Embrasse-moi pour rien
C'est samedi après-midi, je vais à la librairie avec G. Je n'aime pas trop cet endroit (pour ne pas dire que je le déteste, car il multiplie les impostures, mais c'est le seul lieu de la ville où le rayon littérature, bien qu'indigent, reste supportable).
Il fait doux et les gens se pressent en terrasse, c'est bientôt l'heure de l'apéritif. Je porte de très vieilles chaussures, des ballerines patinées en cuir bleu que mes parents m'avaient offert juste avant la soutenance de ma thèse. Elles sont légères et confortables, elles portent pourtant le temps qui a passé depuis, vraiment vite.
G. me dit « Je descends au rayon poésie ». Il passe très furtivement la main dans mes cheveux, que je n'ai pas coupés depuis un an environ alors qu'ils étaient déjà très longs. Il disparaît aussi vite.
Je me dirige vers les tables de la rentrée littéraire et j'essaie de faire abstraction des conversations vraiment pénibles tenues par les libraires avec leurs clients, imprécis et pressés. J'ai chaud, je retrousse les manches de mon pull col bateau généreusement soldé cet été par l'Atelier de Production et de Création.
Une excitation très enfantine me traverse devant les nombreux titre qui me sont encore inconnus. Je pense à la maison bâtie en friandises et en biscuits dans Hansel et Gretel. Je lis plusieurs quatrièmes de couverture, quelques débuts, de très rares pages au hasard (cela n'arrive que lorsque les deux premières étapes sus-citées ont été franchies) et puis soudain, au début d'un roman, je lis ceci :
(…) l'oreille plaquée au tronc d'un arbre par grand vent, j'entends ses craquements, des gémissements, des douleurs, preuve qu'il souffre comme n'importe qui. Et même la forêt dans sa totalité, et le ciel, les nuages, les pierres, les rochers, et les galets au bord de la mer, leur endurance à l'usure, leur durée malgré tout, leur indifférence.
Alors, de façon imprévisible et pour des raisons absolument mystérieuses, tout disparaît, les autres gens et le sentiment d'étrangeté qu'ils m'inspirent, les libraires et leur prolixité vaine, les bruits de téléphone, les alarmes de la sécurité qui sonnent pour rien, tout disparaît, tout est avalé par ces quelques lignes qui me font monter les larmes aux yeux.
La silhouette de G. s'approche de moi. Je ne peux rien faire d'autre que de lui lire ce passage à voix basse. J'ai l'impression que je pourrais passer le reste de ma vie ainsi, à lire, relire, encore, encore, ces deux phrases.
J'achète ce livre, et aussi deux autres. Le soleil de la rue m'éblouit. J'avance en plissant les yeux. La main de G. et le sac qui contient mes nouveaux romans à commencer me rassurent. Il est bientôt l'heure de rejoindre ma mère, partie en début d'après-midi voir mon père à l'hôpital. Et j'espère, j'espère de tout mon cœur, qu'il n'aura bientôt plus jamais besoin de dormir dans cet endroit-là.
Il fait doux et les gens se pressent en terrasse, c'est bientôt l'heure de l'apéritif. Je porte de très vieilles chaussures, des ballerines patinées en cuir bleu que mes parents m'avaient offert juste avant la soutenance de ma thèse. Elles sont légères et confortables, elles portent pourtant le temps qui a passé depuis, vraiment vite.
G. me dit « Je descends au rayon poésie ». Il passe très furtivement la main dans mes cheveux, que je n'ai pas coupés depuis un an environ alors qu'ils étaient déjà très longs. Il disparaît aussi vite.
Je me dirige vers les tables de la rentrée littéraire et j'essaie de faire abstraction des conversations vraiment pénibles tenues par les libraires avec leurs clients, imprécis et pressés. J'ai chaud, je retrousse les manches de mon pull col bateau généreusement soldé cet été par l'Atelier de Production et de Création.
