This is all about Berlin (un feuilleton estival) (1)
Il fallait se hisser sur la pointe des pieds pour réussir à ouvrir l'immense fenêtre, bordée d'un lourd rideau en drap épais couleur moutarde. On apercevait alors les toits berlinois, les façades avalées par le lierre capricieux, le mouvement mélancolique du métro et les enseignes lumineuses au minimalisme futuriste.
Dans la chambre, sous le plafond à la hauteur vertigineuse, j'éprouvais une sensation d'abri, de repli et d'intimité absolument réjouissante. J'aimais le bois clair du grand bureau et des petites étagères où il avait déjà aligné les appareils photographiques et son flacon de parfum particulièrement pertinent car c'était L'eau d'hiver, qui me rappelle à la fois l'amande fraîche, le parquet ancien, une véranda remplie de plantes un jour d'orage.
J'aimais aussi le divan aux lignes simples, le tissu gros grain qui le recouvrait, les coussins aux tailles variées et aux couleurs tranchées, les fils électriques épais et colorés qui parcouraient les murs et le plafond, croisant parfois de minuscules photographies sépia où l'on devinait des vacances balnéaires. Très en hauteur, après un escalier un peu raide, il y avait de grands matelas blancs, à même le sol, recouverts de couvertures toutes blanches elles aussi, chaudes et moelleuses. C'était comme dormir sur un nuage.
Le matin, les salons restaient presque toujours déserts. Les boules à facettes tournaient lentement au rythme de chansons parfaitement inattendues, une jeune fille dispersait des anémones dans les vases éparpillés un peu partout, le piano rutilant attendait son heure. G. commandait au comptoir un americano et un grand thé vert pendant que je regardais du coin de l'oeil les nouveaux arrivants, leur valise roulante maladroitement tirée et le visage encore plissé par le voyage. Ils semblaient chaque fois étonnés par l'incongruité du lieu. Ils se dirigeaient d'un pas hésitant vers la réception, matérialisée par un bureau circulaire derrière lequel s'agitaient des jeunes gens parfaitement polyglottes mais dont la bienveillance, il faut l'avouer, reste absolument aléatoire (il ne faut donc pas y accorder d'importance mais plutôt se laisser bercer par les musiques nonchalantes savamment diffusées).
Le soir, sur les sofas gris, sous les grands abat-jours composés de revues surannées, à la lueur des bougies minuscules, certains organisent le circuit de la nuit à venir, d'autres feuillettent des magazines ou progressent dans leur gros romans mais à plusieurs reprises, une activité étrangement répandue reste bizarrement la commande de chaussures. On notera également l'effet systématique produit par les garçons qui font semblant d'écrire leur journal, assis en tailleur, une écharpe autour du cou et la main dans les cheveux, sur les jeunes filles en voyage. Pour ma part, j'affectionnais particulièrement le divan qui longeait la plus longue des bibliothèques. Là, au retour de nos dîners enthousiastes et de nos promenades nocturnes échevelées, j'aimais me déchausser et allonger mes jambes éprouvées. Alors, bien adossée aux épais coussins turquoise, je sirotais avec G. de mystérieux cocktails (ils s'appelaient parfois Trust your barman, je n'avais pas froid aux yeux) et goûtais une rare sensation de bien-être où se mêlaient confusément la sensation enivrante d'être dans un lieu familier dont la pérennité est improbable, la sensation aussi d'une absence absolue de contrainte et le bonheur infini de partager ces instants de vertige précieux avec la personne aimée.
Evidemment, tout cela a un prix, celui de l'inévitable séparation. La première fois, le jour du départ, assise dans mon coin préféré sans pouvoir m'y déchausser parce que l'arrivée du taxi était imminente, j'avais la gorge trop serrée pour finir mon thé trop chaud et ce jour-là discrètement émétisant. Une tristesse mystérieuse et dure m'étreignait tandis que je contemplais les salons gris et les coussins bleus, les livres qui dépassaient des bibliothèques, ceux qui s'empilaient entre les divans, les tâches de lumière colorée projetées au plafond par le mouvement lancinant des lampes à facettes, il y avait aussi un musicien qui travaillait l'air de rien. Mais la deuxième fois, le jour du départ encore, je savais qu'il fallait tordre cette tristesse, j'avais appris entre temps qu'il n'est pas indispensable d'être malheureux au moment de la séparation pour faire exister un lieu, un moment, un vécu, que le bonheur n'est pas forcément de mauvais goût. Assis près du piano, en attendant une nouvelle fois un taxi pour l'aéroport, après avoir contemplé la petite vitrine près du comptoir dont j'avais jusqu'ici examiné le contenu avec une regard suspicieux (il y avait des gâteaux aux couleurs étranges et des sandwiches aux ingrédients contrastés), nous avons décidé de goûter une sorte de foccacia garnie de cream cheese, de jambon et de concombre. C'était moelleux et régressif, ça me rappelait les tartines de fromage fondu que je partageais avec mon papy chinois, ça me rappelait aussi les croissants au jambon que me prépare G. quand je suis malade. Enthousiasmés par ce premier essai et comme il restait encore un peu de temps avant de filer avec nos valises, nous avons demandé un autre sandwich, celui-là à la saucisse piquante, au fromage, à la tomate, servi tiède par le serveur amusé de nos sourires gourmands. C'était parfaitement délicieux. Je contemplai alors une dernière fois les bibliothèques, les sofas, les fleurs, les bougies, le piano, les lampes, les gens du Michelberger Hotel. Il a pris ma main, nous avons saisi les valises, le taxi était là.
