mercredi 2 janvier 2013

Full sentimental


Le 31 décembre 2012, au déjeuner, je réchauffai un bol de minestrone, fit cuire deux oeufs à la coque et renonçai (momentanément) à goûter l'un des douze canelés de la large boîte rouge livrée le matin-même.
Quelques heures plus tôt, nous sommes restés un petit moment sur le trottoir brillant de pluie à agiter nos mouchoirs en regardant filer une voiture grise qui venait du 31 avec à son bord deux invités rares et gracieux qui avaient justement partagé avec nous, entre autres choses, le même minestrone que celui de mon dernier déjeuner de l'année. Il avait désormais le goût étrange de leur absence. Je dis "étrange" pour "inédit" parce que je n'avais jamais jusqu'ici éprouvé leur présence à la maison et, maintenant qu'ils étaient partis, je contemplais d'un drôle d'oeil le canapé-lit de mon bureau (dont ils n'auraient plus besoin, et qu'il me fallait replier), la théière en fonte japonaise (que je n'utilise jamais pour moi), les petits pots de chutney offerts avec une délicate discrétion (picalilli et mango with steam ginger - j'ai déjà quelques idées de sandwiches), la boîte vide de toasts for cheese (à l'abricot, aux pistaches et aux graines de tournesol, terminés la veille avec du chèvre frais). Tout disait qu'ils n'étaient plus là et ça faisait un petit trou froid au creux de moi, d'autant que j'ai appris avec le temps que je suis très mauvaise en amitié et que des rencontres comme celle d'avec S+F, nos derniers invités de l'année, sont infiniment précieuses puisqu'avec eux je m'autorise à être moi-même, avec tous mes défauts et mes élans, mes maladresses et mes histoires un peu honteuses, mes inhibitions secrètes et mes espoirs timides, la sensation rare d'être soi, que peut-être seul connait W., lui qui pourrait dessiner ma cartographie intime de façon précise et sensible.
Je ne sais pas toujours très bien y faire avec les gens que j'aime car si je peux les aimer très fort, je laisse aussi les malentendus s'enliser, les silences se creuser, le bleu difficile s'installer, la vie séparer, en silence. Je regrette, souvent, j'éprouve le manque, mais je ne dis rien, je contemple le désastre causé par une (fausse) déception, une interprétation à contre-sens ou des conclusions trop hâtives, à la fois par timidité, lâcheté, colère, lassitude, et aussi désespoir. Je pensais à tout cela devant mon bol de minestrone autour duquel je réchauffais mes mains, et je faisais le voeu secret que jamais les voix de S+F ne deviendraient un souvenir, un manque, un regret, mais toujours quelque chose de vivant, profond et amusé, comme elles le sont en réalité. G., qui saisit la moindre nuance de détresse dans la plus discrète crispation de sourire, a proposé doucement de faire une virée chez le chocolatier et c'est en grignotant quelques carrés de ganache veloutée (vanille, marron, orange, basilic-citron) que nous avons précisé les perspectives de la soirée à venir (dîner japonais et cinémathèque personnelle).
La dernière fois que je serai allée au cinéma en 2012, c'était pour rester ravie et enthousiaste après la séance des Bêtes du Sud sauvage, qui montre comme la tendresse peut être violente, qu'elle se nourrit parfois de la peur la plus primitive (le feu, le vent, le déchaînement du ciel) tout comme d'une bouchée de beignet d'alligator. Difficile d'oublier la silhouette déterminée d'Hushpuppy, qui fend le bayou dans ses bottes en caoutchouc de conte de fées, fait revivre les aurochs et s'effondrer les glaciers, elle qui ne cesse de chercher à entendre les coeurs qui battent, même dans une feuille verte.
Les coeurs qui battent, ce sont aussi ceux de Paul Celan et Ingeborg Bachman, dont la correspondance révèle leurs êtres brûlés par l'Histoire, la poésie et un amour aussi indissoluble que compliqué. Le 20 août 1949, à Paris, Paul termine ainsi sa lettre, à destination de Vienne: Es-tu loin ou es-tu proche Ingeborg? Dis le moi, pour que je sache si tu fermes les yeux quand maintenant je t'embrasse. Une couverture douce et des grosses chaussettes seront bienvenues pour cette lecture où la douleur de l'écriture se dispute à celle de l'amour.
Les derniers jours de 2012 garderont pour moi le goût du saké, celui des biscuits à la vanille et au citron, du foie gras maison et de la confiture de figues violettes, de glace au thé vert, de glace au yaourt, des blinis qui dorent en faisant des bulles dans la poêle chaude, du mouvement des algues quand on en saupoudre la surface d'un okonomiyaki, du dessert au tapioca et à la noix de coco familial, d'une poule au pot soigneusement réalisée à partir de la recette que sa grand-mère écrivait sur des cahiers d'écolier, du pain de seigle grillé tartiné de beurre salé, des burgers juteux et parfumés le soir où nous avons vu Interiors, de la poularde sauce suprême du Tire-Bouchon, des california maki de minuit, du coeur de purée d'azuki dans la mousse de chocolat blanc à Tanpopo, la vie n'attend pas, je vous la souhaite heureuse et impatiente en 2013.

