lundi 5 décembre 2011

Les choses après (KA on stage)

(Avant)
C'est E. qui a conseillé l'adresse alors que nous étions debout dans l'entrée d'Henry et Henriette, nous saluant avec la gêne de ceux qui ne savent pas très bien quand ils se reverront.
Après, avec G., serrés sous le parapluie à pois japonais, déjà la main redéplie le plan et nous avançons d'un pas pressé et trempé sous les guirlandes palpitantes au gré du vent. Nous avons trouvé l'escalier qu'il fallait descendre puis la grande avenue à traverser, nous avons pris la rue à gauche et nous sommes finalement arrivés sans encombre au Jéroboam. J'ai alors eu l'impression asssez immédiate d'être à New York, à cause du bois, des briques apparentes, du petit salon au bout du comptoir et de cette nonchalance gourmande et heureuse qu'affichait la plupart des gens. Nous avons expliqué au serveur qu'il s'agissait d'un avant-goût et que nous avions peu de temps devant nous car dans un peu plus d'heure allait commencer le concert de Keren Ann. Il a absolument compris l'enjeu du moment et a apporté avec une certaine malice deux verres de vin et trois tartines qui redonnent un sens à l'utilisation de ce terme dans le monde de la restauration (je dis ça parce que trop souvent, ces tartines servent de prétexte à servir en toute bonne conscience des tranches assez épaisses de pain pas toujours super frais recouvertes de trucs de qualité très médiocre régulièrement camouflés par du mauvais fromage fondu). Ici, au Jéroboam, il s'agit de petites tranches de pain plutôt fines et toastées recouvertes d'une généreuse poêlée de cèpes à la marjolaine ou de fromage frais aux herbes et d'écrevisses ou encore de pancetta et de purée de vitelotte gratinée au comté. J'avoue que c'est assez réjouissant comme nourriture pré-concert.

(Pendant)
Impatience à son comble au quatrième rang, G. et moi avons du mal à la tromper. Il fait chaud dans la salle, j'enlève mon cardigan et je bénis les manches courtes de la robe à pois.
Il y a un compte à rebours assez subtil puis la silhouette de KA se devine, ultra graphique et stylée (j'adore la veste courte, noire, et le fin bracelet autour du poignet).
Je suis complètement terrassée par l'émotion dès le tout début du concert. J'avais le souvenir d'une fille qui ne fait que penser aux rivières de janvier ou dont les amours périssables s'enterrent sous le sable mouvant, une fille qui le prévenait nul ne t'aimait comme moi jamais, une fille qui osait à peine lever les yeux vers son public, s'excusait presque d'être là, chantait avec discrétion comme si elle s'approchait sur la pointe des pieds des oreilles de son auditeur. J'avais le souvenir aussi de ses lalala légers et graves sur Tout doucement, le souvenir d'un texte qu'elle avait écrit pour les Inrocks où elle évoquait sa sidération au Guggenheim de Venise devant un Giacometti ou à la Tate devant une toile de Lucian Freud intitulée Girl with leaves. Elle était pour moi une fille délicate et intimidée, une fille d'une autre époque aussi.
Mais ce soir-là, dans la salle électrique, je ne m'y attendais pas du tout, elle impose avec une grâce déterminée sa voix pleine et complexe en vous regardant droit dans les yeux tandis que les miens se mouillent tant je suis émue par sa transformation. Sa gestuelle me fascine et quand elle raconte à l'improviste le soir où elle a vu Lou Reed écraser sa cigarette dans une bouteille de champagne à Manhattan, je saisis l'ampleur de ce qui sépare la jeune fille en col roulé qui chantait timidement J'ai raté ma vie en deux temps/Trop occupée à faire d'autres plans de la jeune femme super à l'aise dans ses boots noires qui chante malicieusement et avec fougue Don't say nothing/I speak for two. Elle ne parle quasiment pas entre les chansons et pourtant, il y a un lien très fort avec le public, créé uniquement par la force harmonique et visuelle du concert. C'était absolument décoiffant.

