mardi 31 juillet 2012

J'ai aimé comment, dans l'été lancinant (nous partons bientôt)

Ce soir, nous ferons nos valises et nous nous apprêterons à retrouver le goût des canelés grignotés dans les rues bordelaises entre deux librairies et deux terrasses, à retrouver à Biarritz les cocktails au crépuscule sur les tables minuscules du bar caché dans les rochers, les tapas aux oursins et au foie gras à côté du marché, les poissons grillés sur le port, les glaces en pleine nuit, et la ligne des montagnes fumante de brume depuis la plage des Basques.
Pour tempérer l'impatience et ne pas se laisser envahir par un malaise estival récurrent (oui, chaque année, les journées d'été et surtout les soirées me mettent dans un état particulier. Je repense tristement aux étés de l'enfance remplis d'ennui et de solitude misérable, aux étés adolescents fragiles et intimement tumultueux. J'ai tout à coup envie d'écrire à des personnes portées disparues sans parvenir à le faire parce qu'il y a trop de temps à rattraper et que cela serait trop fastidieux. Je repense aussi à l'année qui vient de s'écouler, les doutes qu'elle laisse en suspens. C'est un peu comme si les souvenirs accumulés depuis tant d'années affleuraient en tanguant à la surface de ma conscience), je m'applique.
Je réserve une table en terrasse du Tire-Bouchon pour le dernier dîner de la saison. Leurs vacances étaient proches, restait à faire le grand ménage. Marianne avait passé l'après-midi à nettoyer l'arrière de l'immense fourneau en fonte noire. Ce soir-là, elle servait de plantureuses assiettes d'échine de cochon rôtie qui faisaient l'admiration de nos heureux voisins. W., pour sa part, a demandé avec une timidité malicieuse s'il pouvait avoir un peu plus de jus. Qui c'est qui réclame a demandé Marianne, la réponse de la serveuse fut suivie d'un remplissage de petit bol de sauce brune et parfumée dont W. n'a pas osé laisser une goutte (je me suis dévouée pour l'aider à finir).
Je prépare des bruschetta qu'il dévore en demandant tout le temps ce que je mets pour que ce soit si bon, et des spaghettis à la tomate crue, avec du basilic ou des fleurs de thym frais. J'aime surtout les tomates de l'île de Batz, bien juteuses, celles du maraîcher bio du marché des Lices juste en bas de l'escalier à droite (celui qui vend des superbes bottes de betteraves, du chou pointu et du fenouil bien croquant) et celles des Bocel, Jean-Paul et Vincent (pas Eric, nuance), toutes difformes mais hyper goûteuses et parfumées.
Je me laisse entraîner, comme si j'avais les yeux bandés, le long d'un après-midi de surprises secrètement complotées par W. pour une journée particulière. Tout était si parfait que j'en fus longtemps troublée. Il y avait une pavlova délicieuse, légère comme un nuage, où se mêlaient des fruits frais et éclatants et une crème fouettée à la vanille toute douce. Il y avait aussi un nouvel appareil argentique et l'obstination à photographier une piscine dont le plongeoir finissait absurdement dans la mer. Il y avait un polaroïd dont on n'a pas osé regarder le résultat tout de suite. Il y avait un pot de gelée de thé poires-coings  resté au magasin parce que les morceaux de coings étaient trop gros. Il y avait un manteau en tweed rose orangé qui laissait songeur sur mes contradictions Mais en fait tu voulais un truc assez intemporel non? Il y avait des livres emballés dans du papier cadeau vintage (Non mais cette Sophie Calle, elle est vraiment trop forte parce qu'elle va jusqu'au bout, même si cela parait un peu fou). Il y avait un gros rocher pour s'adosser en fin de journée sur une plage un peu isolée, et regarder la mer se retirer, doucement. Il y avait un restaurant auquel je n'avais jamais trop pensé mais qui était alors là, vraiment vraiment bon. Surtout le homard dans un velouté méconnaissable de chou-fleur aux parfums de tomate rôtie, de yuzu et de basilic et puis aussi les tranches d'entrecôte à saucer de façon indécente dans un jus corsé et sucré à la fois. Le dessert, une pêche blanche pochée, posée sur un granité d'umeshu et de menthe aux côtés d'un sorbet au lait ribot et de meringues très fines et délicates à la prune séchée, dessinait comme un petit tableau aux couleurs tendres sur la grande assiette blanche. Il a tendu un dernier paquet, j'ai eu le rose aux joues.
Dimanche, dans la fraîcheur du jour qui commence, je tire les rideaux du bureau et je me prépare pour une séance personnelle de Masculin Féminin. J'ai une immense tendresse pour Jean-Pierre Léaud dans ce film; parce qu'il n'arrive à rien il me touche à chaque plan. J'aime toutes les scènes de café, le constat preuve à l'appui qu'on ne peut pas comprendre quelqu'un en se mettant à sa place, le flipper, le photomaton, l'enregistrement d'un disque à message personnel dans la petite cabine, le plat de purée qu'il partage avec Marlène Jobert (et la façon dont il la sert, généreusement, pendant qu'elle lui verse un verre de vin de la carafe), j'aime les petites interviews de très jeunes filles, leurs manteaux trapézoïdaux, l'écharpe graphique de Chantal Goya, le fait de commander un Vittel-cassis... J'ai l'impression qu'il s'agit exactement de mon monde à moi, mon monde le plus intime.
A la radio, Fanny Ardant s'entretient avec Frédéric Taddéï et dit que le tragique, ce n'est pas la mort, mais le fait de passer à côté du bonheur.