//la photo a été prise un matin de novembre au Michelberger Hotel à Berlin. N'y allez pas, vous risqueriez de ne plus vouloir en partir//

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36 Comments:

Anonymous Florence said...

Billet si sensible, comme toujours. C'est vrai, l'amitié mérite toutes les attentions.
Un petit bout de Berlin aujourd'hui, un peu plus la prochaine fois?
Je vous souhaite une belle et bonne année Patoumi.
Je vous embrasse affectueusement.

2 janvier 2013 à 20:39  
Anonymous Poppilita said...

Bonne annee 2013 patoumi
perso j adore les annees impaires

2 janvier 2013 à 21:27  
Anonymous arrosoir said...

jolie année à vous.

Il existe des saveurs qui ont le don de se diviser et apparaître par étapes dans notre palais pour notre plaisir. Tes billets ont cette faculté. Merci.

3 janvier 2013 à 07:56  
Anonymous confetti said...

Belle année, Patoumi, belle année à toi et W.
L'impatience est un mot qui boucle dans ma tête en ce moment, et je ne suis pas étonnée, donc, de le retrouver entre tes lignes. Peut-être, en 2013, irons-nous boire un thé plein de maladresses et de gaité [ah, surtout, la gaité !].

3 janvier 2013 à 14:16  
Anonymous Marie said...

Je ne suis jamais allée au Michelberger Hotel mais mon beau-frère part s'installer à Berlin, donc une raison de plus pour aller y boire un thé ou un café (y dormir), youpie ! 2012 a été mon année des amitiés déçues. Alors je souhaite un printemps des amitiés en 2013, avec de la douceur, des silences, des conversations profondes, de la simplicité, du partage, des plats que l'on déguste à plusieurs. 2013 s'annonce rude par ici alors vivent les amitiés qui font le lien ! Douce et belle année Patoumi !

3 janvier 2013 à 16:15  
Blogger patoumi said...

Florence: je vous souhaite plein plein de bonnes choses pour 2013!
Concernant Berlin, cela risque de prendre beaucoup de temps, à la hauteur de l'effet qu'a eu ce voyage sur moi...

Poppilita: alors, bonne année impaire!

Arrosoir: merci de me lire encore!

Confetti: oui, 2013 sera l'année du thé entre les poppies et la polaroid girl! (et j'en mettrai partout et je me brûlerai les lèvres et je me maudirai et tu te diras "Ohlala")
(on parie?)

Marie: merci, vraiment, pour tes billets et tous les petits mots laissés ici qui ont fait chaud dedans toute l'année. Plein de bons voeux pour 2013!
Les chambres du Michelberger Hotel ont quelques choses de magique, comme leur salon désert le matin, et leurs cocktails mystérieux et additictifs en pleine nuit...

3 janvier 2013 à 20:20  
Anonymous confetti said...

Ah oui, je parie avec toi, tope-là. Dis-moi, quand tu es là, pas loin. Il m'arrive de croiser certaines jupes, dans des musées souvent, et de penser "et si c'était elle ?". Mmh, sourire, et à vite, alors.

4 janvier 2013 à 15:20  
Anonymous Anonyme said...

Bonne année chère Patoumi. Je pars demain à Berlin, j'ai vu Camille redouble la semaine passée et je pense souvent à vous même si je suis nulle pour écrire. Plein de belles choses pour vous et ceux que vous aimez. Camille

4 janvier 2013 à 23:57  
Anonymous patoumi said...

