manège où elle choisit le bateau, la tasse qui tourne, le cheval blanc ou l’avion jaune
A la boulangerie, chercher un pain au kamut
A la biocoop, refaire notre stock de raisin et de poires
Chez le traiteur grec, un peu de tarama ou du houmous aux herbes fraîches
A la crèmerie, 12 yaourts, une petite plaquette de beurre demi-sel et un saint-marcellin
Au petit marché du jeudi, trois pommes, une poignée de raviolis jambon-parmesan, un bouquet de ciboulette
A la boutique insupportable, une tablette de chocolat aux éclats de fèves de cacao, 70%, Haïti, bean-to-bar, c’est dark dark dark, c’est son préféré
A la librairie, un nouvelle histoire pour le soir
Au café des filles, des cookies pour le goûter avec la baby-sitter du mercredi
A la pâtisserie, deux canelés ou une part de marbré
Et les corvées aussi,
Au pressing, le manteau à récupérer
A la poste, le colis à déposer
A la pharmacie, la crème contre le vilain eczéma qui rapplique quand les jours sont plus froids


Mais parfois, comme hier, comme avant-hier, il pleut trop fort pour une balade et, retranchées dans l’appartement toutes lumières allumées, à la fenêtre de mon bureau, nous regardons les passants sur les pavés mouillés.
Je propose du dessin, une histoire, un puzzle…
Elle répond un film.
Je sors plusieurs dvd.
Elle dit celui-là, en saisissant Moonrise Kingdom.
Le film commence en VO, j’ai oublié de le passer en VF, je veux faire pause, elle dit Non, j’aime bien comme ça. Elle est déjà absorbée par le travelling dans la maison des Bishop.
Je traduis au fur et à mesure.
J’arrête à la moitié, pour ménager le suspense.
Pendant le dîner, oeuf à la coque, mouillettes, truite fumée, nous discutons de la première partie.
Pourquoi personne n’aime Sam ?
Parce que c’est un enfant différent.
C’est pas grave si personne ne l’aime parce que Suzy, elle, elle l’aime.
J'acquiesce, nous regardons la suite le lendemain.


Durant ces trois dernières années, je n’ai cessé de questionner la pertinence pour moi de la maternité. Plus elle grandissait, plus elle se séparait des objets aliénants de la vie des bébés (les couches, les biberons, le lit à barreaux, la turbulette, la chaise haute, la poussette, je m’en délestais avec délice), plus je sentais que je ne m’étais peut-être pas trompée. Je notais scrupuleusement dans mon journal chaque moment réjouissant.
Chacun d’eux martelait un encouragement secret.
Les vacances à Belle-Ile, à Naples ou à Biarritz.
Le chocolat chaud et les tartines que nous partagions au café le mardi matin.
Les rétrospectives Studio Ghibli.
La lecture dans le train.
Les déjeuners délicieux à la Petite Ourse.
Les journées magiques au Château Richeux.
La plage des dunes et sa gargote hippie-bio où nous allions boire des jus ananas-orange-banane.
Les virées au Bookstore, la famille Souris, l’orange pressée qu’on attendait patiemment au Bali Bowls.
Les framboises et la crêpe au sucre dans les allées du marché.
Les chansons de Michel Legrand dans la voiture.
Entre autres choses…
Et récemment, quelques jours en bord de mer, pour oublier le rythme trépidant de la rentrée. Nous marchons longtemps, occupés à courser le soleil qui se couchait au-dessus de la baie. Nous croisons des hôtels où nous avons dormi il y a des années avec G. Il dit Tu te rappelles ? Mais il connait la réponse, il la lit dans le silence de mon regard brillant. Elle dit Et moi j’étais où ?
C’est son grand mystère, où était-elle pendant la vie d’avant ? Pendant trois ans, j’ai été morte d’angoisse que ne revienne jamais rien de la vie d’avant.
Mais le moment que j’attendais, c’est vrai, celui que je guettais, c’était le jour où nous regarderions, ensemble, un film qui compte.
Je suis heureuse qu’il soit arrivé, un jour en septembre, sur la pointe des pieds, incarné dans un film de Wes Anderson où les enfants sont lucides, déterminés, grands lecteurs et amoureux.
Après tout, un automne tout neuf commence, nous partons bientôt au Japon, les nouvelles chansons de Vincent Delerm sont géniales et parlent de moi, j’écris la nuit, j’écoute Melvil Poupaud à la radio, c’est la vie d’avant, maintenant.