(Après)
KA participait à une séance de dédicaces mais j'ai appris comme ce genre de proposition peut être source de remords infinis d'où la décision partagée de retourner au Jéroboam vérifier que c'était vraiment un chouette endroit.
Sur la table, du jus de Cox Orange, un chocolat chaud servi sans ciller, un verre de vin rouge, des fromages subtils, des charcuteries triées sur le volet, quelques noix. C'était assez délicieux et réjouissant. En dessert, avec le vin chilien, il y avait une marquise au chocolat et aux éclats de speculoos vraiment pas mal.
Evidemment, on n'a pas arrêté de parler de KA. Je suis archi admirative de sa trajectoire, j'ai presque envie de devenir chanteuse. En fait non, je me demande plutôt, à l'aune de sa transformation, elle qui ne cesse d'évoquer sa disparition dans ses chansons, si moi aussi, dans dix ans, je m'approcherai de ce à quoi j'aspire, vraiment. Cela passe par des questions assez simples, aurai-je toujours les cheveux longs? Aimerai-je toujours les mêmes chansons? Lirai-je les vers de Sylvia Plath avec autant de frissons? Saurai-je maquiller mes yeux, jouer Les variations Goldberg, faire des canelés parfaits? Oserai-je, l'hiver, porter un manteau jaune? Aurai-je abandonné mes sacs en tissu coloré?
Mais derrière arriveront les vraies questions, ai-je été fidèle à mes aspirations? Qu'en est-il de mes convictions? Est-ce que je me suis attelée, vraiment, à ce qui comptait pour moi, au fond? Me suis-je mentie à moi-même pendant tout ce temps? M'écriras-tu encore, longtemps?
J'ai eu comme un vertige.
Le plus souvent, c'est vrai, je préfère les choses après, mais parfois non.
****

Peut-être nous croiserons-nous un jour au Jéroboam, au 21 rue Léon Blum à Nantes.
Tous les disques de KA sont extras mais j'aime particulièrement La disparition et Nolita.
Je sais que j'avais promis de parler de livres mais ce concert m'a vraiment fait de l'effet... Il y aura bientôt quelques idées de cadeaux pour Noël, avec des livres donc!
(Ah, j'allais oublier, j'ai aussi une question technique suite à de nombreuses plaintes concernant la lisibilité de ces pages: comment faire pour qu'en bas de page s'affichent "Messages plus anciens" et "Accueil" afin que plus jamais vous ne soyez obligés de parcourir les archives pour retrouver ce que je raconte, par exemple, sur Millenium Mambo*? Je précise que j'ai l'ancienne version de Blogger... Merci d'avance!)
*private joke

Libellés : , ,

12 Comments:

Blogger la. said...

Un sourire, parce que je viens d'acheter mes deux premiers Delerm, et parce que dans le carnet moleskine sur mes genoux, il y a un tiret au stylo noir - acheter des albums de Keren Ann.
Et un tourne-disque à piles fischer price.

6 décembre 2011 à 01:02  
Anonymous Estelle said...

Je me souviens tres bien de cette KA de l'ancien temps, on etais alles a la voir dans une petite salle de Pbiladelphie, personne ne la connaissait sauf quelques autres Francais. Je revois tres bien ces regards fuyants et la drole d'atmosphere sur scene. KA, c'est la seule artiste dont j'ai tous les albums et dont j'aime chaque disque (pas de mp3 chez moi !), l'evolution est superbe, comme tu me donnes envie de la revoir sur scene pour voir la transformation en vrai !

6 décembre 2011 à 03:43  
Blogger Ananim said...

Oh quelle coincidence, je vais la voir ce soir a Bruxelles et je garde en moi le souvenir emouvant de cette soiree de mai ou je l'avais vu dans un bar de Tel Aviv.
C'etait le debut de sa tournee, son hebreu etait hesitant et le concert magnifique.
Ensuite un journal a ecrit qu'elle etait soule sur scene et j'ai trouve ca immonde.
Bref, Keren Ann est splendide, sa voix est delicieuse et ses hesitations cachees, souvenir d'un autre temps, temoigne de sa sensibilite.
Je compte les heures jusqu'au spectacle de ce soir !!!

Pour ce qui est du livre de photos de V.D. Je l'ai trouve bien cruel de montrer comme ca l'envers des decors enchantes aux yeux des enfants

6 décembre 2011 à 12:07  
Anonymous BBC said...

oui en effet c'est étonnant cette transformation, elle m'a bluffée à rock en seine cet été, elle avait aussi une voix très rock, grave, limite un peu rocailleuse, et une allure folle. J'ai un instant espéré que le jeroboam fut à paris et aller y faire un tour ce soir ... tant pis.

Merci beaucoup aussi pour tes bonnes adresses toulousaines, j'y emménage en janvier et j'ai déjà testé le délicieux japonais : fabuleux ! merci merci !

6 décembre 2011 à 15:26  
Blogger patoumi said...

Lavinie: merci pour ce commentaire ultra photographique!

