mardi 11 septembre 2012

Début septembre (je tremble)


Mellow Yellow a-t-il dit en voyant la photo.
Goûts des journées de septembre : purée d’azuki à la petite cuillère, raisin muscat et mimolette, chocolat au praliné feuilleté à l’amande, premières petites pommes acidulées comme les bonbons préférés de l’enfance, sorbet cassis de Chris, tartines de pain au sarrasin et beurre salé, brioche amoureusement rapportée d'une sortie dominicale à bicyclette, maïs doux mélangé à des quartiers de tomates épluchées, des saucisses grillées en morceaux, du piment d’Espelette et des poignées d’herbes fraîches (j’aime bien persil + coriandre + ciboulette).


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Quand j'étais enfant, mon père et mes oncles ramenaient triomphants du maïs de contrebande chez ma grand-mère où tous les festins familiaux avaient l'habitude de se dérouler. Elle les faisait bouillir dans d'immenses marmites et tout le monde était très impatient de se brûler les doigts dessus une fois qu'ils avaient été badigeonnés d'un mélange d'huile, de sel et de ciboule émincée. C'était absolument réjouissant, c'était croquant et tendre, sucré et salé, parfumé et collant. Ensuite, heureuse et repue, je réclamais à la cantonade une partie de Monopoly que ma grand-mère interrompait en apportant sur la toile cirée du salon des cubes très frais de flan à la noix de coco.

Je ne savais pas encore, en plaçant des maisons vertes sur l'avenue Mozart, ma préférée, que des années plus tard, en rentrant d'une longue journée de rentrée, j'aimerai préparer une soupe au maïs frais, douce et veloutée.
Ainsi, samedi matin, autour du stand d'Annie Bertin, ça discute sec. Personne n'est d'accord sur le mode de cuisson des épis de maïs, je profite de la distraction généralisée pour m'emparer des derniers haricots cocos tout pimpants. Bon, Annie finit par trancher, elle plonge les épis entiers (avec leur enveloppe donc) dans de l'eau bouillante, pour la durée de cuisson quand c'est cuit, c'est cuit et quant à la dégustation, bah moi je les mange nature, ils se suffisent à eux-mêmes. Elle précise Et avec le foin, vous pouvez faire des infusions, ça a des vertus médicinales. Regards perplexes dans la file d'attente mais dix minutes plus tard, plus un seul épi sur l'étal...
Pour trois bols de soupe, faites cuire un petit quart d'heure trois épis de maïs. Récupérez les grains au couteau. Pochez les encore un quart d'heure dans un mélange de lait et de crème entière (je dirais environ 300mL de lait et deux cuillères à soupe de crème). Laissez un peu refroidir avant de mixer au blender (avec la girafe, la soupe sera moins veloutée). Remettez-la sur feu très doux, ajustez en sel, en piment d'Espelette et en crème si nécessaire. Servez dans des jolis bols, surmonté d'un mélange de ciboulette et de persil ciselé.
Après ce dîner léger et joyeux, pour ne pas très vite penser que l'enfance n'était pas si douce et pouvait parfois être d'une abominable et pathétique tristesse, je suggère une virée au Café Cortina.



La première fois, c’était au mois de juillet, il y avait peu de monde. Un garçon seul buvait une bière en lisant le journal, des amis soupaient de quelques tartines au fromage fondu, nous qui commandions une tisane de mamie et un verre de vin blanc, la patronne et le cuisinier dînaient au comptoir d’une assiette fumante de tagliatelles et d’un plat en sauce qui sentait rudement bon.
Un midi de liberté, robe rose et grand sac en tissu, presque plus de tables disponibles mais on me trouve gentiment une petite place près de la fenêtre. Fantasme très ancien de vie française (articulé dans l’enfance à certaines images récurrentes : retourner son assiette pour manger une part de camembert, demander un jambon-beurre au comptoir d’un café accoudé près d’un présentoir d’œufs à la coque, découper un gigot aillé avec un couteau électrique) qui s’incarne au moment où je demande dans un sourire un plat du jour.
On m’apporte une petite corbeille de pain blanc, une carafe d’eau fraîche, du sel et du poivre, puis, sur une assiette années 80, un dos de merlu en papillote, parfumé et fondant, et quelques pommes de terre à la vapeur que j’écrase avec joie dans le jus crémé du poisson. En dessert, une compote toute simple de rhubarbe avec un peu de mascarpone à côté. Je décline le café. Avant de partir, je fais un polaroïd que je destinais au départ à J. (je ne l’ai pas vu depuis longtemps, je n’arrive pas à lui écrire, je pense à lui souvent surtout quand je traverse Paris en noir et blanc dans les films de JLG. Je pense à lui aussi devant mes aspirations qui parfois s’évanouissent dans un soupir de dépit et de découragement, j'aimais sa voix rassurante autrefois. Il fait partie des rares personnes que je connaisse à considérer sérieusement l'adolescence comme le moment de tous les désirs, même les plus baroques, même les plus timides, surtout les plus fragiles) mais ce jour-là, je tremble trop.


