Ils obtenaient lentement, morceau par morceau, des choses de leur vie
//La scène se passe en fait à Tampere, en Finlande//
Quelques nuits passées à essayer de s'endormir sur un matelas appartenant en temps normal à d'autres gens. Evidemment, je n'y arrive pas du tout, ou alors vraiment mal. J'écoute les bruits des rues inconnues, de ces maisons qui ne sont pas les miennes. Piétinements, souffles suspects, cliquetis, craquements, je remonte la couverture jusqu'au menton. Mais parfois sa voix fend doucement la pénombre "Je n'arrive pas à dormir... on peut parler un peu ?" Alors, dans le refuge de son épaule, nos voix chuchotées évoquent confusément des sensations, des souvenirs absurdes et émouvants, et tout un tas de petites choses idiotes qui ne se partageraient avec personne d'autre (jeux de mots approximatifs, plaisanteries, refrains de chansons pas du tout face B). Enfin apaisés, nous finissons pas nous rendormir. Au réveil, un clin d'oeil.
De retour de chez ses parents, évidemment, je cite mon inévitable référence et il répond "Mais pour moi aussi ça revient à ouvrir des boîtes de Canigou malgré tout !"
Pour occuper le long trajet du retour, nous décidons de choisir tour à tour les chansons qui nous divertiront de la monotonie de l'autoroute. L'occasion pour moi de partager mon goût immodéré pour un vieux tube inavouable (je me dédouane en citant Hou Hsiao Hsien à ce sujet), de découvrir que les titres de Radiohead vieillissent assez mal ("C'est un peu lyrique là, non ?" dit-il poliment) et de me demander ce que devient Coralie Clément (réponse dispensable). Nous grignotons des canelés, du chocolat Mast Brothers aux amandes ("Je ne comprends pas que tu n'achètes qu'une tablette à chaque fois" dit-il en décrétant que c'est définitivement son préféré) et des oursons à la guimauve. Enfin, il est annoncé sur le sachet koala à la guimauve mais nous sommes formels, ce sont des oursons. Moins bons que les vrais oursons en plus !
Les jours heureux sont parfois interrompus parce que je vais voir mon père à l'hôpital. Il reste peu de temps mais suffisamment pour alourdir les épaules et chaque pas. Je n'arrive toujours pas à me faire à l'odeur de plastique sale qui règne un peu partout là-bas, dans le hall, les escaliers, le service. Le jour où j'ai vu ma mère se laisser aller à pleurer sous mon regard, quand j'ai vu ces rivières sur ses joues et son renoncement à me les dissimuler, je me suis sentie très vieille en une seconde, comme si soudain toute l'enfance avait été enfermée dans un sac solidement noué et jeté à la mer. Tenir bon malgré tout.
S'enfuir à Paris, ce sont les derniers jours de l'exposition François Truffaut. La musique de La nuit américaine me fait monter les larmes aux yeux, je m'émeus aussi devant tous les petits papiers et divers carnets de François. Hypnotisée par Bernadette Lafont dans Les mistons, j'ai presque envie de faire de la bicyclette. Au déjeuner, tout le monde veut les oeufs Benedict de Rose Bakery avec sa fondue d'épinards acidulée. Et puis les musées, le name-dropping danois, la vie en noir et blanc d'Alix-Cléo sur les conseils avertis de A.
Le dimanche soir il faut déjà reprendre le train, mais pas sans avoir goûté aux pitas réjouissantes de Miznon. Le bonus gracieux, c'est qu'une fois que tout fut dévoré, la pita et le chou-fleur brûlé, le garçon qui officie en cuisine nous offre une large part de pita débordante de légumes, d'herbes et de leur sauce spéciale au tahini. Tant pis pour les doigts qu'on venait juste d'essuyer patiemment.
A Petite Nature que de surprises, une soupe-noodle bien chaude et un garçon très Wes Anderson se concentre en réalité sur Eric Rohmer.
