lundi 18 juillet 2011

I'm glad of what keeps me afloat (l'été immobile)


(C'est la valise que je ne ferai pas!)
Je n'ai pas vu l'été arriver.
Malgré la rumeur vague des vacanciers, l'évocation de bains de mer, les robes en mousseline soldées, les régimes des magazines, le clairon des glaciers, les carafes de thé glacé, je n'ai rien vu venir.
L'été revient pourtant souvent dans Un amour de jeunesse. Il inonde la maison de famille en Ardèche, là où Camille ouvre les volets en manquant chaque fois de tomber. La chaleur est un peu étouffante, le chapeau nécessaire, la cueillette des petites cerises ambigüe. Même une baignade dans l'eau claire est susceptible de provoquer une dispute. Puis c'est déjà l'hiver, Camille rôde en somnambule dans son manteau à gros boutons, trois tours d'écharpe autour du cou, elle traverse un Paris tout gris. Ses silences m'éblouissent.
Je suis sortie infiniment émue de la séance d'Un amour de jeunesse, le troisième film de la si délicate Mia Hansen-Love qui filme au plus près le secret des passions adolescentes. Dans l'intimité des appartements, pendant une leçon d'architecture, lors d'un voyage scolaire sur une plage du nord, on suit son héroïne aller à la rencontre de sa propre vie.
La chanson qui accompagne le générique de fin me suit partout.
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Mon été immobile passé à travailler n'est pas pour me déplaire. Recluse dans mon bureau encerclée par un milliard de livres débordant de notes et de petits papiers, j'écris patiemment ma thèse. Le reste du temps, je suis à l'hôpital, essayant d'appréhender avec un flegme inédit tous les soucis du quotidien.
C'est en fait l'autre reste du temps qui permet de se montrer parfaitement flegmatique.
C'est quand nous sortons au milieu de la nuit, quand nous nous arrêtons dans une minuscule épicerie pour acheter des bonbons acidulés dont nous comparons les parfums respectifs en déambulant sur les pavés (j'adore les bouteilles de coca qui piquent et les crocodiles jaunes, il a développé au fil du temps un goût certain pour les haribat réglisse).
C'est au marché, le samedi matin, remplir son panier en faisant du name dropping: une botte d'oignons, des mini-carottes, des courgettes jaunes, des betteraves Chioggia et des petites tomates raisins chez Annie Bertin, un poulet cou-nu chez Paul Renault (il me dit "Vous devez lire les Inrockuptibles vous, non? J'aimerais bien récupérer un article où ils parlent de moi..."), des tomates Green Zebra, ananas ou Rose de Berne chez Eric Bocel, de la crème crue et des yaourts chez Roland Lécrivain.
C'est aussi, un samedi, s'arrêter dans un minuscule village côtier à la recherche d'une boulangerie. Celle-ci avait été dévalisée, quelques abeilles se disputant les traces de compote qui avait fui de chaussons aux pommes que nous ne goûterons jamais.
Nous avons alors emprunté le sentier qui descendait vers la mer, et nous avons fini au bord de l'eau, dans un restaurant inattendu, parfaitement désuet, lourds couverts sur la nappe damassée, un couple fêtait un anniversaire autour d'un plateau de fruits de mer, la serveuse a demandé si nous voulions un dessert parce que tout est fait maison. La crème brûlée brésilienne (au café) était admirable (parce que je n'aime pas les desserts, ni quoi que ce soit, au café d'habitude).
Ce soir-là, dans la chambre qu'il avait réservée, au dernier étage d'une villa aux parfums de lierre et de glycines, nous nous sommes assis sur le rebord de la fenêtre et nous avons regardé la nuit s'étaler sur les Sept Îles dispersées au milieu d'une mer sans vagues, mais dont on entendait pourtant le ressac.
J'ai déchiré avec précaution la papier cadeau du paquet qu'il avait dans son sac, c'était
la bande dessinée de Christophe Blain qui a passé pas mal de temps en cuisine avec Alain Passard. J'ai été aspirée par la vivacité de son trait et du propos. J'aime beaucoup les rires de Passard, qui fait "Ah ah" tout le temps, quand il met au point sa tarte aux pommes si romantique, quand il se fait une tartine de rillettes, quand il corrige l'un de ses cuisiniers en les tutoyant mais en les appelant Madame ou Monsieur. J'aime aussi sa concentration quand il compose son plat comme un tableau et quand il est juste absorbé par l'observation appliquée de la fumée qui s'élève de la poêle. J'ai très envie de ses fraises aux berlingots de Montmorency et puis un jour, essayer de faire sa dragée de pigeon à l'hydromel. Evidemment, on a tout de suite envie de réserver à L'Arpège!
C'est toujours, sinon, le cinéma autant que possible (c'est un été très Olivier Assayas dont L'eau froide m'a fait parcourir des dizaines d'annonces à la recherche d'anciens numéros des Cahiers du Cinéma. En passant en revue toutes les couvertures de ma prime adolescence, j'ai eu le vertige devant tous ces films, que je n'avais pas vus), et les romans, juste un peu, je n'en ai jamais si peu lus, parce que j'ai d'autres choses urgentes à lire. C'est surtout
Paris est une fête, dont elle m'a donné envie au détour d'un échange, parce que j'adore quand Hemingway et sa femme vont aux courses avec les bons petits sandwiches qu'elle a préparés. J'aime aussi quand ils ont un peu d'argent et discutent du restaurant où ils vont s'offrir un dîner. Parfois, ils déjeunent à la maison parce qu'il y a "Des petits radis et du bon foie de veau avec de la purée de pommes de terre et une salade d'endives. Une tarte aux pommes".
Et puis, parce que j'ai hâte de voir son prochain spectacle, il y a les chansons de
Vincent Delerm, les plus anciennes, mes préférées, rassurantes, où il n'est question de rien d'autre qu'un appartement qu'on quitte ou d'une file d'attente au cinéma, et qui donnent envie de faire du piano.

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