Avec W., le café Cortina est la botte secrète des soirées trop tranquilles (ou qui commencent très tard à cause du travail), il ponctue alors nos balades nocturnes et bavardes. La dernière fois, sur la table en formica rose, le cuisinier a posé une assiette brûlante : des travers de cochon avaient longtemps mijoté dans une sauce délicieuse, très onctueuse, au milieu de carotte et de champignons ajoutés au dernier moment. Ils étaient servis avec du riz au sésame et, comme pour la blanquette et la plupart des plats en sauce quand elle est réussie, le riz juste mélangé à celle-ci suffit à mon bonheur, j’en ferais presque l’impasse sur l’accompagnement carné. Au moment du dessert, j’ai découvert qu’en fait, j’aimais bien le far aux pruneaux.

Café Cortina, 12 rue du Docteur François Joly à Rennes (une ville qui m'énerve un peu en ce moment et je ne suis pas la seule si j'en crois la conversation que nous avons eue au guichet du petit cinéma. On en reparlera)


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En attendant le prochain film d'Olivier Assayas, les concerts de Neil Hannon (deux soirs de suite! J'en suis presque angoissée: j'ai peur de ne pas bien profiter du premier concert parce que je saurai qu'il y en aura un autre, ce qui prive donc le premier de son caractère d'exclusivité. Je vous rassure, je n'ai pas arrêté ma psychanalyse), les week ends à Paris et la semaine à Berlin (youpi!), j'enchaîne les romans de filles.
Dans Fermer l'oeil de la nuit, Pauline Klein épie ses mystérieux voisins, visite des immeubles en PDT, écrit à un frère apparemment incarcéré, hésite à lire le journal de son père, déjeune avec sa mère au Canton où les boules coco sont l'occasion de revenir sur sa propre naissance.
Dans Millefeuille, Leslie Kaplan suit de près Jean-Pierre Millefeuille. Il habite rue Antoine Bourdelle, est en train d'écrire un essai sur les tragédies de Shakespeare, fréquente assidûment le Select, aime la choucroute de la brasserie en bas de chez lui, commande des alcools triés sur le volet par le caviste de Monoprix, arpente avec une gourmandise désespérée le marché Edgar Quinet (une fois, y achète deux boîtes d'oeufs de saumon), rencontre Loïc et Cristelle, met vraiment du temps à lire le manuscrit de Léo, pense souvent à la mort.
Enfin, dans Viviane Elisabeth Fauville de Julia Deck, on suit une femme qui a tué son analyste, tout un programme!

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18 Comments:

Anonymous Marie said...

En passant à Neukölln, il y avait un vendeur de maïs et ça m'a rappelé que je n'en avais plus mangé depuis longtemps. Et puis ce billet. La vie est drôle...

11 septembre 2012 à 10:06  
Anonymous Julie D. said...

C'est à mon tour de trembler un peu à la découverte de ton nouveau billet. Le café Cortina, c'est mon troquet, mes apéros ; j'habite à deux pas et je m'y rends régulièrement même si pas si fréquemment que ça... suffisamment quand même pour que la patronne sache où nous avons passé nos vacances et que Pierre commande toujours un Viognier. Je ne sais pas pourquoi (c'est même un peu absurde puisque nous ne nous connaissons pas) mais je ne peux m'empêcher d'être touchée que tu sois sensible à ce lieu.
J'y étais encore hier soir...