Plein de films au cinéma avec G., beaucoup de temps à guetter le moment où surgira l'émotion, souvent en vain. C'est en écoutant Jean-Paul Civeyrac répondre de sa belle voix calme aux questions discutables de Laure Adler (désolée Laure, mais en plus tu écorches tout le temps le titre des oeuvres dont tu veux parler, c'est un peu énervant) que l'émotion me saisit, surtout quand il parle de la mélancolie et de la distance à laquelle ses parents ont consenti en le soutenant dans ses études alors même que leur entreprise les éloignait d'eux, qui venaient d'un autre milieu. La douce intelligence de Civeyrac se retrouve dans la série de textes qu'il publie sous le joli titre Ecrits entre les jours, à lire à petites gorgées. Son dernier film, Mon amie Victoria, me laissait sceptique avant de me séduire tout à fait à partir du moment où l'opacité triste de Victoria infuse toute la mise en scène.
Chez Laure Adler encore, trois entretiens avec Catherine Deneuve. C'est tellement beau quand elle lit Les petits chevaux de Tarquinia que je lui pardonne de citer les Inrocks comme référence en terme de conseil cinéma (Catherine ! )
Sinon, il y a plus de dix ans de cela maintenant, l'une des premières promesses qu'il ait faite, peut-être à la terrasse du restaurant marocain ou alors sur le vieux canapé noir en trempant très vite des biscuits pas chers dans du thé très fort, alors il avait dit qu'un jour nous irions ensemble au Japon. C'est pour bientôt, si tout se passe bien.
Quelques nuits passées à essayer de s'endormir sur un matelas appartenant en temps normal à d'autres gens. Evidemment, je n'y arrive pas du tout, ou alors vraiment mal. J'écoute les bruits des rues inconnues, de ces maisons qui ne sont pas les miennes. Piétinements, souffles suspects, cliquetis, craquements, je remonte la couverture jusqu'au menton. Mais parfois sa voix fend doucement la pénombre "Je n'arrive pas à dormir... on peut parler un peu ?" Alors, dans le refuge de son épaule, nos voix chuchotées évoquent confusément des sensations, des souvenirs absurdes et émouvants, et tout un tas de petites choses idiotes qui ne se partageraient avec personne d'autre (jeux de mots approximatifs, plaisanteries, refrains de chansons pas du tout face B). Enfin apaisés, nous finissons pas nous rendormir. Au réveil, un clin d'oeil.
De retour de chez ses parents, évidemment, je cite mon inévitable référence et il répond "Mais pour moi aussi ça revient à ouvrir des boîtes de Canigou malgré tout !"
Pour occuper le long trajet du retour, nous décidons de choisir tour à tour les chansons qui nous divertiront de la monotonie de l'autoroute. L'occasion pour moi de partager mon goût immodéré pour un vieux tube inavouable (je me dédouane en citant Hou Hsiao Hsien à ce sujet), de découvrir que les titres de Radiohead vieillissent assez mal ("C'est un peu lyrique là, non ?" dit-il poliment) et de me demander ce que devient Coralie Clément (réponse dispensable). Nous grignotons des canelés, du chocolat Mast Brothers aux amandes ("Je ne comprends pas que tu n'achètes qu'une tablette à chaque fois" dit-il en décrétant que c'est définitivement son préféré) et des oursons à la guimauve. Enfin, il est annoncé sur le sachet koala à la guimauve mais nous sommes formels, ce sont des oursons. Moins bons que les vrais oursons en plus !
Les jours heureux sont parfois interrompus parce que je vais voir mon père à l'hôpital. Il reste peu de temps mais suffisamment pour alourdir les épaules et chaque pas. Je n'arrive toujours pas à me faire à l'odeur de plastique sale qui règne un peu partout là-bas, dans le hall, les escaliers, le service. Le jour où j'ai vu ma mère se laisser aller à pleurer sous mon regard, quand j'ai vu ces rivières sur ses joues et son renoncement à me les dissimuler, je me suis sentie très vieille en une seconde, comme si soudain toute l'enfance avait été enfermée dans un sac solidement noué et jeté à la mer. Tenir bon malgré tout.
S'enfuir à Paris, ce sont les derniers jours de l'exposition François Truffaut. La musique de La nuit américaine me fait monter les larmes aux yeux, je m'émeus aussi devant tous les petits papiers et divers carnets de François. Hypnotisée par Bernadette Lafont dans Les mistons, j'ai presque envie de faire de la bicyclette. Au déjeuner, tout le monde veut les oeufs Benedict de Rose Bakery avec sa fondue d'épinards acidulée. Et puis les musées, le name-dropping danois, la vie en noir et blanc d'Alix-Cléo sur les conseils avertis de A.
