mardi 27 décembre 2011

Les parties de Memory (les petites crèmes au chocolat de Léna)

Il déteste gentiment ce vieux manteau, je l'aime encore assez pour le porter, je l'avais acheté avec l'un de mes premiers salaires d'interne. Les mitaines avaient été choisies en son absence déplorée, s'il avait été là, j'aurais pris les bleu marine...

Un jour, Edu Simoes a décidé de photographier le contenu des gamelles de déjeuner des ouvriers d'un chantier de Sao Paulo. Il raconte que malgré leur fatigue et leur faim toutes deux fracassantes, aucun d'entre eux n'a refusé de montrer son repas préparé la veille par une femme bien intentionnée. Edu Simoes explique avec pudeur que la composition de ces boîtes rondes, rectangulaires ou carrées en disent long sur les disparités sociales des travailleurs appartenant pourtant au même chantier. Toutes les gamelles comportent des haricots ou du riz, celles des plus heureux révèlent aussi quelques ailes de poulet ou des tranches de lard, voire un peu de boeuf haché, mais parfois, il n'y a qu'un oeuf frit et surtout, les quantités me paraissent dérisoires comparées à la force physique probablement requise par ceux à qui elles sont destinées.
Cette série de photographies d'Edu Simoes est à contempler au sous-sol de la MEP, très peu fréquentée le dimanche en fin d'après-midi. Un bon moment aussi pour se sentir minuscule devant un cliché de Martine Franck où l'on voit Vieira da Silva et Arpad Szenes, très âgés, se regarder l'oeil pétillant d'amour et d'histoires communes.