11 septembre 2012 à 18:20  
Anonymous Anonyme said...

Là je suis servie en lisant ton commentaire Julie, déjà que ça m'a laissé une drôle d'impression en lisant ton billet Patoumi. Ce bar est au bout de ma rue, alors que je m'en faisais exactement l'idée de ce que vous décrivez et que je m'imaginais très bien y passer de longs moments pendant une période récente d'attente, j'ai eu malheureusement la très mauvaise idée d'y convier une personne pour une explication, Patoumi tu comprendras peut-être.. depuis ce lieu reste associé à ce moment où ma vie s'est dérobé à moi, et depuis je n'arrive pas à y retourner. Alors profitez bien, c'est tout à fait l'idée que j'avais de l'ambiance, des bons moments à passer là-bas...
atlante

11 septembre 2012 à 21:26  
Anonymous Riane said...

J'ai le même amour pour le riz-à-saucer. La viande de ces plats n'est souvent pas à la hauteur où alors elle ne convient juste pas au délice crémeux formé par la viande et la sauce (mais parfois, elle est parfaite).

Sinon, j'aime vraiment aller sur ton blog et voir que tiens, tu as écrit. C'est bête mais ça éclaire ma journée (alors même que ma crème ne daigne pas se faire chantilly)

12 septembre 2012 à 15:54  
Anonymous Hélène said...

Saumon Patoumi au menu de ce soir (avec plein de sauce et le riz très chaud) merci pour ce billet qui sent déjà un peu l'automne (c'est bien) :-)

12 septembre 2012 à 20:33  
Blogger patoumi said...

Marie: et moi qui pars dans quelques semaines à Berlin... J'ai tes photos en tête!

Julie D.: nous avons mis du temps à y aller parce que c'est un peu loin de la maison (oui enfin tout est relatif dans cette ville microscopique qu'est Rennes...) mais ça nous a tout de suite plu! Le cuisinier est vraiment très très gentil... C'est drôle (et agréable) de voir que la clientèle est assez différente de celle des autres endroits où nous allons (surtout Vieux Saint Etienne l'été) Bon, alors peut-être qu'on s'y croisera! (Je compte sur toi pour venir me parler parce que je n'ai aucun indice pour te reconnaître sauf si j'entends un garçon demander un verre de viognier:))

Atlante: j'espère que l'automne s'annonce plus doux...

Riane: le riz à saucer est un de mes trucs préférés sur Terre aussi! Est-ce que tu prends de la crème assez grasse pour la chantilly? Je sais qu'avec la crème du marché, on peut la monter à la main sans problème.

Hélène: merci Hélène pour ce clin d'oeil chaud et réconfortant!

12 septembre 2012 à 23:57  
Anonymous Poppilita said...

Je lis un livre de Minh Tran Huy et ca me fait penser a toi par association d'idee pourtant ses ecrits n'arrivent pas a la cheville des tiens.
par contre si je peux te conseiller une lecture (pas de filles), j'ai termine Stoner de John Williams traduit par Anna Gavalda. Je m'etais decide a l'acheter apres avoir entendu A.G en parler a la radio en podcast cet ete. C'est une tres belle histoire tres bien racontee.
Bonne journee Patoumi

13 septembre 2012 à 17:05  
Anonymous Riane said...

Je prends de la crème entière (chez moi c'est liquide et entière pour les desserts;épaisse allégée pour le salé parce que j'apprécie le côté plus "aigrelet" de l'épaisse)! Mais comme elle était vieille; elle s'était en partie "déphasée" ce qui fait que dans mon premier essai j'avais de la crème en partie décrémée.
Le second essai vu parfait.
Résultat: un saladier de crème bavaroise aux fraises. J'en ai utilisé le quart pour des charlottes à la rose. le reste, aujourd'hui, dans un gâteau tout moelleux coupé en deux et tartiné (j'adore ce genre de gâteau avec une partie dense -le gâteau ou le biscuit) et une légère et aérienne).