Le Michelberger Hotel est à Friedrichschain, un quartier très chouette à explorer à pieds. Le samedi, sur la Boxhagener Platz, on trouve un marché nourricier absolument appétissant (le fantasme réalisé du sandwich à la saucisse dont les extrémités grillées dépassent du petit pain). Le dimanche, sur la même place, un marché aux puces très vivant. Tout autour, un dédale de rues remplies de petites boutiques, de fripes et de papeteries, ainsi qu'une pizzeria qui sert dans une ambiance survoltée des pizze à pâte ultra fine aux garnitures pensées (Il Ritrovo, Gabriel Marx Strasse 2). J'aurai l'occasion de vous reparler du quartier quand j'évoquerai l'un de mes restaurants préférés...
Dans la chambre, sous le plafond à la hauteur vertigineuse, j'éprouvais une sensation d'abri, de repli et d'intimité absolument réjouissante. J'aimais le bois clair du grand bureau et des petites étagères où il avait déjà aligné les appareils photographiques et son flacon de parfum particulièrement pertinent car c'était L'eau d'hiver, qui me rappelle à la fois l'amande fraîche, le parquet ancien, une véranda remplie de plantes un jour d'orage.
J'aimais aussi le divan aux lignes simples, le tissu gros grain qui le recouvrait, les coussins aux tailles variées et aux couleurs tranchées, les fils électriques épais et colorés qui parcouraient les murs et le plafond, croisant parfois de minuscules photographies sépia où l'on devinait des vacances balnéaires. Très en hauteur, après un escalier un peu raide, il y avait de grands matelas blancs, à même le sol, recouverts de couvertures toutes blanches elles aussi, chaudes et moelleuses. C'était comme dormir sur un nuage.
Le matin, les salons restaient presque toujours déserts. Les boules à facettes tournaient lentement au rythme de chansons parfaitement inattendues, une jeune fille dispersait des anémones dans les vases éparpillés un peu partout, le piano rutilant attendait son heure. G. commandait au comptoir un americano et un grand thé vert pendant que je regardais du coin de l'oeil les nouveaux arrivants, leur valise roulante maladroitement tirée et le visage encore plissé par le voyage. Ils semblaient chaque fois étonnés par l'incongruité du lieu. Ils se dirigeaient d'un pas hésitant vers la réception, matérialisée par un bureau circulaire derrière lequel s'agitaient des jeunes gens parfaitement polyglottes mais dont la bienveillance, il faut l'avouer, reste absolument aléatoire (il ne faut donc pas y accorder d'importance mais plutôt se laisser bercer par les musiques nonchalantes savamment diffusées).
Le soir, sur les sofas gris, sous les grands abat-jours composés de revues surannées, à la lueur des bougies minuscules, certains organisent le circuit de la nuit à venir, d'autres feuillettent des magazines ou progressent dans leur gros romans mais à plusieurs reprises, une activité étrangement répandue reste bizarrement la commande de chaussures. On notera également l'effet systématique produit par les garçons qui font semblant d'écrire leur journal, assis en tailleur, une écharpe autour du cou et la main dans les cheveux, sur les jeunes filles en voyage. Pour ma part, j'affectionnais particulièrement le divan qui longeait la plus longue des bibliothèques. Là, au retour de nos dîners enthousiastes et de nos promenades nocturnes échevelées, j'aimais me déchausser et allonger mes jambes éprouvées. Alors, bien adossée aux épais coussins turquoise, je sirotais avec G. de mystérieux cocktails (ils s'appelaient parfois Trust your barman, je n'avais pas froid aux yeux) et goûtais une rare sensation de bien-être où se mêlaient confusément la sensation enivrante d'être dans un lieu familier dont la pérennité est improbable, la sensation aussi d'une absence absolue de contrainte et le bonheur infini de partager ces instants de vertige précieux avec la personne aimée.