Ce dimanche-là, nous avions déjeuné chez Bob de pancakes géants à la banane et aux myrtilles et d'un petit crumble au milieu de jeunes filles à pulls mous aux couleurs subtiles (moutarde tendre, vert mousse, bleu glacier).
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Par anticipation d'un voyage à venir, il voulait traîner passage Brady à la recherche de stickers particuliers. Autrefois, près de là, j'avais reconnu les fenêtres de l'appartement de Louis Garrel et Ludivine Sagnier dans Les chansons d'amour. Cette fois-ci, près d'ici, après être repartis de L'ouvre-boîte avec des bandes dessinées sous le bras, il fut décidé d'un commun accord qu'un déjeuner à Nanashi s'imposait. Dans la salle déserte, sous les lampes tricotées, aux côtés de céramiques années 50 et de cageots débordant d'oranges et de citrons, la serveuse portait un gros pull à torsades sous son tablier bleu. Tout était délicieux et délicat, très frais et parfumé. Le riz sauvage était imbibé du jus des boulettes, les allumettes de radis noir réveillaient le saumon cru. Les fruits rôtis étaient parfaits, alanguis sous la petite cuillère de crème fouettée. La serveuse a proposé en souriant un peu d'eau chaude supplémentaire pour le thé.
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Avant Diane Arbus au musée du Jeu de Paume, un petit-déjeuner tardif fut savouré dans la quiétude du canapé jaune miel de Claus dont Estérelle m'avait vraiment fait envie. Bon, le chocolat était assez quelconque mais qui saurait résister à ces petites cocottes en feutre qui cachent l'oeuf à la coque? Le yaourt maison framboise-sureau était aussi délicieux et ma voisine a osé demander quelles épices rendaient le velouté de petits pois si addictif (je n'ai pas entendu la réponse mais il était vraiment bon avec ses deux petits toasts -foie gras et saumon fumé). Surtout, le lieu est joli et calme et j'aime l'idée qu'on puisse petit-déjeuner à n'importe quelle heure de la journée.
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Sur les bords du canal, il s'agissait de se réchauffer au Sésame malgré l'expérience peu encourageante d'une amie, néanmoins racontée avec beaucoup d'humour au téléphone. Une jeune femme très blonde, nuée d'oiseaux sur son corsage rose pâle, rejoint son amoureux en parka, une adolescente se réjouit de découvrir des myrtilles dans son muffin qu'elle veut absolument faire goûter à son père un peu maladroit. Le bouquet d'anémones rose et violet posé sur le comptoir attend d'être développé. Le sourire de la serveuse est désarmant et je dévore tout ce qui compose le Droopy breakfast: le jus carotte-pomme-gingembre, le chocolat chaud, les tartines à la confiture d'abricot, le petit oeuf à la coque, en écoutant les histoires de G.
Tout près, juste après, nous passons un long moment à la librairie Artazart. J'y ai toujours un peu le vertige devant les livres de photos archi tentants (premier livre de Martin Parr, polaroïds berlinois, Depardon seul à Manhattan). J'y ai surpris G. glisser un paquet dans son sac...
Plus tard, sur les conseils de M. que j'ai été ravie de revoir dans un bel endroit, nous avons adoré à la Maison Rouge la collection Olbricht joliment intitulée Mémoires du futur. Vous verrez, entre autre, tout le long du couloir au début de l'exposition, le visage changeant des quatre soeurs Brown photographiées ensemble pendant trente-six ans à Cincinnatti. Je n'ai pas pu m'empêcher de penser aux soeurs Lisbon de Virgin Suicides qui n'ont pas eu le temps de voir leurs cheveux blanchir, les veines de leurs mains devenir plus apparentes, leur sourire se rider. Expérience étrange.
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Lui, dans son manteau anglais, moi dans ma veste en tweed trop grande, nous avons remonté à toute berzingue le Faubourg Saint Denis glacé pour aller voir Memory, une autre expérience des années perdues qui vous flouent.
Dans son nouveau spectacle, Vincent Delerm incarne le rôle de Simon, un garçon qui autrefois fut amoureux de Sandrine, une fille assez déroutante, particulièrement lors d'une fête foraine. Un garçon surtout qui ne peut pas écouter Avec le temps autrement qu'en italien sur une vieille cassette parce qu'il faut bien avouer que c'est assez insupportable d'angoisse d'entendre Et l'on se sent glacé dans un lit de hasard...Simon retient ce qui est pourtant si facilement dévolu à l'oubli nécessaire de la vie qui avance et en cela, je m'en sens assez proche. Alors qu'il évoquait déjà dans ses chansons le souvenir futile mais farouchement aggripé à une mémoire solide des moments dont certains ne comprennent régulièrement pas la nécessité personnelle (révisions du bac avec une fille au mois de juin, interclasses de volley, voyage scolaire à Sestrières, feu d'artifice sur un talus à Biarritz, vos yeux dans l'autocar, tout ce qui ne reviendra jamais), le spectacle leur laisse cette fois toute la place. Cela m'a ravie puisqu'on m'a souvent reproché de me souvenir de ce qui ne sert à rien alors qu'ici, il devient prétexte à tout.
J'ai bien aimé aussi la convocation incessante de ceux qui ont toujours habité son univers amer et doux à la fois: Woody Allen se lance dans un monologue introductif où il est question de l'âge auquel George Harrison a quitté les Beatles, Barbara et Souchon passent à la radio, Antoine Doinel va au cinéma pendant une semaine et se dit tristement que fréquenter enfin cette fille si belle, ce n'est peut-être pas aussi bien que juste convoiter cette fille si belle. Et aussi qu'il est tellement étrange d'être obsédé par quelque chose à 11 heures du matin qui n'a plus vraiment d'importance à 18 heures le même jour.
C'est dans ce décalage névrotique qu'infiltre le ravissement de la soirée, renforcé par le jeu extrêmement varié auquel se livre Delerm: il danse (revanche sur les boums immobiles), fait de la bicyclette, jongle, et manie même la raquette face à un adversaire qui n'est finalement que lui-même ou bien les fantômes des grands joueurs des années 80-90 dont il évoque les noms avec tendresse et ironie.
Ainsi, le spectacle distille aussi une légère tristesse, une vague appréhension un peu angoissante. Cela se ressent très fort dès le premier quart d'heure quand sont projetés des films de famille, récupérés par Delerm dans des vide-greniers et mis en perspective avec des images de cimetière et une chanson où le refrain répète Nous sommes vivants...Que sont devenus ces couples qui dansaient dans un salon au papier peint fleuri en attendant le gâteau d'anniversaire de quelqu'un probablement mort désormais? Qu'est devenue cette jeune fille filmée au mois d'août en fin d'après-midi? Ma gorge se serre. Elle se serre encore plus devant ce que je vois comme la mise en scène de sa disparition à lui, le visage grimé et tout blanc, s'évanouissant.
Tout cela se bousculait sous ma veste en tweed et j'étais incapable d'attendre de le voir après le spectacle.
Plus tard, je découvrais que j'aimais la glace au café, le goût de l'amer sans doute.
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Pour le retour en train, nous avions tout prévu. Petites verrines du Pain Sucre, à déguster avec des petites cuillères dorées puis une de leurs belles tourtes, à la farine de sarrasin, à réchauffer à la maison dès l'arrivée. Pour patienter, la lecture enthousiasmante de Whiskey & New York, la bande dessinée autobiographique de Julia Wertz qui décide à vingt-cinq ans de quitter San Francisco, sa vue sur la baie, ses appartements victoriens, ses hipsters cool (c'est elle qui le dit) et sa nourriture mexicaine parfaite pour aller s'installer dans divers appartements pas toujours très avenants de Brooklyn. Julia est l'incarnation d'une lose assumée, traînant ses cheveux sales et plats et son sac déchiré aux rendez-vous professionnels, se faisant renvoyer de plusieurs petits boulots, passant parfois sa journée dans des cinémas de Manhattan à s'alcooliser. Evitant soigneusement les fruits et légumes frais, elle préfère plutôt les bagels, les pizzas et surtout les bloody Mary. Julia ne mâche pas ses mots et son autodérision parfois pathétique la rend super attachante. Mon seul petit regret et de ne pas l'avoir lu en anglais!
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La veille du départ, je me souviens, il avait plu toute la journée. Avec Léna, nous nous sommes retrouvées dans un salon de thé assez nul où il n'y avait plus rien à manger (enfin, on n'avait pas très envie d'une hérétique tarte à la courgette de décembre et encore moins de la salade de pommes de terre froide aux lardons) sauf cette tarte au citron qui nous faisait un peu envie mais dont la pâte ne pouvait dissimuler sa terrible origine purement industrielle. En plus, le thé était mal infusé! Mais nous étions de bonne humeur et notre conversation se suffisait à elle-même pour nous animer (j'ai quand même pris la précaution de prévenir G. qu'il n'était pas nécessaire qu'il affronte la pluie pour nous rejoindre vu le contenu de l'assiette).
Plus tard dans la soirée, comme G. et Léna avaient réclamé en choeur du boeuf aux oignons (je ne sais plus vraiment comment nous en étions arrivés là) et qu'ils avaient fini par m'en donner envie, j'ai suggéré une boeuf aux oignons party. Bon, il était déjà assez tard et le frigo était plutôt vide puisque nous partions le lendemain alors je ne remercierais pas assez le petit traiteur grec chez qui nous avons choisi des tiropita et des beignets de légumes parfaits pour apaiser l'impatience de trois personnes qui n'avaient pas mangé grand chose de la journée. Le boucher avait gentiment détaillé de la poire (de boeuf donc) en lamelles, nous avions quelques oignons roses.
J'ai apporté les assiettes brûlantes avec une petite appréhension, j'avais à faire à de fins amateurs de boeuf aux oignons! J'ai guetté leur sourire, j'ai eu l'impression que ça leur plaisait bien, chic.
Pour le dessert autour de la table basse chinée, pas le temps ni vraiment l'envie ce soir-là de servir autre chose que les petites crèmes de Pascal Beillevaire, et aussi son riz au lait au caramel beurre salé. Personne n'était très fan du riz au lait mais avec le caramel, hmmmm, on va dire qu'il a été envisagé autrement... Quand elle a goûté la crème au chocolat, Léna a tout de suite fait le rapprochement avec celle qu'elle prépare quand son amoureux est tenté par celle de la malhonnête laitière. J'aime tellement ça que je lui ai fait promettre de me donner la recette... (que je recopie)