mercredi 17 octobre 2018

Autofiction


Les retours de plage empruntaient chaque jour le même chemin. La voiture de location roulait toutes vitres ouvertes dans l'air saturé de soleil du mois d'août. J'aimais le moment où l'on apercevait, à flanc de colline, le village que nous avions choisi, qui se détachait sur le ciel si bleu. J'avais appréhendé qu'il ne figure dans aucun guide, G. avait évidemment trouvé cela parfaitement excitant.
Il arrivait que nous nous arrêtions à l'une des échoppes éphémères dressées en lisière de vergers, juste avant de nous engager sur la route qui menait au centre du village (que nous appellerons C.C pour faire simple). Là, sur une table à tréteaux, protégés par un store à larges rayures bleu, jaune ou vert, on trouvait du raisin, des pêches, des poires, des nectarines et de la pastèque, des tomates, des aubergines et des courgettes, tous gorgés du soleil de la côte toscane. Nous achetions quelques fruits, surtout du raisin et des pêches, dont le jus sucré était le meilleur des desserts.
Une fois la voiture garée, il fallait marcher cinq minutes avant d'atteindre l'appartement. Les sandales encore pleines de sable, le cabas avec le désordre de fin de journée à l'épaule, son petit matériel de plage au bout du bras (seau, pelle, arrosoir...), je remontais la rue piétonne en appréciant à chaque fois la beauté du lieu, sa quiétude. En chemin, nous réservions parfois une table en terrasse pour le dîner chez F. Ses gnocchis aux légumes et au pecorino étaient délicieux. Elle ne voulait pour sa part qu'une assiette de penne al'ragu dont elle se léchait les doigts.
Dans l'appartement, la cuisine était minuscule, toute en longueur, comme celle que nous allons bientôt avoir chez nous. Nous aimions nous y retrouver, au retour de la plage, pour grignoter justement quelques grains de raisin ou s'offrir un yaourt local, très blanc, très doux. Un moment rafraîchissant.
La cuisine s'ouvrait sur un long balcon, dallé de terrazzo. La vue y était splendide et émouvante. On apercevait la mer, celle-la même où nous nous baignions chaque jour, et les vergers, et la route qui serpentait. A la nuit tombée, le paysage devenait féérique car la côte toute entière frémissait sous l'effet des lumières minuscules. Et je n'ai jamais vu autant d'étoiles filantes que dans le ciel de C.C.
Le matin, nous descendions prendre notre petit-déjeuner au café, dans la rue principale et à quelques mètres de l'appartement. Elle buvait une orange pressée, chipotait quelques miettes de croissant, se rattrapait sur un yaourt. Les habitués avalaient un espresso au comptoir, commandaient parfois un sandwich à la mortadelle ou à la mozarelle.
A C.C, si l'on continue la via Vittorio Emanuele II et qu'on traverse la piazza del popolo, si l'on emprunte ensuite le grand escalier, on arrive à un très beau belvédère où selon les personnalités de chacun, la perspective sur la mer et les collines enthousiame autant que deux balançoires particulièrement convoitées.
Un jour, nous étions partis plus tôt de la plage et il y eut au retour un détour par le supermarché local pour une nécessité pratique que j'ai oubliée. L'appétit aiguisé par l'air du large et stimulés par la profusion exotique des rayons, nous partageons, à même une allée, debout dans nos tenues post-plage (robes faciles à enfiler, tee-shirt aux couleurs passées), une part de pizza encore tiède et un sandwich au prosciutto cotto, achetés au rayon boulangerie du supermarché. Ce n'est pas tout à fait artisanal, ce n'est pas fabriqué avec des ingrédients sourcés et encore moins biologiques, mais c'est absolument réjouissant et délicieux. Et puis on se fiche éperdument de se tâcher vu qu'on n'est déjà pas très propre...
Quand nous ne dînons pas à la terrasse de chez F., nous allons chez Gu., dont le restaurant est régulièrement et de façon incompréhensible, tout à fait désert. Pourtant, le minestrone y est savoureux et elle dévore chaque fois ses rigatoni au poisson jusqu'à la dernière pâte. Après le dîner, nous déambulons dans la ville, nous laissant surprendre par des animations estivales que je négligerais en temps ordinaire. Un soir un concert, un autre un spectacle de marionnettes. Mais en réalité, mon attraction nocturne favorite reste la dégustation d'une glace en terrasse juste avant de rentrer. Elle choisit invariablement celle au yaourt, je ne me lasse pas de la straciatella et G. navigue entre le chocolat au lait et la noix de coco.
Les jours passent ainsi, entre la plage, le café, les restaurants, les balançoires et le glacier. Nous passons de temps en temps à la biscuiterie en bas de l'appartement, elle aime grignoter ceux dont l'extrémité est chocolatée.
Bon, il n'y a pas de librairie à C.C mais j'ai tout prévu dans la valise et je lis avec exaltation un roman sentimental d'Edith Wharton qui s'appelle Summer.
Le jour du départ, avant de prendre l'avion, nous nous arrêtons dans une station balnéaire pour le déjeuner. Nous entrons, absolument par hasard, dans un restaurant de bord de route, à l'écart de l'agitation côtière. Presque toutes les tables sont réservées mais comme il est tôt (qui, en Italie, déjeune à midi ?), on nous fait une place en terrasse. Bientôt, on nous apporte de la foccacia tiède et du pain maison, délicieux. Bientôt, nous nous régalons de gnocchi au pesto de pistache et aux palourdes, de pappardelle au poisson et à la tomate, d'un bar grillé farci aux herbes. Il n'y avait pas meilleure façon de dire au revoir à cet été en Toscane.
Depuis quelques semaines, à table, en promenade ou au moment du coucher, elle demande régulièrement: "Maman, tu peux raconter les vacances en Italie ?" (pour être juste, elle adopte un ton quand même plus impératif: "Maman, raconte vacances en Italie !"*). Alors je commence, Les retours de plage empruntaient chaque jour le même chemin...

*Elle demande aussi sur le même ton "Maman, raconte vacances à Biarritz !"
C'est une histoire qui pourrait commencer par A Biarritz, on habitait une petite maison de pêcheur tout près de l'océan...