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13 Comments:

Anonymous Poppilita said...

tres beaux souvenirs. avant de partir en vacances il y a tjs une magie impalpable qui dit que les jours suivants seront loin et meilleurs
au retour c'est plus dur
profitez bien de vos vacances dans le sud. en esperant que vous en rameniez plein de beaux souvenirs.
Fanny Ardant a tout a fait raison. merci de nous le rappeler.

31 juillet 2012 à 10:23  
Blogger isabelle said...

te lire c'est se plonger dans une nouvelle courte et saisissante. tes mots créent des images, font remonter des souvenirs, des odeurs, une nostalgie douce amère.
j'aimerais te lire sur du papier plutôt que sur un écran.

31 juillet 2012 à 11:00  
Anonymous Sarah-Lou said...

Bonnes vacances Patoumi! Je ne peux pas me "mettre à ta place" mais ton malaise estival fait écho à quelques pincements familiers.
J'attends avec impatience la nouvelle saison de tes récits et rêverais d'aller m'attabler au Tire-bouchon à la rentrée

31 juillet 2012 à 13:28  
Anonymous V. said...

Quelle magnifique journée tu as reçue en cadeau ! Bonnes vacances Patoumi.

31 juillet 2012 à 16:02  
Anonymous Julie D. said...

Je te souhaite de belles vacances Patoumi !
Et je te remercie d'avoir révélé le nom de tes fournisseurs de tomates aux Lices : j'ai envie de prendre ce partage comme un petit clin d'oeil à nos quelques échanges... :)
Enfin, je ne peux pas m'empêcher d'être curieuse : c'est quoi ce restaurant « vraiment vraiment bon » ?

31 juillet 2012 à 19:23  
Blogger patoumi said...

Poppilita: en réfléchissant, j'ai compris que j'aimais les choses "avant" et "très longtemps après" mais pas "juste après"!

Elisabelle: ah, écrire pour des lecteurs-papiers... Toute une histoire... J'essaie, j'essaie! En tout cas, merci de laisser un petit mot, ça me touche toujours beaucoup moi qui admire tes photos...

Sarah-Lou: je viens de relire en intégralité tes deux blogs et ça m'a fait beaucoup de bien (j'étais un peu déprimée par des trucs intérieurs et aussi plus concrets genre "bouh, il faut vider le frigo, où sont mes lunettes de soleil, j'ai rien fini de ce que je voulais pour le travail etc" Donc, un très très grand merci (surtout de m'avoir rappelé le bonheur de la lecture de "Kitchen" et le souvenir de "L'odeur de la papaye verte)

V.: coïncidence! Indice bientôt dans la boîte aux lettres...

Julie: oui, j'ai pensé à nos échanges tomates! Et toi, lesquelles aimes-tu au marché?
Pour le restaurant, nous en avons parlé aussi ^^

31 juillet 2012 à 19:30  
Anonymous Marjane said...