Les petites crèmes au chocolat de LénaPour 6 à 8 ramequins:

150 g de chocolat noir ; 50 cl lait entier ; 4 jaunes d'œuf + 1 œuf ; 80 g sucre

Faire fondre le chocolat avec un peu d'eau. Une fois fondu, ajouter le lait entier, remuer quelques minutes à feu doux, jusqu'à obtention d'un lait chocolaté.
Dans un saladier, battre les jaunes d'œuf avec l'œuf, ajouter le sucre, bien fouetter. Verser le lait chocolaté dans le saladier, mélanger.

Faire cuire 30 minutes au four préchauffé à 150°c, au bain-marie.

A priori, le point crucial est la cuisson. Privilégier les petits contenants parce qu'elle sera plus homogène et les crèmes seront bien soyeuses. Léna utilise des toutes petites tasses comme ça:


Elles sont vraiment délicieuses, à savourer debout dans la cuisine, mais aussi avec une gavotte et des quartiers de clémentine acidulée.

Bob's kitchen 74 rue des Gravilliers
L'ouvre-boîte a ouvert il y a quelques mois au 20 rue des petites écuries, à soutenir parce que c'est courageux d'ouvrir une librairie! Le libraire est charmant et la sélection très alléchante.
Nanashi 31 rue de Paradis
Claus 14 rue Jean-Jacques Rousseau
Sésame 51 quai de Valmy
Artazart 83 quai de Valmy

A bientôt!