mardi 31 juillet 2018

Ce qui ne suffit pas


C'est un mardi soir, début juillet. G. rentre dans quelques heures. Une petite fille s'est endormie il y a peu, après le récit de Ponyo sur la falaise (une version personnelle, qui se clôt savamment après l'épisode des ramen : malgré son appétit, Ponyo est trop fatiguée pour terminer son bol, elle n'arrive plus à tenir ses baguettes, Sosuke et sa maman la couchent sur leur canapé et replient sur elle une couverture rose pâle... Vous voyez l'idée).
Il reste quelques parts de pizzas délicieuses, vestiges d'une soirée joyeuse, tous les trois. Je les saisis dans le four très chaud, je glisse les triangles brûlants sur une planche en bois, je m'installe dans mon bureau. Il fait encore jour et très doux, j'ouvre grand la fenêtre, l'air du soir sent bon. Assise en tailleur sur le tapis, j'attaque une part de pizza tout en installant un podcast. Cette position, cette activité, écouter la radio assise par terre en mangeant quelque chose de grandement satisfaisant, me replonge chaque fois en un instant à ma vie d'étudiante. C'est agréable et précieux, l'un des rares aspects de la vie sans G. à laquelle je suis indéfectiblement attachée.
Ainsi, j'écoute Edouard Louis chez Marie Richeux. A un moment, il explique qu'il écrit pour tous ceux qui ne peuvent pas parler (en l'occurrence les ouvriers, qui ne disposent pas des moyens nécessaires pour évoquer leur existence, leur condition) et je m'aperçois alors que mon travail, celui de psychiatre, et de psychanalyste, consiste à écouter, avec une attention particulière, les gens parler d'eux, de leur vie, de ce qu'ils ne pourraient dire à personne d'autre, et à amener ceux qui n'en ont pas l'habitude (et ce ne sont pas forcément des ouvriers), à le faire, et que cela puisse leur être bénéfique. J'aime bien ce travail.
Il ne reste bientôt plus que quelques miettes de pizza, je grignote des fraises. Cultivées avec soin près de la maison, elle sont délicates et parfumées. Je me demande alors, à la suite d'Edouard Louis, pourquoi j'écris, ce que j'attends de l'écriture, pourquoi cela me tracasse de n'être pas publiée, pourquoi ce que je fais pour les gens, chaque jour au cabinet et pour de longues années encore, ne me suffit pas.
Quand j'écris, j'ai toujours à l'esprit la petite fille que j'étais et pour qui le livre, en tant qu'objet, était le meilleur des compagnons, le meilleur des doudous, le meilleur des voyages, un organe vital extérieur à moi, et même une raison de vivre finalement (il y avait tant de livres à lire qu'il fallait espérer mourir vieux). Quand j'écris, je pense aussi beaucoup à l'adolescente que j'étais, à la conscience que j'avais de ne pas être au bon endroit, à la bonne époque, mais sans bien savoir quelle issue était possible et comment la trouver. L'existence même de cette issue me paraissait hypothétique. Avant de le découvrir au travers du cinéma, c'est d'abord la littérature qui me laissait apercevoir que la vie, la mienne, pourrait être différente. Que d'autres personnes avaient pu ressentir avant moi la violence de la solitude, du mal-être, de l'impatience, et qu'elles avaient su trouver les mots pour le dire, tellement précisément que sans me connaître, elles parlaient pourtant de moi.
Si j'écris, si j'essaie d'écrire, c'est pour cela. Pour qu'un jour, quelqu'un (oui, une personne suffirait) en me lisant, puisse se sentir si bien compris qu'il en soit profondément et durablement consolé.
Pourtant, je sais par expérience que cet effet recherché sur l'autre, j'y parviens au cabinet, dans le secret des séances (en écrivant cela, je me rappelle d'un jour très lointain, j'étais très jeune et G. était encore interne. Nous flânons dans les rues de Rennes quand un garçon nous interpelle et salue G., qu'il remercie très chaleureusement pour ce qu'il lui a apporté, en tant que patient. Cette rencontre m'avait beaucoup remuée. J'espérais qu'un jour, il puisse m'arriver la même chose et je voulais être un médecin suffisamment bon pour cela. Des années plus tard, je constate que c'est arrivé bien des fois et je m'aperçois, que cela ne suffit pas).
Je voudrais tant, je rêverais tant, que ce ne soit pas par l'intermédiaire d'un rendez-vous et d'un savoir-faire clinique que les gens puissent ressentir quelque chose lié à ce que j'aurais pu exprimer. Je voudrais que ce soit par hasard, qu'ils aient traîné, comme je le fais si souvent, entre les tables et les rayons d'une librairie et qu'ils aient aimé le titre du roman, qu'ils aient lu la phrase en quatrième de couverture, qu'ils aient commencé le premier chapitre et qu'il leur a paru indispensable de savoir la suite. Je voudrais qu'ils décident d'acheter le livre (même s'il coûte un peu cher pour eux, même s'ils ont un autre roman en cours, même s'ils ont peu de temps pour lire), qu'ils rentrent avec, puis qu'au fil des pages, ils aient l'impression que j'ai écrit pour eux, pour eux seuls, comme si j'avais eu connaissance de leur vie, et qu'ils en soient heureux.
Cet effet sur l'autre, accessible par la clinique, me semble tellement plus désirable s'il est lié à l'émotion artistique, la surprise de la rencontre, ce moment qu'on n'explique pas et qu'on n'oublie jamais.

dimanche 8 juillet 2018

Prendre un train vers la côte...


Deuxième nuit à l'hôtel Claska. Je dors mal bien que la soirée ait été délicieuse. Il y a un restaurant microscopique à quelques pas de l'hôtel. Comme souvent au Japon, l'enseigne est discrète quand elle n'est pas inexistante, l'endroit est à peine éclairé, on compte trois tables et autant de places au comptoir, mais dans l'assiette, c'est absolument foudroyant. Souvent aussi, les personnes qui travaillent dans ces endroits-là (une mère et son fils, un garçon et son amoureuse...) sont d'une somptueuse gentillesse ou au moins d'une douce courtoisie. J'étais donc ravie mais il n'empêche que quatre heures après ce moment gracieux, je ne dors toujours pas. Je m'éclipse même dans la salle de bains pour lire en espérant m'endormir, tant pis si c'est sur le parquet. Ça ne fonctionne pas du tout. Je retourne me glisser dans le lit immense. J'écoute la pluie battre les vitres. Evidemment, je pense à Lost In Translation. Je pense aussi à une petite fille, je calcule l'heure à laquelle elle doit être en train de vivre sa propre vie, j'ai le cœur qui se serre un peu. D'une façon symptômatique, j'ai sans cesse peur de mourir quand je suis loin d'elle. C'est sur cette idée épuisante que je finis par m'endormir.