Fanny Ardant a tellement raison (j'aime beaucoup cette actrice pour différentes raisons,je l'ai croisé lors d'un brunch et elle était complétement elle).
Tu as beaucoup de chance, même si il n'y a rien de parfait, tu fais en sorte de tout embellir autour de toi, même le choix de tes tomates semble sortir d'une scène de film et votre couple vous êtes si charmants dans les intentions que vous vous portez, c'est très touchant.
Je crois que je t'envie un peu pour tout cela, comme tu envie un peu Dolan pour son talent, d'ailleurs je suis totalement admirative, c'est tellement beau ce qu'il filme et la façon dont il le fait, j'ai profité de mon après midi libre pour aller voir Laurence Anyways.
Si tout se passe bien je dois aller à Rennes voir mon amie fin août début septembre, je ne partirais pas sans avoir mangé au Tire Bouchon.
Je te souhaite de belles vacances, je suis sûre qu'elles le seront!

31 juillet 2012 à 20:21  
Anonymous Anonyme said...

Egalement j'aime les choses avant, parfois pas du tout pendant, et ensuite je les aime longtemps et bien après, ca s'appelle souvenirs je crois... comme un bonbon dans son papier d'argent, gouté et repris bien après... (je faisais ca petite fille, pour que le goût et le bonbon dure très très longtemps ? faut dire qu'ils étaient si rares...)
fais provisions de belles images, de bonnes choses et d'amour et reviens nous ... rennette

1 août 2012 à 20:11  
Anonymous patoumi said...

Marjane: super que tu aies aimé Laurence Anyways! On taxe parfois Xavier Dolan d'excentricité grandiloquente, mais je le trouve assez pudique et j'admire surtout son obstination. Les raccords entre les différentes époques du film sont très soignées, j'aime bien aussi.
Fanny Ardant me fait rire un peu quand même, même si j'adore La femme d'à côté et Vivement Dimanche!, on dirait qu'elle n'arrête jamais de jouer un rôle. J'aime la façon dont elle dit "Je veux savoir, Seigneur, si vous m'aimez"
Tu sais, si tu me voyais le samedi matin au marché, toute échevelée avec mes deux sacs hyper lourds de victuailles aux épaules cherchant lamentablement ma monnaie pendant a file grossit derrière moi, je pense que tu trouverais ça moins glamour :)
Bon, alors peut-être qu'on se croisera au Tire-Bouchon! (attention, je crois que Marianne n'est pas là le mardi soir)

Rennette; ah, l'histoire des bonbons me fend le coeur!
J'étais d'astreinte à l'hôpital l'autre jour (la première astreinte de "chef") et bouh, ça m'a fait bizarre de retourner là-bas, la nuit en plus...

2 août 2012 à 10:54  
Blogger avis said...

Je te souhaite de très bonne vacances Patoumi :)

5 août 2012 à 10:28  
Anonymous Marjane said...

Elle me fait rire aussi, mais je trouve que c'est une très bonne actrice, je suis allée la voir dans "L'Année de la pensée magique" superbe et cette voix ahhh cette voix! Je la trouve très élégante aussi.
LOL Comme tu essaies de casser le mythe! Au moins quand tu le racontes ça devient très poètique et c'est déjà merveilleux!
Ou un déjeuner chez Tanpopo ;)

6 août 2012 à 13:07  
Anonymous Anonyme said...

Bonjour Patoumi!!
Je viens de voir cette video (http://www.youtube.com/watch?v=yedD4JsZyT0&feature=relmfu) et ça m'a fait pensé à toi et tes textes, je ne sais pas pourquoi... (peut être la délicatesse). Je ne sais pas si ça te plaira mais je tenais à t'en faire part :)
Lucie

19 août 2012 à 22:21  
Anonymous patoumi said...

Manuela: voilà, les vacances sont finies! Nous avons fait Bordeaux -> Toulouse -> Bilbao -> Biarritz et Rennes m'a paru tout triste aujourd'hui! Je suppose que le cinéma demain soir et un dîner en terrasse bientôt feront oublier que la côte basque est loin désormais!

Marjane: le mythe, comme tu y vas! Je suis un peu une caricature quand même... Un jour, je feuilletais un livre genre sur les différents looks et dans le paragraphe sur les bobos (ahem), ils décrivaient une fille avec les cheveux longs pas peignés, une éventuelle mèche hésitante, une robe APC et cette phrase qui m'a fait beaucoup rire "Elle porte le visage nude et quand elle met du vernis ou du rouge à lèvres, elle crée l'évènement"!
Je crois que tu vas très bien manger en Bretagne...

Lucie: merci, c'était super en ce jour de rentrée!

21 août 2012 à 00:56  

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