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lundi 12 décembre 2011

J'ai pensé que peut-être ça te plairait

(C'était un dimanche entièrement consacré à finir un roman* et à préparer des petits biscuits** avec toutes les lampes allumées dès cinq heures et dehors, les guirlandes lumineuses de fenêtre en fenêtre)

Quelques idées improvisées de petits cadeaux
Obsessive consumption de Kate Bingaman-Burt
Sorti il y a longtemps, dévolu à une lecture itérative, suivez jour après jour les achats de Kate en couleurs primaires. Treize lampions en papier, une paire de chaussures de mariage couleur jaune et violet, des tulipes pour mamie, du poulet frit, trois fouets à pâtisserie ou les falafels du vendredi, Kate dessine tout ce qu'elle achète et c'est chouette.

Leçon de photographie de Stephen Shore
S. Shore photographie des pancakes à côté d'un verre de lait froid, des parkings de supermarché, des motels désaffectés du Texas, il explique dans ce livre les différents niveaux de la photographie (physique, représentatif, mental), montre un choix de photos assorties et dit ceci à propos du moment où il appuie sur le déclencheur C'est l'interaction complexe, continue et spontanée de l'observation, de la compréhension, de l'imagination et de l'intention.

Fat de Jennifer Mac Lagan
Un super livre assez fascinant sur le gras! Celui du beurre, du cochon, du boeuf, de l'agneau, des volailles. Ses origines, ses utilisations, des anecdotes historiques et des recettes: la poitrine de porc rôtie au miso et à l'orange que je vais bientôt essayer, le BLT parfait avec une mayonnaise secrète, un risotto à la moelle ou des saint-jacques pochées au beurre, que des plats subversifs!

Une adolescence dans l'après-Mai d'Olivier Assayas
Un texte court, dédié à Alice Debord et Mia Hansen-Love, écrit après des vacances indiennes passées avec elle (MHL), suite à un retour de plage à Goa et dont il dit ceci J'étais le spectateur intrigué d'une tranquillité inhabituelle qui se manifestait en moi. Et je me rappelle avoir pensé qu'elle ne pourrait être qu'infiniment fugitive. Ce livre raconte comment le très jeune Olivier Assayas est devenu cinéaste et je suis assez ravie de l'avoir cité dans ma thèse! C'est un beau cadeau, surtout s'il est accompagné de l'intégrale DVD...

La cuisinière du cuisinier d'Alain Ducasse et de Frédérick e. Grasser-Hermé
Elle ne le sait pas mais depuis longtemps Fegh m'émeut. Il y a ses monomanies chromatiques aux Editions de l'Epure et son dément gâteau au chocolat à la mayonnaise, il y a son érudition malicieuse et gourmande qui me parait infinie. Je l'imagine courir tout Paris pour dénicher LE jambon à l'os parfait. Son exigence est toujours un peu ironique, j'aime bien.
Nous avons cependant peu de points communs si ce n'est qu'il m'est apparu encore davantage en lisant ce livre (une mine, vraiment) que nous aimons pas mal de choses identiques: les burgers, les hot-dogs chics et les tuna sandwiches mais aussi les tomates farcies (qu'elle cuit dans le fournil chez Poilâne), la blanquette et les pâtes à la daube (à la queue de veau). Il y a aussi des recettes mystérieuses: l'oeuf au gras, le risotto aux salicornes d'Inaki Aizpitarte ou la cocotte du Club du gras (encore, désolée).

Recettes des trois soeurs pour jeunes fauchés gourmands d'Evelyne, Delphine et Annie Mach
Au début du livre, la photo des trois tabliers accrochés à la patère sur fond de mur rouge vif constitue une excellente introduction à l'univers des trois soeurs qui aiment manger sans que ce ne soit jamais trop compliqué! Je ne sais pas si ce sont nos origines asiatiques communes mais je me reconnais assez régulièrement dans leur propos (évidemment, la série d'Aki intitulée Mes parents les Yamada me parle particulièrement...)
A la maison, pas de burgers sans leur flash potatoes un peu épicées et j'ai déjà éprouvé leur soupe rustique des malades. En plus, elles donnent leur recette familiale de raviolis pékinois! Les dessins sont toujours aussi adorables...

D'autres listes de cadeaux, plus anciennes mais pourquoi pas, et aussi quelques idées snobs...

*Les revenants de Laura Kasischke chez Bourgois
**la nouveauté cette année, les sablés de Clotilde, une recette précieuse qu'elle tient de Christine, la maman de Laurence, l'une des plus anciennes amies de Clotilde.
Une recette très simple pour laquelle la qualité des ingrédients est primordiale et qui donne des biscuits délicats au parfum subtil et addictif!