A peine quelques heures plus tard, calme olympien dans la belle salle du petit-déjeuner, j'en oublie mon insomnie. Les matins à l'hôtel Claska sont sereins et élégants. Tout est feutré et subtil. Le granola est servi en fines plaques croustillantes, à rompre délicatement au-dessus du yaourt inondé de fruits frais, l'omelette au ketchup est délicieuse. J'ai grand appétit après la nuit un peu rude. Dehors, c'est comme dans les histoires de Miazaki : une pluie drue qui coupe l'espace, qui perforerait presque les trottoirs, un vent terrible et un ciel densément gris. Aucune envie de se presser, je commande un deuxième latte (ma vie sans caféïne me paraît désormais n'être qu'un très lointain souvenir). Pourtant, il ne s'agit pas de traîner. Pour être le soir même à Uno, comme prévu, il faut se rendre à la gare de Tokyo, prendre un shinkansen pour Okayama puis un petit train pour Uno, d'où partiront les bateaux qui relient Naoshima et Teshima. J'ai rêvé de ce périple pendant des années.
La réceptionniste de l'hôtel Claska, coupe de cheveux et anglais tout aussi parfaits, nous apprend que la pluie provoque une pénurie durable de taxis et que le plus simple pour rejoindre la gare serait de prendre un bus dont l'arrêt se situe, dit-elle, à quelques centaines de mètres, à côté du Lawson, la chaîne locale de supermarché. Je regarde nos deux grosses valises, je regarde le paysage détrempé, je regarde ma veste pas du tout imperméable et je regarde G. Dans ce genre de situation, il endosse parfaitement le rôle du leader à la Wes Anderson et nous voilà bientôt partis, chacun à l'abri d'un immense parapluie transparent (un objet iconique si j'en crois ces deux voyages au Japon). La pénibilité du transfert ne nous empêche pas de nous arrêter dans une boulangerie croisée en chemin, alléchés par les petites brioches à l'azuki ou à la custard, selon les préférences de chacun.
Tout s'est bien passé, et nous avons même le temps de choisir un bento pour le train (le principe de l'ekiben pourrait pour moi se résumer ainsi : l'excitation prévaut largement la dégustation).
A Uno, j'avais réservé une chambre dans un hôtel dont chaque chambre portait le nom d'un réalisateur et, heureux hasard, nous occupions la Ozu Room, vaste et avec vue. Je ne savais pas encore que l'hôtel avait aussi le bon goût de proposer, au petit-déjeuner (un moment décidément crucial en voyage), des petits sandwiches tièdes, au pain maison, garni d'un œuf sur le plat, de cheddar et de bacon, avec cette inimitable petite touche japonaise qui transcende tout. A toute heure de la journée, on pouvait aussi savourer du très bon café (je m'aperçois en l'écrivant que c'était vraiment un petit paradis), des scones maison encore chauds (chocolat blanc-citron ou chocolat noir) ou une salade revigorante, pleine de légumes, de petites graines et de fruits secs, servie avec une sauce magique.Je garde une grande affection pour cet hôtel, et pour Uno, dont les rues qui se coupent à angles droits sont parsemées de petits lieux charmants, comme autant de bonnes surprises. Parmi eux, un restaurant qui s'appelle Osakaya Shokudo. Un restaurant de cinéma aussi, où l'on se sent bien dès la porte coulissante franchie. On y boit du thé à l'orge grillé en examinant le menu. C'est le papa qui cuisine, la maman assure la finition des assiettes et le service, avec leur fille. C'est effectivement une cuisine familiale, simple, savoureuse, rassurante, que l'on apprécie d'autant plus que les dîners à l'Osakaya Shokudo surviennent après des longues journées, de train ou de randonnée. C'est un endroit chaleureux et tendre, sincère et gourmand (pour tout dire, nous y sommes allés deux fois avec le même plaisir).
A bord du bateau de 8h10 qui partait pour Naoshima, je remarque tout de suite un garçon qui voyage seul. Lui remarque plutôt l'appareil argentique à mon épaule. Il en a un aussi, muni d'une sangle épaisse, en corde tressée, et il transporte un gros sac à dos en toile kaki, qui laisse penser qu'il reste dormir sur l'île. Il me paraît très étrange d'entreprendre seul ce pèlerinage et en même temps, c'est divinemement mystérieux, et bien sûr, j'imagine immédiatement qu'il vient oublier un chagrin amoureux alors que si ça se trouve, il écrit simplement une thèse sur l'art contemporain au Japon. Il m'intrigue et je l'observe du coin de l'oeil mais je suis vite emportée par autre chose. La nature environnante d'abord, les méduses qui ondulent tout le long du trajet en bateau, puis, une fois débarqués, les idées géniales de James Turell, Lee Ufan ou Tadao Ando. Simplicité apparente, minimalisme, rigueur, textures, poésie de la pierre et de la lumière. En fin d'après-midi, au terme du périple, je retrouve le garçon croisé sur le bateau en train de photographier la citrouille de Yayoi Kusama. Recueilli et concentré, il reste là un certain temps. De notre côté, nous avons raté le dernier bus mais un chauffeur bienveillant nous fait monter quand même, en compagnie d'un pêcheur à la ligne, et nous sommes à nouveau bientôt à l'embarcadère pour le retour. Sur le ferry, des touristes chinois grignotent de brochettes. Je suis fourbue et ravie.
Le lendemain, nous partons pour Teshima. L'installation de Christian Boltanski m'émeut moins finalement que le bord de mer qui l'abrite mais le moment de félicité ultime, l'expérience indispensable et inoubliable, c'est vraiment la rencontre poétique de Rei Nato et Ryue Nishizawa dont l'installation au milieu des rizières me trouble encore des semaines après. C'est l'un des plus beaux endroits qu'il m'ait été donné de voir, de vivre.

dimanche 3 juin 2018

Happy days


Les jours qui précédèrent le départ pour Amsterdam, je ruminais un peu. J'éprouvais encore le spleen propre aux retours du Japon (à peine une semaine plus tôt) mais j'étais aussi inquiète pour le voyage à venir. Je craignais que le vol se passe mal (récits mille fois entendus de bébés vomitifs et vagissants), que la location soit décevante, que nous trouvions la ville ennuyeuse avec un enfant, bref, j'avais peur que ce soit nul. Dans la valise, entre les gourdes de compote et les mini lunettes de soleil, je glisse Jean Echenoz et Jean-Paul Civeyrac puis la veille du départ, je croise les doigts.
Pour mettre fin rapidement au suspense, je dirais très simplement que ce fut une très belle semaine.
Ma petite fille adore l'avion (et feuilleter les Cahiers du Cinéma donc plus aucun doute, c'est bien mon enfant!) et je me souviendrai longtemps
- de son regard devant une vidéo de Marina Abramovic en train de se massacrer le cuir chevelu. Elle commenta, pensive, Dame bobo peigne 
- de son expression de satisfaction après la première bouchée de glace au gianduja (je recommande fortement de choisir un appartement à De Pijp rien que pour pouvoir fréquenter assidûment Massimo Gelato car, quel que soit l'endroit du monde, il est entendu que les meilleures glaces sont définitivement celles des Italiens. Enfin, talonnées de près par les glaces japonaises)
- de son goût immodéré pour les pizzas avec des champignons dessus
- de la terrasse de Glouglou, une cave à vins natures, qui sert aussi des rillettes, du bon fromage et des œufs mayonnaise, trois denrées pas du tout consensuelles mais particulièrement appréciées par les petites filles (ce sont les vacances, il sera bien temps de revenir aux carottes à la vapeur - qu'elle repousse discrètement sur le bord de son assiette...)
- des oranges pressées sirotées à la paille dès que l'occasion se présente
- de son attention devant le bain des éléphants le jour où j'ai consenti à aller au zoo
- des sandwiches de Box Sociaal (de la mayonnaise à la sriracha!) et de la façon dont elle a conquis son petit public, remportant ainsi un délicieux morceau de millionaire's shortbread à croquer debout face au comptoir
- de sa joie au parc et sur les trottoirs Moi cours vite !  (une rengaine)
- des petits plats de chez Foodies, un traiteur italien somptueux où l'on peut aussi dîner sur l'unique table d'hôtes en écouter des 33 tours
- d'une photographie du centre-ville de Lourdes à la Huis Marseille
- des yaourts au granola, des fraises et des tomates cerises (les indispensables des menus d'un enfant de presque deux ans).
Surtout, j'ai éprouvé un sentiment inédit, un genre de révélation. Ça commençait comme un moment de tristesse, une peine intérieure, car j'avais bien conscience, en longeant les canaux, du genre de vacances que nous aurions passé là avec G., toutes ces journées ensoleillées pendant lesquelles nous aurions arpenté la ville librement de cafés en librairies en musées en terrasses avant de rentrer nous coucher hyper tard. Je sais très précisément à quoi ces vacances auraient ressemblé et elles auraient probablement été très douces mais j'étais aussi obligée de constater qu'en vivant des moments différents, et avec un enfant, j'éprouvais un certain bonheur, très pur, et que cette joie, réelle, vivante, était plus forte que le vague chagrin qui pleurait un film que je ne vivais pas, que j'avais déjà vécu, et pour la première fois de ma vie, après une douzaine d'années de psychanalyse, je constatais en vrai, du haut de ma structure d'incurable névrosée, que le réel pouvait vaincre l'imaginaire dans ce qu'il peut imposer d'heureux. Je n'en reviens toujours pas.