13 septembre 2012 à 20:15  
Anonymous Julie D. said...

Atlante,
Je voulais te dire que tes quelques lignes m'ont émue... et en même temps, je trouve ça réjouissant de savoir qu'une autre lectrice de Patoumi habite près de chez moi !
Patoumi,
Si j'ai un jour la chance de tomber sur (ce que j'imagine être) toi, j'essaierai de la saisir pour venir te faire un petit coucou ! :) Promis.

14 septembre 2012 à 18:18  
Anonymous patoumi said...

Poppilita: c'est gentil (enfin, pas pour Minh Tran Huy, mais elle n'arrivera jamais sur ces pages)
J'ai très envie depuis longtemps de lire Stoner mais j'ai un rapport plus compliqué avec Anna Gavalda (je sais que tu l'aimes bien, nos rapports ont peut être été faussés dès le départ ^^ -je parle de celui avec AG, évidemment), du coup je m'étais dit que je le lirai en VO et puis... bon, merci de m'y faire repenser parce que ça avait l'air vraiment bien!

Riane: oui, j'aime bien ce genre de gâteau aussi! (sinon pour les crème chantilly ratée, un jour que je recevais une éminente cuisinière strasbourgeoise, je ratai mon indatable mousse au chocolat. Méga honte)

Julie: le meilleur indice pour me reconnaître devrait être W. :)

16 septembre 2012 à 17:14  
Anonymous Poppilita said...

c'est vrai j'adore Anna Gavalda mais la en plus, elle a simplement traduit le texte et donc assez moderement laisse son empreinte donc meme si tu n aimes pas ses histoires, tu pourrais aimer sa traduction :)
mais peu importe lis le en anglais parce que ca vaut franchement le coup
sinon il y a aussi la grande maison de Nicole Krauss que j'ai bcp aime recemment
bonne semaine patoumi.

17 septembre 2012 à 14:08  
Anonymous patoumi said...

Popilita: en fait, mon rapport à Anna Gavalda est tellement épidermique et j'ai été tellement déçue par certaines traductions (genre pour Fitzgerald parce que j'ai lu une version de Gatsby qui m'a vraiment "pourri" la lecture) que j'ai du mal à croire qu'Anna Gavalda ait réussi à faire une traduction à la hauteur de l'original. Mais ce n'est que mon petit avis. Un peu comme pour Nicole Krauss, j'avais trouvé que ça se sentait vraiment qu'elle sortait d'un atelier d'écriture (mais je suis peut-être injuste parce que je n'ai pas terminé La grande maison)

17 septembre 2012 à 14:56  
Anonymous Estelle said...

Les grands épis se rencontrent ! (je n'ai pas pu résister)
http://tetellita.blogspot.fr/2012/08/eloge-du-mais-doux.html

17 septembre 2012 à 23:24  
Anonymous Poppilita said...

je comprends je comprends
les gouts et les couleurs...
bonne journee patoumi !

18 septembre 2012 à 10:48  
Anonymous patoumi said...

Estelle: :D
J'adore l'anecdote du jus à aspirer! Personne ne m'a jamais appris ça! (c'est rigolo parce que la Turquie était le seul endroit où W. avait mangé des épis de maïs, justement bouillis en bord de route)

Poppilita: vu qu'on n'était même pas tout à fait d'accord sur Vincent Delerm en plus ^^

18 septembre 2012 à 23:42  
Anonymous Poppilita said...

right :)
bonne journee !

19 septembre 2012 à 09:06  
Anonymous Estelle said...

Il n'est jamais trop tard pour s'y mettre, Patoumi !

19 septembre 2012 à 22:28  
Anonymous Anonyme said...

Ce soir, (ça faisait longtemps qu'il n'avait pas lu tes billets), sur son mac, J. a capturé le polaroid qui lui était destiné.
Lui non plus n'arrive pas à écrire bien qu'il pense aussi à toi, notamment ce 11 septembre-là où il quittait Krakow sans avoir trouvé la cartolina qui puisse t'être destinée.
Mais il y avait pensé, et l'avait cherchée.

11 novembre 2012 à 20:53  

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