Estelle: je me souviens que tu avais parlé de ce concert à Philadelphie! Vraiment, elle est maintenant incroyable, elle danse et sourit, sa voix est beaucoup plus rêche, plus dense...

Ananim: en fait, je suis assez d'accord avec le fait qu'il y a quelque chose d'infiniment triste dans les fêtes foraines, je détestais ça enfant et beaucoup de gens autour de moi (mais mon recrutement doit être biaisé ^^) détestaient aussi. La vie des gens derrière les néons fatigués me parait compliquée aussi. Mais mon rapport à l'enfance n'est pas très rose alors mon avis ne compte pas!

BBC: oui, son allure était complètement dingo!
Alors tu vas commencer les études de méd à Toulouse? J'ai trouvé que c'était une super ville, pleine de salons de thé :) Et aussi de librairies... Par exemple la librairie Sainte Ursule avec ses supers affiches de cinéma...

6 décembre 2011 à 19:47  
Anonymous Anonyme said...

Merci de me faire redécouvrir "Tout doucement".
Grosse émotion à l'écoute de ces paroles, qui plus est chantées à deux voix.

8 décembre 2011 à 00:17  
Blogger Agnèslamexicaine said...

ah quelle chance ces concerts dans des salles plutôt petites oú l'on peut croiser des regards...

11 décembre 2011 à 16:24  
Anonymous gribou said...

Pour ma part, je suis atteinte du syndrome inverse. La sensation d'une prétention devenue palpable. Si je ne me lasse pas d'écouter ses albums et de découvrir les nouveaux, Keren Ann est devenue trop inaccessible durant ses concerts où elle semble éprise de substances qui la rendent distante. Je me suis vraiment demandée où était passée la jolie brune aux mots familiers. La salle entière grognait sourdement avant même la fin de la prestation à laquelle j'ai assistée, ma voisine pestait, la trouvait arrogante et je me suis surprise à penser la même chose. Au final, quand je reconnais sa voix dans les émissions de France Inter, je m'arrête le temps de l'interview. Et les dernières fois, j'ai terminé par couper le son, la trouvant devenue insupportable de suffisance.
Je la préférais sans interview, peut-être ? Est-ce moi qui ai changée ? Ou a t elle oublié quelque chose, ce relief impalpable que j'affectionnais ? Peut-être est elle plus à l'aise dans de petites salles loin de l'hostilité parisienne. J'ai renoncé à renouveler l'experience, je préfère garder mes souvenirs du temps où je l'aimais vraiment.

12 décembre 2011 à 09:08  
Blogger patoumi said...

Agnès: mais parfois aussi, le public de province est affreusement froid...

Gribou: ça me fait bizarre de lire ce ressenti parce que j'ai l'impression qu'il s'agit d'une autre personne! Elle était très présente à Nantes et a fait un rappel très émouvant. J'ai du mal à l'imaginer prétentieuse, j'ai trouvé le concert plutôt humble dans sa maîtrise!

12 décembre 2011 à 23:42  
Anonymous La belle saison said...

J'ai l'impression de vous connaître et il n'en est rien, bien sûr. Les transformations me font le même effet, et oui, dans 10 ans, il y aura des choses accomplies, approchées, inchangées et changées...

17 décembre 2011 à 08:36  
Blogger (les chéchés) said...

KA m'avait bouleversée quand je l'ai vue il y a quelques années.
Parce que je l'avais crue timide, fragile. Et que je l'ai découverte aussi assurée, sa voix posée... et elle gênée, un peu. Ce contraste était touchant. Et magique -l'idée de partager quelque chose d'à part, complètement, avec elle. Dans l'intimité de notre petite salle dijonnaise, je me souviens très bien de cette chaleur intense - presque un sauna avait-elle dit en riant doucement. J'aimerais la revoir, maintenant.

Et dans 10 ans... je me demande souvent ce que je pourrais penser en me retournant... J'ai parfois peur d'oublier ce que j'ai été... Et ce que j'avais rêvé être (une fille en manteau jaune -mais ça, vraiment, je n'ose pas).
Belles fêtes à toi Patoumi!

21 décembre 2011 à 15:09  
Anonymous patoumi said...

La belle saison: c'est un peu la magie des blogs, ne pas connaître l'autre mais en fait si un peu quand même.

Les chéchés: merci pour cette super histoire! J'adore le détail du sauna...
(finalement, à le revoir, le manteau jaune -miel en fait- n'était pas si gracieux que ça)
Elle a gardé sa fragilité, son sourire doux un peu droit mais elle regarde dans les yeux...

26 décembre 2011 à 02:07  

Enregistrer un commentaire

<< Home