mardi 13 mars 2018

J'aime sa solitude


Pendant que G. partait skier, j'ai lu M Train de Patti Smith, acheté à toute vitesse au Relay de l'aéroport de Nantes par peur de manquer de lecture (je n'avais pas eu le temps de me pencher de façon rigoureuse sur la question et j'avais simplement emporté avec moi Annie Ernaux en Quarto dont j'avais quasiment déjà tout lu, L'un l'autre de Peter Stamm qui n'est vraiment pas très épais, des articles de Marguerite Duras, un roman français absolument ennuyeux dont je préfère taire le titre et Home cooking de Laurie Colwin, une lecture aussi délassante qu'un bon bain chaud).
J'ai lu M Train en grande partie au tea-room de Champéry en buvant des cappucino et dans le train qui reliait Champéry à Lausanne où se tient au musée de la photographie une très belle exposition sur les lignes. J'ai été étonnée, émue et troublée par le fait que Patti Smith et moi avions un certain nombre de passions communes (G. dirait "et en premier lieu un goût pour les choses perdues, passées, et les écrivains qui se sont suicidés." Certes.)
Comme moi, Patti aime les cafés, le pain complet, la photographie argentique, Akira Kurosawa, les premiers romans d'Haruki Murakami, Sylvia Plath, les soeurs Brontë et les spaghetti préparés avec trois fois rien (par exemple, des oignons verts, de l'ail, une boîte d'anchois). Elle ne sait ni nager ni conduire. Elle s'émeut du goût d'un beignet fourré à la pâte d'azuki. Il lui arrive de prendre des polaroïds parfaits et de les perdre. Et quand elle va au Japon, elle ne manque pas de se rendre sur la tombe de Yasujiro Ozu, à Kamakura. Ce que j'espère bien faire dans moins de deux mois maintenant.

