C'était l'hiver en Italie (2)
Un soir je suis rentrée, il avait préparé des boulettes de veau au parmesan et des spaghettis à la sauce tomate.
Je me souviens encore très bien des vacances en Italie.
Comme les premiers trains de la matinée pour Florence étaient complets, comme il n'était pas possible de louer une voiture, comme il faisait un temps radieux et que nous n'avions pas du tout envie de continuer à nous énerver sur le système informatique de réservation des billets de train, nous avons abandonné nos bagages à la consigne et nous avons traversé des tas de ponts le coeur léger et l'estomac tout autant à la recherche d'un petit-déjeuner digne de ce nom. Tout était divinement frais, l'air, les pavés, les cours désertes, les églises et surtout les petits choux et la brioche que nous avons trouvés en chemin. Nous étions partis vraiment tôt ce matin-là et je me souviens très bien des couleurs de l'aurore sur la lagune et les façades.
Je me souviens aussi que devant l'atelier d'un fabricant de masques, j'ai évoqué le malaise qu'avait provoqué la séance d'Eyes Wide Shut. Puis, l'appétit aiguisé par la longue marche, nous nous sommes arrêtés à Da Merca, et nous avons grignoté des cicchetti au prosciutto crudo, à la mortadelle, à la ricotta et au salami piccante. Il était un peu tôt pour le verre de Prosecco.
Et puis enfin, il fut l'heure de prendre le train.
Je me souviens très bien qu'il y avait une famille d'Anglais dont le père écrasait des portions de Vache qui rit entre deux biscottes emballées dans du papier transparent et crissant, les mêmes qu'à l'hôpital. Je me souviens aussi que j'avais passé un long moment à raconter dans mon journal le jour où j'avais retrouvé, sur la façade d'une villa du Cannareggio, la plaque sculptée qui représente un monsieur à turban et son chameau, plaque qui m'avait déjà beaucoup frappée lors du premier voyage, dix ans auparavant. Je racontais aussi la fin d'après-midi où nous étions restés longtemps contempler les sommets enneigés des alpes italiennes et les contours flous de l'Île des Morts depuis l'embarcadère. C'est l'un de mes endroits préférés au monde.
A Florence il pleuvait sec mais l'arrivée au Tre Stanze fut ravissante. Le grand escalier comme dans un film de Visconti. Et dans la chambre au plafond tellement haut, des rideaux en coton blanc qui s'éparpillaient en vagues sur le parquet. Sur la table en bois foncée, une corbeille de fruits frais, des biscuits à la noisette, un carafon, deux coupes, deux serviettes en lin (repassées) et deux couteaux à bout rond avec un manche en corne. Une petite pièce avec une coiffeuse pour se remettre du rouge à lèvres avant de sortir. Dans la salle de bains, une serviette brodée (repassée) aux initiales du propriétaire. Lampes anciennes et draps épais. Silence absolu. J'aurais pu rester là des semaines, des mois.
J'étais déjà venue à Florence, un voyage scolaire sur l'initiative d'un professeur de latin, c'était le lycée, les cheveux au carré et l'impatience de devenir soi-même. Je n'avais pas du tout aimé, en grande partie parce que les filles qui participaient à ce voyage portaient des jolis prénoms grecs (!), des jolis cheveux, des jolis sacs (alors que franchement, un sac Oillily, bon...), des jolis sourires, tout me terrassait et a fait le terreau des premières années de psychanalyse (comment être une fille? Je vous le demande).
Alors j'étais bien contente que des souvenirs neufs et heureux eurent la possibilité de prendre le dessus!
L'Annonciation de Fra Angelico au Musée San Marco.
Le Caffè Latteria Caffelatte et le lait chaud à la cannelle servi par une Florentine revêche qui porte pourtant un joli tablier fleuri et prépare du gâteau à la carotte et aux amandes pas mal du tout. Je voulais une part de tarte aux légumes mais elle me regarde et dit "Je ne vois pas comment ça pourrait vous plaire, c'est un snack pour les gens malades!" Je ne sais pas bien comment interpréter le fait que j'aie l'air en si bonne santé.
Le dîner dans la belle salle voûtée du Buca Lapi, et le gâteau au chocolat offert par le gentil serveur.
L'élégance des senteurs à la Perfumeria Santa Maria Novella. Le pot de crema per le mani au citron
Les Offices. Les visages des Vierges. L'histoire d'Umiliana.
L'odeur de la pluie sur les pavés, des cafés chauds, des foccace qui sortent du four.
Les petits-déjeuners dans les pasticcerie du quartier. Les chocolats très épais et capiteux.
Les lèvres un peu brûlées par la meilleure part de pizza du monde.
La photo ratée de la cabine de photomaton, à cause d'un pigeon.
Apprendre que l'épouse de Marino Marini s'appelait Marina.
Le jour où, de l'autre côté de l'Arno, en déambulant au hasard des rues, il y avait la maison où Tarkovski a passé les dernières années de sa vie. L'émotion dans le regard de G.
Toutes les filles de la classe de latin du lycée qui se noient enfin.
J'aime voyager pour des milliards de raisons.