Confetti: oui, je ne manquerai pas de te dire!

Camille: quand j'ai reçu votre mail, j'ai pensé: 1/je lui écris tout de suite pour lui demander quand est-ce qu'elle a un moment à Paris et je prends des billets de train! 2/n'importe quoi, elle doit déjà avoir plein de gens à voir 3/tant pis je me manifeste même pas elle a trop à faire 4/suis trop nulle :'(
Plein plein de belles et bonnes choses pour cette année qui commence, plein d'aventures de l'autre côté du globe!

7 janvier 2013 à 13:02  
Anonymous Marjane said...

Je te souhaite beaucoup de belles découvertes et de grands plaisirs pour 2013!
Récemment à Rennes j'ai pensé à toi, malheureusement point de Tanpopo ni de Tire Bouchon :(
Ah l'amitié! J'ai toujours été comme Anne de "La maison aux pignons verts" je croyais en l'amie de coeur, l'âme soeur de l'amitié, fusionnelle etc... Après moult déceptions (encore récemment), j'ai changé et je suis plus heureuse, une amitié dure le temps qu'elle dure, il ne faut pas etre trop exigeante et il faut prendre ce qu'il y a de bon à prendre tant qu'on l'a et garder les bons souvenirs une fois terminée (si elle se termine, j'ai une amie d'enfance rencontrée à la maternelle comme quoi ça existe aussi), sans amertume ni regrets.

8 janvier 2013 à 10:13  
Anonymous La belle saison said...

Mais comment se fait-il qu'à chaque fois que je vous lis je pense que vous écrivez pour moi. J'aimerais avoir la même honnêteté, et l'avoir écrit.

8 janvier 2013 à 14:55  
Anonymous Anonyme said...

bonne année Patoumi !
rennette

10 janvier 2013 à 11:27  
Anonymous akabé said...

Bonjour,
je lis ce billet avec un peu de retard, pardon... Pour moi, l'amitié, plus on avance dans la vie, devient rare et précieuse. Il faut la cultiver, et ce n'est pas facile, les jolies choses fanent si vite... Aussi, je te souhaite une belle année 2013 pleine d'amitiés, anciennes, nouvelles, ressurgies du passé qui sait, et de bonheur aussi... Au plaisir de te lire!

10 janvier 2013 à 16:05  
Anonymous Julie D. said...

« W., qui saisit la moindre nuance de détresse dans la plus discrète crispation de sourire » : ces mots m'ont fait sursautée car j'ai le même à la maison ! Le plus attentionné des maris « lui qui pourrait dessiner ma cartographie intime de façon précise et sensible », le seul. Les années passant, je me demande d'ailleurs s'il ne devient pas plus compliqué de jauger les relations aux autres à l'aune d'une complicité si peu commune. Je ne sais pas... J'ai été assister hier soir à une représentation du Misanthrope au TNB et, c'est amusant, ton billet semble un peu y faire écho (la question de la sincérité, de la fidélité à soi-même vis à vis des autres, tout ça...). ; ) J'avoue avoir penché du côté d'Alceste ces dernières années, mais pour 2013 j'ai décidé de faire vœu de plus de légèreté... On verra bien ce qu'il en ressortira !
A la semaine prochaine Patoumi !

10 janvier 2013 à 16:17  
Blogger patoumi said...

Marjane: bouh pour le Tire-Bouchon et Tanpopo! J'espère que la ville t'aura plu quand même...
J'ai beaucoup de mal à appliquer ta dernière phrase, je reste souvent triste des bons moments passés ensemble et me demande sans cesse ce qui a fait que les choses ont cessé. Mais tu l'as dit, je suis (très) (trop) exigeante...

La belle saison: j'aime bien savoir que mes écrits ont cet écho, merci!

Rennette: bonne année à toi aussi!

Akabé: oh non, il ne faut surtout pas s'excuser!
Merci pour tous ces bons voeux, douce année 2013 à toi aussi!

Julie: ah ah ah, nous avons souvent cette discussion sur la complicité si peu commune! Décidément! J'ai hâte d'en savoir plus sur plein de choses mardi prochain :)
Sinon, Le misanthrope a une place très particulière pour moi, je suis très touchée par Alceste, qui défend si fort la sincérité mais demande presque à Célimène de lui mentir en espérant qu'elle l'aime...