samedi 3 mars 2018

Conte d'hiver


Nous venions de passer quelques jours en bord de mer avec elle. Elle s'était délectée de rouleaux de printemps à l'araignée, de pain chaud, de soupe au lait de soja et aux palourdes, de homard poché dans du bouillon japonais, de chou rouge beurré, de jus d'ananas, de petites cuillères de chocolat chaud et de risotto aux épinards. En revanche, la galette jambon-fromage du Breizh Café n'a rencontré aucun succès (j'avoue qu'elle n'était pas terrible).
Puis nous avons fait d'autres bagages, d'autres valises, et nous sommes partis chez mes parents. Il y avait du curry de poisson, des légumes fermentés maison absolument délicieux, des langoustines, du poulet à la mangue, au miel et au gingembre et des perles de tapioca au lait de coco. Elle a arrangé ses petites affaires dans leur salon, trouvé un verre pour y déposer ses feutres, trouvé une nouvelle façon aussi de nommer ses grands-parents et le lendemain, sur le seuil de leur porte, elle nous a embrassés et nous a fait au revoir de la main pendant que je m'engouffrais à toute vitesse dans la voiture, prétextant la neige fondue qui s'écrasait partout. Je n'avais surtout pas envie qu'elle voie mes yeux mouillés.
Nous avions décidé avec G. de passer une semaine à la montagne, quelque part dans les Alpes suisses (je devrai cependant attendre un peu pour aller à Sils Maria). Je n'étais jamais partie en classe de neige, la question avait été posée pour la rentrée de CM2 mais ç'aurait été un cauchemar. Je n'étais pas du tout physique et je n'aimais pas assez les gens pour partager l'intimité que cela impliquait forcément. A l'époque, j'avais aussi l'idée imaginaire que les sports d'hiver étaient réservés à une certaine élite fortunée à laquelle j'étais loin d'appartenir (très exactement le Courchevel de Florent Marchet). Faire du ski, de la luge, et le soir se retrouver autour d'une raclette, d'une cheminée et d'une partie de scrabble relevait pour moi d'un scénario de science-fiction. Pendant ce temps, à des centaines de kilomètres de là, chaque année et parfois à deux reprises, G. partait avec ses parents dans le chalet des Pyrénées. Il skiait, mangeait des sandwiches au saucisson et au fromage, buvait des chocolats chauds et adorait ça. Depuis quinze ans, il n'avait plus éprouvé ces sensations-là, rares moments heureux d'une enfance plus nuancée, et j'avais envie qu'il puisse les retrouver. Très tôt, il m'en avait fait la promesse, un jour j'irai aussi à la montagne (simplement je ne savais pas bien si j'en avais vraiment envie).
A cause des intempéries, notre vol a été considérablement retardé et il a bien fallu s'occuper. Nous avons lu ensemble et avec consternation la presse nationale, nous avons goûté un crumble aux pommes, une salade de boulgour au houmous de kale, à la butternut et à la grenade, nous avons discuté, discuté, discuté, j'ai fini par aller acheter deux macarons (qui se sont révélés délicieux), puis j'ai ouvert mon précieux nouveau numéro des Cahiers du Cinéma qui pose une question essentielle : pourquoi le cinéma ? Et très précisément : pourquoi est-ce qu'on préfère le cinéma ? Qu'est-ce qu'on y trouve ? Pourquoi est-ce qu'on passe tant de temps à voir des films ? L'éditorial de Stéphane Delorme expose tranquillement mais fermement les enjeux de ces questions.
Puis, à peine quelques pages plus tard, il écrit un article magnifique et troublant intitulé La corde sensible. Je suis tellement terrassée par sa beauté (oui, j'exagère à peine), sa sincérité et son courage, que je relis chaque paragraphe plusieurs fois, j'en fais même la lecture à G. J'y retrouve très précisément ce que je pense, ce que je vis, c'est vraiment ma corde sensible. Stéphane Delorme, adolescent, était fan du Grand Bleu et de L'Empire du Soleil, et puis un jour il a vu Gens de Dublin et en a éprouvé une telle secousse intérieure que sa vie a changé (et qu'il a voulu l'affiche du film dans sa chambre).
Je me souviens des pas des chevaux dans la neige, de l'ambiance chaleureuse et feutrée, de danses qui s'arrêtent et reprennent, de regards détournés, à la fois d'un endroit où on veut être et en même temps d'un malaise diffus, qui devient tristesse et désastre (...) le cinéma ce peut être ça. Cet enfant de 14 ans a été emporté encore plus loin que dans n'importe quel voyage interstellaire. Je suis bouleversée par ce passage. A peu près au même âge, j'éprouvais une passion sans limite pour Le cercle des poètes disparus et puis un jour j'ai vu Conte d'été et ce choc éprouvé par Delorme, ce tremblement intérieur qui fait que plus rien, jamais, jamais ne sera comme avant, je le connais par coeur. C'est ma vie. Et quand il parle de la façon dont Nathalie Wood porte la main à sa tempe dans Splendor in the grass, et de la façon dont il ressent cela, c'est comme si je m'entendais parler de ces détails infimes du cinéma qui impriment en moi quelque chose de très fort, d'unique, et souvent d'impartageable. Je poursuis l'article. Ce qu'il dit sur l'émotion, les fêlures, le sentiment de l'existence, m'est tellement familier, importe tellement, que dans le terminal bondé de voyageurs impatients, je me mets à pleurer. Et puis arriva l'heure d'embarquer.
Nous sommes arrivés très tard à destination, tout était noir autour de nous mais la pleine lune éclairait de façon surnaturelle et féérique les champs enneigés. On distinguait aussi les toits blancs des chalets, les silhouettes fuselées des sapins.
L'appartement est joli et accueillant, du bois partout et du mobilier seventies, du carrelage fleuri dans la salle de bains, de la vaisselle jaune moutarde et une suspension orange dans la salle à manger, mais il était presque minuit, nous n'avons pas dîné, tout est fermé et rien d'autre dans la valise qu'un paquet de granola bio et du thé japonais. Nous sommes affamés. Nous commençons à explorer les placards. Il y a des spaghetti Barilla, de la bonne huile d'olive, de la fleur de sel, du poivre du moulin, une boîte de thon à l'huile (mais aussi de la pâte de curry, de la cannelle, des épices à pain d'épices, du basilic séché...). Je prépare des sphaghetti au thon, bien poivrés. On met les couverts sur la grande table en bois. Il dira Merci, parce que c'est vraiment bon.
C'est comme ça que commencèrent ces premières vacances à la montagne.
Il y a plusieurs années, j'ai fait un rêve dont j'ai parlé vingt fois sur le divan car il m'avait rendue infiniment heureuse, comme rarement le permet l'activité onirique. Dans ce rêve, je suis rédactrice aux Cahiers du Cinéma. On me demande de partir à Prague, sans doute pour y faire un état des lieux des cinémas locaux. Je demande très timidement à un garçon qui travaille aussi à la rédaction et pour qui j'éprouve une affection secrète s'il veut partir avec moi. Il dit oui et précise J'ai toujours rêvé voir Prague sous la neige avec toi.
Entre autres choses, je sais que cette scène est l'écho d'une autre promesse de G. faite il y a très longtemps, peut-être même au début de notre rencontre. Il avait dit qu'un jour il m'emmènerait voir l'Acropole sous la neige parce qu'Athènes en plein été, c'était vraiment une mauvaise idée.
Dans le lit du chalet perdu dans les Alpes suisses, avant de m'endormir ce premier soir, je repensais à tout cela. Au garçon endormi près de moi et qui comprenait si bien, et depuis si longtemps, ma corde sensible.