Libellés : G., Iphoneography, Italie, voyage
14 Comments:
Et nous aimons pour ces milliers de raisons ta manière si personnelle de nous faire voyager ave ctoi.
merci Patoumi!
On avait -mystérieusement- été correctement reçu à la Latteria, à la faveur de l'italien de mon amoureux ? Ce qui est gai avec tes billets c'est qu'ils sont tout à fait 'rebondissants', comme des boîtes à trésors qu'on ouvre, qui donnent à rêver, penser, voyager, entre tes mots et ses propres souvenirs... Encore !
Oh oui encore ! Même quelques mots, une sensation, un souvenir.
Quel joli texte...
Qui me donne envie de siroter un cappuccino !
Aaah, la seconde partie :) L'attente en valait franchement la peine. Un autre chouette récit de voyage ! Avec des éléments familiers et réconfortants (le petit-déjeuner dans les pasticcerie avec pane e salumi et chocolat chaud épais...) et d'autres totalement inconnus que je garde précieusement pour quand je visiterai enfin Venise et Florence avec ma chérie - qui elle les connaît, car elle est italienne.
Tiens, si tu souhaites faire un chocolat chaud à la maison, je te conseille d'acheter des sachets de "Ciobar" (marque Cameo), il est très bon. Pas sûr du tout que tu les trouves en France, sinon ce sera pour un prochain voyage transalpin.
Une requête pour finir : pourras-tu nous montrer cette fameuse plaque sculptée qui semble tant te fasciner ?
« et l'impatience de devenir soi-même ».
Un instant, j'ai cru me lire et me voir écrire tes mots, c'est à la fois effrayant et magique.
(Il y a quelques mois, j'écrivais à propos de l'été de mes quatorze ans : « la liberté inviolable de se devenir ».)
Et moi, j'aime tes voyages pour la poésie de leurs récits. Tes descriptions m'enchantent comme toujours !
Et comme je comprends ce sentiment d'être tellement dépassée, surpassée, out, comme on peut le ressentir à l'adolescence, drôle d'époque que je ne revivrai pour rien au monde.
Venise est l'endroit où je peut revenir sans m'en lasser. Florence est une merveille un peu plus froide.
Merci pour cette évasion.
Elisa
J'aime garder tes billets de côté pour les lire un matin calme avec mon thé. Je n'en perd pas une miette. Et maintenant, cette envie de vacances en Italie ! Merci pour ce récit de voyage si poétique.
Croukougnouche: merci :) Les récits de voyage sont aussi ce qu'il y a de plus agréable à écrire!
Marie: mais justement, je crois que ça l'a un peu énervée que je mélange l'italien et l'anglais tout en parlant français à G. Elle a froncé très fort les sourcils et elle a dit "Bon, mais quelle langue est-ce que vous parlez à la fin? Choisissez une bonne fois pour toute!" Ceci dit, j'adore cet endroit, et elle a fait goûter à une maman de la crème fraîche un peu spéciale (je n'ai pas réussi à entendre tout le propos) et la maman a voulu la faire goûter à sa petite fille qui a reniflé la tasse et a fait une grimace.
Catherine Grive: je vais essayer!
Julie D.; tu sais que comme je ne suis pas rancunière, je suis retournée au Coutume et cette fois-ci, c'était trop bien (bon, là encore je ne sais pas si c'est dû à la langue mais j'ai parlé en anglais et tout s'est mieux passé)
A bientôt pour un cappucino? (j'ai été très occupée les temps derniers, bouh)
Damien: j'aurais été enchantée de montrer cette plaque sculptée mais j'ai fait une photo argentique qui est horriblement floue. Et comme je ne doute de rien, je n'ai pas fait d'autre photo... Trop nul. Mais si tu veux en avoir un aperçu, tu peux m'écrire un mail et je t'enverrai la photo ratée.
En tout cas, merci pour le chocolat, j'y penserai la prochaine fois en Italie (je pourrais y aller tout le temps si je m'écoutais)
la.: heureusement, ça va mieux!
Elisa: nous nous sommes promis de revenir à Venise dans 10 ans encore!
Like a squirrel: merci de ce petit mot gentil!
J'aime que tu voyages et que tu nous racontes! Je sens presque le doux-dur des serviettes en lin repassées… merci!
Ça fait longtemps que je n'étais pas venue ici, je ne sais pas bien pourquoi. Je suis trop contente d'avoir mille choses à lire et plein de retard à rattraper ♥
Je te lis de l'autre côté de l'Atlantique, où je suis expatriée, et depuis mon bureau, l'Europe et ses délicatesses me manquent... Ton très beau texte me donne envie de perdre mon temps à retraverser ces villes où la poésie est à chaque coin de rue. Merci, merci, merci. Paola
Clémence: comme je ne repasse jamais rien (je ne sais d'ailleurs plus si nous avons un fer à repasser...), c'est vraiment un luxe pour moi d'avoir quoi que ce soit de repassé !
Déborah: j'espère que tu ne regrettes pas d'être repassée par là ! :)
Paola: ça m'émeut beaucoup de savoir que tu me lis depuis l'autre côté de l'Atlantique... Merci aussi !
Quel bonheur de lire ces billets ! Encore plus impatiente d'y être du coup.
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