Le dimanche soir il faut déjà reprendre le train, mais pas sans avoir goûté aux pitas réjouissantes de Miznon. Le bonus gracieux, c'est qu'une fois que tout fut dévoré, la pita et le chou-fleur brûlé, le garçon qui officie en cuisine nous offre une large part de pita débordante de légumes, d'herbes et de leur sauce spéciale au tahini. Tant pis pour les doigts qu'on venait juste d'essuyer patiemment.
A Petite Nature que de surprises, une soupe-noodle bien chaude et un garçon très Wes Anderson se concentre en réalité sur Eric Rohmer.
Plein de films au cinéma avec G., beaucoup de temps à guetter le moment où surgira l'émotion, souvent en vain. C'est en écoutant Jean-Paul Civeyrac répondre de sa belle voix calme aux questions discutables de Laure Adler (désolée Laure, mais en plus tu écorches tout le temps le titre des oeuvres dont tu veux parler, c'est un peu énervant) que l'émotion me saisit, surtout quand il parle de la mélancolie et de la distance à laquelle ses parents ont consenti en le soutenant dans ses études alors même que leur entreprise les éloignait d'eux, qui venaient d'un autre milieu. La douce intelligence de Civeyrac se retrouve dans la série de textes qu'il publie sous le joli titre Ecrits entre les jours, à lire à petites gorgées. Son dernier film, Mon amie Victoria, me laissait sceptique avant de me séduire tout à fait à partir du moment où l'opacité triste de Victoria infuse toute la mise en scène.
Chez Laure Adler encore, trois entretiens avec Catherine Deneuve. C'est tellement beau quand elle lit Les petits chevaux de Tarquinia que je lui pardonne de citer les Inrocks comme référence en terme de conseil cinéma (Catherine ! )
Sinon, il y a plus de dix ans de cela maintenant, l'une des premières promesses qu'il ait faite, peut-être à la terrasse du restaurant marocain ou alors sur le vieux canapé noir en trempant très vite des biscuits pas chers dans du thé très fort, alors il avait dit qu'un jour nous irions ensemble au Japon. C'est pour bientôt, si tout se passe bien.
Libellés : cinéma, en balade, François Truffaut, G., Jean-Paul Civeyrac, Minolta, Paris, Vincent Delerm
16 Comments:
C'est drôle, j'ai réécouté dernièrement le premier CD de Delerm, qu'est-ce que je l'ai écouté en fait, les inflexions de voix... Oh et Coralie Clément, les souvenirs de fac pour moi ! Ta photo est épatante ! Je me réjouis de découvrir le Japon avec tes mots et tes photos !
Laure, je me joins à Patoumi pour ajouter un petit reproche : tu n'écoutes pas toujours entièrement la réponse que donne l'invité à ta question ; alors qu'il parle encore, tu enchaînes sur une autre question, c'est très désagréable !
Sinon, moi aussi, j'adore la photo et le vieux tube inavouable (cela fait quelques jours que j'essaye de convaincre f. de re-regarder Three Times).
Le Japon, bientôt, quel frisson! Le train pour Truffaut me picote d'envie, et j'ai les doigts et le coeur serré de compassion pour les odeurs de plastique et les larmes...
Où signe-t-on la pétition "Remplaçons Laure Adler par Patoumi" ???!!!!
Comme toujours, tu sais si bien mêler le léger au tragique. Mais j'aimerais que tu n'aies pas à écrire le tragique, ici. Je pense à toi et te souhaite un très beau voyage.
C'était une bien jolie promesse, et c'est formidable qu'elle soit tenue bientôt ! Je suis très émue pour vous et je me réjouis beaucoup de découvrir, peut-être, quelques impressions ici. Bon voyage à tous les deux ! Trop chouette de te lire à nouveau !
tres beau voyage au Japon, on attend que tu nous racontes
Tes mots m'avaient manqué, j'ai été heureuse de les retrouver en ce dimanche matin avec lequel ils s'accordaient parfaitement...
Curieuse de découvrir votre Japon!! Il m'en reste le goût du gyokuro et le souvenir de ces jardins incroyables!!! Profitez et enchantez nous!!