mercredi 17 janvier 2018

La vie caféïne


Après quelques mois à vivre auprès d'un tout petit enfant, il fallut se rendre à l'évidence, nous ressentions une fatigue jusqu'à présent inédite. De ce constat découla une nouvelle nécessité : la consommation de café. Ainsi, très tôt le matin, pour ne réveiller personne à la maison et pour être à l'heure à la première séance (car certains vont chez l'analyste dès huit heures... ), je traverse à grands pas la place de la Mairie puis, place de la République je commande un café au lait au garçon toujours d'excellente humeur dans sa petite camionnette blanche. Je rentre alors à toute vitesse au cabinet en humant l'air frais et vif du petit matin, le gobelet chaud entre les mains. Deux minutes plus tard, bien installée dans mon fauteuil, je savoure une première gorgée de café. J'ai appris à aimer ça.
****
C'est une petite fille qui peut écouter une vingtaine de minutes de lecture avec une attention soutenue tout comme elle peut m'arracher des mains le roman en cours en me lançant un regard las et vaguement exaspéré. Parfois nous la surprenons, adossée à son gros coussin, feuilletant intensément un livre sans images (ces temps-ci, Matilda de Roald Dahl).
C'est une petite fille qui peut dévorer de l'avocat au citron, une purée panais-patate douce ou du poulet rôti, comme elle peut recracher un biscuit maison (et réclamer un petit-beurre industriel - mais biologique, ouf). Elle aime par dessus tout le chèvre frais, les langoustines, les poires, le yaourt nature, la brioche, la patate douce et la compote de mangue. La saison des mirabelles fait son bonheur. Le donburi à la poitrine de cochon caramélisée, parfumée au sésame et au gingembre de chez IMA, l'a conquise. Ne parlons pas des galettes aux oeufs de poisson de sa mamie (qu'elle appelle madie).
Quand nous dînons toutes les deux, nous écoutons parfois France Culture. Entre deux bouchées de purée, je ponctue l'émission par mes propres remarques, parce que je ne suis pas toujours d'accord. Une fois, un morceau de hip-hop retentit. Elle s'immobilise immédiatement et me dévisage C'est quoi ce truc ? semble-t-elle dire. C'est aussi de la musique.
D'une manière générale, quand une chanson interrompt les intervenants radiophoniques, elle manifeste immédiatement une attention très particulière. Malheureusement pour elle, je chante très mal. C'est par ailleurs une adepte de Fauré, Bach, Liszt et Chopin. Et Peggy Lee.
J'ai été très démunie face à la question de l'habillement et elle a passé les premières semaines de son existence assez souvent en pyjama. Je reste à la fois sceptique et épatée par les photos de nourrissons très joliment habillés, avec des choses compliquées et précieuses. Je trouvais déjà bien difficile de ne pas se tromper dans le boutonnage d'un simple pyjama (j'ai été rassurée quand j'ai lu dans le roman de Valérie Mréjen qu'elle considère cette activité comme nécessitant effectivement une certaine concentration. Valérie Mréjen m'apparaît pourtant comme une fille plutôt très manuelle, une qualité indispensable me semble-t-il avec un nourrisson. Vous comprenez mon désarroi). Puis c'est elle, avec son caractère et ses attitudes (ainsi que la fréquentation assidue de divers sites concernant la question, j'avoue) qui a guidé le choix de sa garde-robe, que j'aime maintenant étoffer et contempler. Couleurs douces, imprimés fleuris, jolies matières, intemporalité, je suis presque jalouse. Bon, comme je ne veux pas non plus y passer des heures, j'ai quelques marques fétiches et je m'y restreins, c'est plus simple comme ça.
Je me souviens que la veille de l'échographie qui devait annoncer de façon certaine le sexe de l'enfant à venir, j'ai tout simplement passé une nuit blanche. J'étais terrorisée à l'idée de devoir m'occuper, dans tous les sens du terme, d'un petit garçon. Avoir un grand frère a longtemps été un rêve mais avoir un fils relevait de l'impossible. Le lendemain, dans l'obscurité de la salle d'examen, une silencieuse larme de joie, de soulagement, de douce félicité, dévala lentement mon visage.
Ses grands yeux sombres, bordés de longs cils, sont assez fascinants.
On a beau avoir l'habitude des gardes de 24 ou 36 heures passées debout à écouter, examiner, téléphoner, expliquer, rassurer, recoudre, prescrire, justifier et courir sans cesse, quand votre enfant se réveille pour la deuxième fois dans la même nuit, on est soudain absolument épuisé. La contrepartie du supplice enduré (sortir de son lit chaud et douillet pour traverser tout l'appartement vers la chambre de l'enfant) tient tout entier dans ce moment où vous sentez ce petit corps tiède comme une brioche ramollir contre vous, la tête enfouie dans le creux rassurant formé par votre cou et votre épaule. Délicieux. Heureusement.
J'aime la voir regarder avec curiosité les photos d'elle, alors microscopique bébé.
Quand elle croise un chien ou un chat dans la rue, elle le désigne de sa petite main tendue. "Graou, graou" fait-elle alors à l'attention de l'animal.
Il y a quelques années, j'ai assisté à une conférence d'Alain Bergala sur le thème de la jeune fille au cinéma. Il n'y a pas eu d'hésitation dans sa voix quand il a développé l'idée qu'avec la maternité, la jeune fille renonçait définitivement à sa légèreté et à sa grâce éthérée pour devenir une chose flasque. Dès lors, son visage s'empâtait, son menton se lardait de gras, ses bras ramollissaient, c'était l'horreur, d'autant que la terrible métamorphose n'était pas seulement physique. En effet, les nouvelles préoccupations de notre jeune mère (kilos de langes, kilos de lait chante Albin de la Simone, plus empathique que Bergala) la rendent forcément stupide. Elle n'a plus le temps, plus l'envie, plus l'énergie, la pauvre, de lire, de réfléchir, et encore moins d'aller au cinéma. J'étais à la fois effarée et gênée d'être un peu d'accord avec ce misogyne de Bergala, car j'avoue que j'ai toujours trouvé que les jeunes femmes de mon entourage, une fois devenues mères, s'étaient discrètement affaissées. J'avais pitié de leur allure pataude, incommodées par leur poussette qui me paraissait gigantesque. Dans ma construction imaginaire, les femmes qui avaient un enfant affirmaient qu'elles étaient femmes (et non pas jeunes filles, nuance) et avouaient aussi par leur statut qu'elles avaient renoncé à une vie intéressante (comment un enfant pouvait-il être plus intéressant qu'un film ou un roman ? Je demandais à voir). J'avais donc terriblement peur que Bergala ait raison sur toute la ligne et moi qui m'étais toujours considérée comme une éternelle adolescente, je faisais des cauchemars de ramollissement et de décrépitude généralisée. Ça m'a vraiment beaucoup tracassée (surtout l'histoire du menton).