Evidemment, tout cela a un prix, celui de l'inévitable séparation. La première fois, le jour du départ, assise dans mon coin préféré sans pouvoir m'y déchausser parce que l'arrivée du taxi était imminente, j'avais la gorge trop serrée pour finir mon thé trop chaud et ce jour-là discrètement émétisant. Une tristesse mystérieuse et dure m'étreignait tandis que je contemplais les salons gris et les coussins bleus, les livres qui dépassaient des bibliothèques, ceux qui s'empilaient entre les divans, les tâches de lumière colorée projetées au plafond par le mouvement lancinant des lampes à facettes, il y avait aussi un musicien qui travaillait l'air de rien. Mais la deuxième fois, le jour du départ encore, je savais qu'il fallait tordre cette tristesse, j'avais appris entre temps qu'il n'est pas indispensable d'être malheureux au moment de la séparation pour faire exister un lieu, un moment, un vécu, que le bonheur n'est pas forcément de mauvais goût. Assis près du piano, en attendant une nouvelle fois un taxi pour l'aéroport, après avoir contemplé la petite vitrine près du comptoir dont j'avais jusqu'ici examiné le contenu avec une regard suspicieux (il y avait des gâteaux aux couleurs étranges et des sandwiches aux ingrédients contrastés), nous avons décidé de goûter une sorte de foccacia garnie de cream cheese, de jambon et de concombre. C'était moelleux et régressif, ça me rappelait les tartines de fromage fondu que je partageais avec mon papy chinois, ça me rappelait aussi les croissants au jambon que me prépare G. quand je suis malade. Enthousiasmés par ce premier essai et comme il restait encore un peu de temps avant de filer avec nos valises, nous avons demandé un autre sandwich, celui-là à la saucisse piquante, au fromage, à la tomate, servi tiède par le serveur amusé de nos sourires gourmands. C'était parfaitement délicieux. Je contemplai alors une dernière fois les bibliothèques, les sofas, les fleurs, les bougies, le piano, les lampes, les gens du Michelberger Hotel. Il a pris ma main, nous avons saisi les valises, le taxi était là.
Le Michelberger Hotel est à Friedrichschain, un quartier très chouette à explorer à pieds. Le samedi, sur la Boxhagener Platz, on trouve un marché nourricier absolument appétissant (le fantasme réalisé du sandwich à la saucisse dont les extrémités grillées dépassent du petit pain). Le dimanche, sur la même place, un marché aux puces très vivant. Tout autour, un dédale de rues remplies de petites boutiques, de fripes et de papeteries, ainsi qu'une pizzeria qui sert dans une ambiance survoltée des pizze à pâte ultra fine aux garnitures pensées (Il Ritrovo, Gabriel Marx Strasse 2). J'aurai l'occasion de vous reparler du quartier quand j'évoquerai l'un de mes restaurants préférés...
11 Comments:
En effet, le bonheur n'est pas de mauvais goût et, grâce à tes énumérations gourmandes, il en a même un très bon !
Ça donne le goût de partir faire une virée à Berlin, en amoureux.
Berlin, entre G. et Jean-Claude E., une certaine idée du bonheur.
Quel délice ce récit berlinois . J'ai aussi eu un coup de foudre pour cet hôtel , visité en mai dernier ,pour une nuit seulement . Mais le salon , en bas, a eu le temps de me faire le même effet .
J'aurais aimé aller à Berlin en connaissant l'adresse de ton restaurant préféré . Je te souhaite un bon prochain voyage à Berlin . Ou ailleurs !
Ah Patoumi, je suis ravie d'avoir enfin vos impressions de Berlin! Cet hôtel reflète bien à lui tout seul l'ambiance de la ville. Vivement les prochains épisodes du feuilleton.
Bises.
Très bientôt la suite, avec des adresses de cafés! (en deux parties, parce qu'il y en a beaucoup)
Gwendoline: j'ai un peu peur du bonheur à cause des évènements des mois derniers, je l'appréhende sur la pointe des pieds, le renifle avant de m'approcher...
Anonyme: tant mieux, c'était l'effet voulu!
Sylvie: ce parfum, c'est lui.
V.: fin juillet, début août, je vais au nord! J'ai hâte! Je te souhaite un très bel été.
Florence: oui, c'est ça, l'hôtel est un condensé de Berlin! Bises aussi!
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