11 janvier 2013 à 00:14  
Anonymous Marjane said...

Je n'ai pas pu profiter de ce week end pour découvrir Rennes, j'aurais pourtant beaucoup aimé et malheureusement je ne sais pas si j'aurais une raison et l'occasion d'y retourner de si tôt.
L'exigeance c'est bien dans beaucoup de domaines de notre vie malheureusement ça apporte beaucoup de déceptions, l'humain n'est pa fiable je place mes exigences autre part.

14 janvier 2013 à 16:19  
Anonymous gwenzardin said...

Bonjour Patoumi
c'est un peu le dernier jour pour les voeux,
que 2013 vous comble de lectures de ciné de voyages précieux...
J'adore toujours votre regard sur les choses.
Je vous embrasse bien!
Gwen

31 janvier 2013 à 22:06  
Anonymous Anonyme said...

coucou patoumi, vous allez bien ?
Elle

28 février 2013 à 14:59  
Anonymous Anonyme said...

où es-tu ?

1 mars 2013 à 07:33  
Anonymous Zout said...

Pareil, je commence à m'inquiéter, j'espère que tu vas bien... Dis nous vite que oui! Bisous, Hélène

5 mars 2013 à 15:50  
Anonymous Anonyme said...

Oh oui, des nouvelles même brèves,

Catherine

6 mars 2013 à 09:25  
Blogger Camille said...

C'est un peu idiot et je l'espère pas trop intrusif, mais moi aussi je me joins au choeur -- j'espère que vous allez bien et vous embrasse fort.

Camille

6 mars 2013 à 12:34  
Anonymous patoumi said...

Hello les amis,
Malheureusement, il n'y a pas que le bonheur qui se raconte mal. Pas la place ici de dire ces soucis-là. Ecrirai peut-être bientôt sur autre chose, si j'y arrive.
Merci pour tous les mots doux.

7 mars 2013 à 00:53  
Anonymous Anonyme said...

Nous vous attendrons (je veux croire que c'est pour vous, un peu de consolation).

7 mars 2013 à 10:18  
Anonymous Anonyme said...

Oui mille pensées douces...

7 mars 2013 à 11:17  
Anonymous Anonyme said...

Je vous souhaite bon courage dans l'épreuve.
Une lectrice assidue.

7 mars 2013 à 21:46  
Anonymous Anonyme said...

bon courage,
le soleil de mars perce déjà, c'est que tout n'est pas foutu

une Julie

9 mars 2013 à 15:30  
Anonymous patoumi said...

*merci mille milliards de fois*
*je serre les dents et je croise les doigts*

9 mars 2013 à 17:30  
Anonymous Anonyme said...

Chère Patoumi
Il y a des moments tellement durs qu'on n'en imagine pas la fin. Et pourtant il y en aura une, et tous les possibles seront devant vous.
Plein de forces

9 mars 2013 à 19:40  
Anonymous Marjane said...

Bien sur je ne sais pas mais je croise les doigts pour toi douce patoumi!
J'espère que bien vite tu nous annonceras que l'orage est passé et que le soleil brille à nouveau sur ta vie!
Mille pensées positives!

12 mars 2013 à 14:48  
Anonymous patoumi said...

Anonyme: j'aimerais tellement ne plus avoir de grosse boule au ventre et le coeur serré. Merci pour votre petit mot!

Marjane: c'est cool et gentil, merci fort!

12 mars 2013 à 23:37  
Anonymous Chrystel said...

Moi aussi, je guette, scrute le nouveau billet.. J'ai hâte, tes posts me manquent..

13 mars 2013 à 23:55  
Anonymous Chrystel said...

Plein de pensées pour chasser cette boule au ventre et ce coeur serré...

16 mars 2013 à 01:31  
Anonymous loukoum°°° said...

J'espère que tu vas bien...

16 mars 2013 à 10:51  
Anonymous Anonyme said...

mille pensées ma chère patoumi
il faut s'accrocher
à très vite
atlante

17 mars 2013 à 12:33  
Blogger patoumi said...

Chrystel, Loukoum°°°, Atlante et toutes les gentilles personnes qui ont pris le temps de laisser un petit mot: j'ai écrit, pour donner des nouvelles. Merci!

17 mars 2013 à 13:29  

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