Plusieurs mois plus tard, je traversais la ville à grandes enjambées. Je revenais de Petite Nature avec dans les bras un sac en papier brun renfermant une summer box (des boulettes végétales, du riz complet, des crudités et une sauce spéciale) et un jus tout frais. C'était une très belle journée. J'ai croisé ma silhouette dans une vitrine. Je n'en revenais pas, c'était la même qu'avant, elle était même plus légère qu'avant. Le même long manteau, les mêmes tennis, la même jupe, les mêmes cheveux. Le même menton. Je me suis régalée de mon déjeuner à la maison, et à 15h, il y avait une séance pour le dernier Depardon. J'avais pris ma revanche sur Bergala.*
Au printemps, nous louons une petite maison à Belle-Ile. Pas parfaite du tout mais nous nous sommes terriblement amusés. Souvenirs de gâteau aux pommes, crêpes, pâtes aux sardines, pommes de terre sautées, cheveux au vent, biberon au milieu des ajoncs, déjeuner chez Renée et discussions enflammées avec G., campagne électorale oblige.
Souvenir aussi de Bordeaux en juillet, bras nus dans la poussette, petites bouchées de sorbet mangue ou de crème glacéee chocolat, petit-déjeuner-brioche en terrasse.
Pendant nos trajets en voiture, nous écoutons La tribune des critiques de disques. Elle adore. Malheureusement, l'émission n'a pas d'effet anti-émétisant systématique.
Souvent je m'inquiète que d'une manière générale, sa vie ne soit pas assez bien. Et puis je pense à ma vie d'enfant, abondamment nourrie à la télévision et aux raviolis Buitoni (et autres horreurs adorées : knackis, crêpes jambon-fromage surgelées, ramen en sachet, cordon-bleus et purée en flocons... C'était moderne pour ma maman), jamais de musique classique, ni de musée, ni de théâtre, ni de vacances, le cinéma très tard et très mauvais au départ... Ceci n'a pas empêché cela, plus tard.
C'est une toute petite fille très vive, joyeuse, pleine d'entrain. Rien a voir avec l'enfant apathique que j'étais.
Vincent Delerm reprend Géant D'Alain Chamfort. Je suis terrassée par l'émotion. La chanson commence "Elle a trois ans, je suis fou d'elle" mais elle dit surtout "Quand on est aimé, on peut tout faire je crois". J'y pense, quand, harassée de fatigue ou préoccupée, je lave un enfant, soigneusement, je l'habille, installe une couche, prend soin de sa peau, de ses cheveux, de son repas (du poisson à la vapeur, de la purée de patate douce, une poire en morceaux, un bon yaourt), lis des histoires, joue à cache-cache, regarde des images en nommant les choses, donne un biberon, berce, cajole, fait un spectacle de peluches, alors que j'aurais simplement envie d'aller justement écouter des chansons de Vincent Delerm en regardant le plafond, et qu'on ne me dérange pas.
Un jour, une jeune femme m'arrête dans la rue. "Excusez-moi, est-ce que je peux vous demander d'où vient..." Autrefois, il s'agissait de mon manteau ou de ma robe mais cette fois-ci, cela concernait le gros paquet de couches biologiques que je portais à bout de bras...
L'un des ses jeux préférés du moment est de monter sur notre lit dont nous surveillons chacun un côté puis, au milieu de mille acrobaties, de se jeter alternativement dans chacun de nos bras en riant aux éclats. C'est assez euphorisant.
En fin d'été, nous déjeunons avec elle à Bercail. Le restaurant est étroit et au moment du départ, la manoeuvre de la poussette requiert une certaine dextérité (que je n'ai évidemment pas, être manuelle comme être face B. demande de l'entraînement). A la table ronde près de la sortie, une jeune femme que je ne connais pas vraiment mais avec qui nous échangeons un sourire et un salut à chaque fois que nous nous croisons, déjeune avec son compagnon et leurs deux enfants. Je ne lui ai jamais parlé mais il y a une reconnaissance l'une de l'autre (nous fréquentons les mêmes cantines, nous portons la même robe A.P.C, etc). Je m'excuse au moment du passage de la poussette car l'un d'eux est obligé de se lever pour nous laisser passer. Je suis gênée par ma gaucherie et mon encombrement mais cette jeune femme dit avec un ton qui m'émeut "Je vous en prie. Je comprends tout à fait". J'avais l'impression que ce n'était pas du tout une parole en l'air.
Je suis longtemps restée intranquille, et sans doute le suis-je encore, à propos de tout ce que je n'arrive pas à envisager de faire avec un petit enfant. Je regarde ces mamans qui font de longs voyages avec un bébé, ou simplement qui déjeunent seule au restaurant avec lui. Je m'en sens parfaitement incapable. Et pour tout avouer, je n'en ai pas très envie. J'aurais l'impression d'être accaparée, même si le petit enfant est adorable, calme, joli, tranquille, il sera là et je ne pourrai pas rêvasser, lire, savourer, je serai gênée. Je sais que cela est lié à l'état de "bébé" et je suis impatiente de l'à-venir, celui du langage en premier lieu, des voyages lointains, des restaurants autrement que sur une chaise haute, des conversations après le cinéma... Je me demande souvent quels seront ses goûts et ses choix. Le suspense de sa personne en devenir me tient en haleine.
Régulièrement, pendant les vacances scolaires, elle passe sept-dix jours chez mes parents et nous retrouvons, le temps d'un road-trip en Italie ou de quelques jours au bord du lac de Côme, cette ambiance très singulière d'une vie à deux. Alors j'éprouve un vertige, le vague regret d'une vie que je n'aurai plus alors même qu'elle n'a pas disparu puisque je suis en train de l'éprouver. L'un n'empêche pas l'autre, c'est même l'un qui a permis et qui permet l'autre. Quand on est aimé, on peut tout faire je crois.
Et pour l'écriture, on a dit Ne jamais abandonner...


*en réalité, je suis davantage l'ado d'Albin de la Simone (légère obsession depuis que je l'ai vu en concert) que la jeune fille de Bergala...

lundi 4 décembre 2017

La vie est (presque) la même

C'est l'évocation d'une glace au café par l'un de mes patients absolument passionné par Proust qui suscita mon envie immédiate de relire La recherche.


Un mercredi soir, pendant l'une des ces discussions particulières qui précèdent le sommeil, j'évoque avec grand enthousiasme un souvenir de la journée écoulée.
- Aujourd'hui en séance un enfant m'a fait le plus beau compliment qu'on puisse me faire !
- Hmmmmmm... (mélange de curiosité, d'encouragement et de reproche discret devant cette saillie narcissique)
- Il a dit : "Quand tu parles, on dirait du Proust ! " (j'en avais encore des étoiles dans les yeux)
- Tu veux dire qu'il trouve que tu fais des phrases interminables et incompréhensibles ?


J'ai trop ri pour lui en vouloir.
A très bientôt pour un nouvel épisode des Poppies !