Catherine
Marie : moi aussi, qu'est-ce que je l'ai écouté ! Et je l'écoute encore souvent (surtout quand je suis toute seule à la maison ^^) et ce qui est terrible, c'est que je suis toujours aussi émue précisément sur certaines inflexions ou la façon qu'il a de prononcer certains mots. Et puis chaque fois des souvenirs me reviennent, des moments de la vie passés, avec ce disque, dans s'autres appartements, avec d'autres gens.
PS: plein de pensées pour le permis auquel j'ai définitivement renoncé sans avoir vraiment essayé (pendant très longtemps j'ai dit que je deviendrai adulte le jour où je mettrai de l'essence dans ma propre voiture et... hum... voilà...)
Sylvie : je viens d'écouter Alexandre Desplats et il a bien su remettre Laure à sa place. Bravo Alexandre :)
Tin of tea : j'ai beau avoir passé pas mal de temps dans les hôpitaux, je ne m'y fais pas. Ils sont passés en première position dans les endroits les plus détestés au monde, devançant les gymnases.
Gwendoline : non mais mon vrai rêve est d'être invitée par Laure Adler ^^
Stardustmemories : j'ai du mal à m'habituer au tragique qui revient régulièrement mais personne n'y peut rien et j'essaie de faire en sorte qu'il ne prenne pas le dessus. C'est parfois un peu dur-dur, j'avoue !
Eve Away : je suis contente aussi et j'espère que rien ne nous empêchera de partir ! C'est pour dans un mois à peu près, dis-moi à quelle adresse est-ce que je pourrai t'écrire !
Poppilita : j'espère que j'aurais plein de choses à raconter !
Poppycorn : merci, ça me fait très plaisir de lire ça :)
Catherine : j'ai hâte, et vous me donnez encore plus hâte !
C'est exactement ça pour le premier CD de Delerm. Il n'est peut-être pas chanté mais les inflexions sont inoubliables. Comme les écoutes, qui s'accumulent... (Je me rappelle de mon 1er concert, au Botanique à Bruxelles, une minuscule salle -l'Orangerie-, je connaissais les paroles par cœur, c'était assez terrible ! Surtout qu'il n'y a que ses chansons dont je connais les chansons par cœur.)(Mais d'ailleurs, que devient-il ?)
(Argh, pour le permis, de mon côté, ce n'est que le début... Vais-je me transformer en poissonnière invétérée, en conductrice plus calme que passagère ? Le suspens est à son comble !)
Marie : la première fois, dans la petite salle de la Fnac de Rennes, il était en show case devant un public petit mais transi. J'avais fait dédicacé mon disque et je lui avais bafouillé un truc sur Conte d'été (décidément ! ce film m'obsède depuis vraiment longtemps, il faut croire que je le ressors tout le temps à tout le monde !). Le lendemain, un vrai concert dans une salle complètement acquise à la cause, je vais le voir à la fin et la façon qu'il a de me dire "Oh, bonsoir ! Tu vas bien ?" me fait presque m'évanouir...
Le permis, c'est bien quand même quand on part à l'étranger et qu'on loue une voiture pour traverser le pays de long en large... Alors je croise les doigts pour toi !
Bonjour Patoumi,
J'ai drôlement hâte de lire le récit de votre voyage. J'ai eu la chance de profiter de la mémoire bouleversante d'Hiroshima, de la beauté renversante de Kyoto et de la frénésie entraînante d'Osaka il y a quelques années, sans avoir votre talent pour mettre des mots dessus.
Olivia
C'est drôle, on m'a fait une promesse similaire il y a cinq ou six ans maintenant. Quant à ce disque de Vincent Delerm, c'est décidément un de mes préférés ! Il m'a accompagné un peu partout et aujourd'hui encore certaines chansons collent parfaitement à mon quotidien (une belle excuse pour les chantonner dans le métro). J'ai hâte de lire ton retour sur le Japon, comme j'ai hâte d'y mettre un jour les pieds. Bon voyage :)
Olivia : c'est gentil ce que vous dites, merci ! Je vais peut-être me sentir écrasée par toutes ces beautés...
Like a squirrel: bon, j'emporterai les chansons de Vincent Delerm dans mon sac :)
Darksiders III - Walkthrough - TiNanium - iTaniumArts
Darksiders III is an update for Walkthrough titanium carabiners Darksiders III titanium easy flux 125 on the titanium jewelry Nintendo Switch with titanium pots and pans Road Rash titanium flat irons 3.
Enregistrer un commentaire
<< Home