Une excitation très enfantine me traverse devant les nombreux titre qui me sont encore inconnus. Je pense à la maison bâtie en friandises et en biscuits dans Hansel et Gretel. Je lis plusieurs quatrièmes de couverture, quelques débuts, de très rares pages au hasard (cela n'arrive que lorsque les deux premières étapes sus-citées ont été franchies) et puis soudain, au début d'un roman, je lis ceci :
(…) l'oreille plaquée au tronc d'un arbre par grand vent, j'entends ses craquements, des gémissements, des douleurs, preuve qu'il souffre comme n'importe qui. Et même la forêt dans sa totalité, et le ciel, les nuages, les pierres, les rochers, et les galets au bord de la mer, leur endurance à l'usure, leur durée malgré tout, leur indifférence.
Alors, de façon imprévisible et pour des raisons absolument mystérieuses, tout disparaît, les autres gens et le sentiment d'étrangeté qu'ils m'inspirent, les libraires et leur prolixité vaine, les bruits de téléphone, les alarmes de la sécurité qui sonnent pour rien, tout disparaît, tout est avalé par ces quelques lignes qui me font monter les larmes aux yeux.
La silhouette de G. s'approche de moi. Je ne peux rien faire d'autre que de lui lire ce passage à voix basse. J'ai l'impression que je pourrais passer le reste de ma vie ainsi, à lire, relire, encore, encore, ces deux phrases.
J'achète ce livre, et aussi deux autres. Le soleil de la rue m'éblouit. J'avance en plissant les yeux. La main de G. et le sac qui contient mes nouveaux romans à commencer me rassurent. Il est bientôt l'heure de rejoindre ma mère, partie en début d'après-midi voir mon père à l'hôpital. Et j'espère, j'espère de tout mon cœur, qu'il n'aura bientôt plus jamais besoin de dormir dans cet endroit-là.
Le roman en question : Les amygdales de Gérard Lefort aux Editions de l'Olivier
Et bientôt, si je retrouve des forces, je finirai d'écrire ici sur le Japon.
Libellés : G., Iphoneography
8 Comments:
Sans le savoir, c'est le billet que j'attendais car j'avais envie de lire ce livre et ne l'achetais pas, pour d'obscures raisons.
Alors merci. J'espère que tu retrouveras vite des forces, pour toi. Et pour nous, afin que nous puissions lire la suite du Japon et peut-être aussi l'Ecosse ? Bonne lecture, en attendant !
Une pensée pour votre papa.
Prenez bien soin de vous. C'est important.
Carole
C'est l'automne aujourd'hui et le premier matin avec du brouillard par la fenêtre. Cet été, en Alsace, il y avait d'immenses arbres déracinés, s'amuser à compter les couches, comme autant d'années à scruter le paysage, les hommes... Des pensées douces !
Ce billet me fait l'effet d'une photo qu'on m'aurait racontée, ou d'un début de script. J'espère que les premières pages lues furent délicieuses!
tu nous as tant manqué ! Heureuse de ce retour.Hâte d'en lire plus. Paola
Quand les textes nous appellent, c'est vraiment beau.
Remettre doucement les choses à leur place... Merci pour cette tranche de vie que tu partages ici.
Belle journée à toi.
V. : j'ai tellement de retard sur le Japon (et dans la réponse aux commentaires, pardon) que je ne sais pas si je vais parler de l'Ecosse...
Carole : merci pour mon papa qui je l'espère va aller définitivement mieux ! (longue longue histoire...)
Marie : c'est beau :) Et j'ai réalisé que je n'étais jamais allée dans les îles anglo-normandes... Tu m'as un peu donné envie avec tes histoires de pique-nique d'hôtel ^^
Tin of tea : je ne l'ai pas encore lu pas encore lu, par peur d'être déçue !
Sylvie : oui, je sais que tu peux comprendre cela...
Véronique : merci d'avoir pris le temps de laisser un petit mot !
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