Les sablés de Noël de Clotilde
-210g de farine
-140g de sucre blond de canne
-125g de beurre mou
-1 oeuf
-1/4cc de cannelle
-les graines d'une gousse de vanille fendue et grattée
-1/4 cc de sel fin

Mélanger la farine, le sucre, le sel, la cannelle et la vanille.
Ajouter l'oeuf, bien mélanger.
Incorporer le beurre coupé en petites parcelles progressivement jusqu'à obtenir une pâte bien homogène.
Diviser la pâte en deux, façonner un disque un peu épais, l'emballer dans du papier film et la laisser reposer au frais au moins 8 heures.
Au terme de ce repos, sur une surface bien farinée et avec un rouleau également fariné, étaler la pâte finement, sur 2 à 3mm d'épaisseur.
Découper les biscuits à l'aide d'emporte-pièces et les placer au fur et à mesure sur une plaque à four froide protégée de papier sulfurisé.
Faire cuire 12 à 15 minutes dans un four préchauffé à 160°.

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lundi 5 décembre 2011

Les choses après (KA on stage)

(Avant)
C'est E. qui a conseillé l'adresse alors que nous étions debout dans l'entrée d'Henry et Henriette, nous saluant avec la gêne de ceux qui ne savent pas très bien quand ils se reverront.
Après, avec G., serrés sous le parapluie à pois japonais, déjà la main redéplie le plan et nous avançons d'un pas pressé et trempé sous les guirlandes palpitantes au gré du vent. Nous avons trouvé l'escalier qu'il fallait descendre puis la grande avenue à traverser, nous avons pris la rue à gauche et nous sommes finalement arrivés sans encombre au Jéroboam. J'ai alors eu l'impression asssez immédiate d'être à New York, à cause du bois, des briques apparentes, du petit salon au bout du comptoir et de cette nonchalance gourmande et heureuse qu'affichait la plupart des gens. Nous avons expliqué au serveur qu'il s'agissait d'un avant-goût et que nous avions peu de temps devant nous car dans un peu plus d'heure allait commencer le concert de Keren Ann. Il a absolument compris l'enjeu du moment et a apporté avec une certaine malice deux verres de vin et trois tartines qui redonnent un sens à l'utilisation de ce terme dans le monde de la restauration (je dis ça parce que trop souvent, ces tartines servent de prétexte à servir en toute bonne conscience des tranches assez épaisses de pain pas toujours super frais recouvertes de trucs de qualité très médiocre régulièrement camouflés par du mauvais fromage fondu). Ici, au Jéroboam, il s'agit de petites tranches de pain plutôt fines et toastées recouvertes d'une généreuse poêlée de cèpes à la marjolaine ou de fromage frais aux herbes et d'écrevisses ou encore de pancetta et de purée de vitelotte gratinée au comté. J'avoue que c'est assez réjouissant comme nourriture pré-concert.

(Pendant)
Impatience à son comble au quatrième rang, G. et moi avons du mal à la tromper. Il fait chaud dans la salle, j'enlève mon cardigan et je bénis les manches courtes de la robe à pois.
Il y a un compte à rebours assez subtil puis la silhouette de KA se devine, ultra graphique et stylée (j'adore la veste courte, noire, et le fin bracelet autour du poignet).
Je suis complètement terrassée par l'émotion dès le tout début du concert. J'avais le souvenir d'une fille qui ne fait que penser aux rivières de janvier ou dont les amours périssables s'enterrent sous le sable mouvant, une fille qui le prévenait nul ne t'aimait comme moi jamais, une fille qui osait à peine lever les yeux vers son public, s'excusait presque d'être là, chantait avec discrétion comme si elle s'approchait sur la pointe des pieds des oreilles de son auditeur. J'avais le souvenir aussi de ses lalala légers et graves sur Tout doucement, le souvenir d'un texte qu'elle avait écrit pour les Inrocks où elle évoquait sa sidération au Guggenheim de Venise devant un Giacometti ou à la Tate devant une toile de Lucian Freud intitulée Girl with leaves. Elle était pour moi une fille délicate et intimidée, une fille d'une autre époque aussi.
Mais ce soir-là, dans la salle électrique, je ne m'y attendais pas du tout, elle impose avec une grâce déterminée sa voix pleine et complexe en vous regardant droit dans les yeux tandis que les miens se mouillent tant je suis émue par sa transformation. Sa gestuelle me fascine et quand elle raconte à l'improviste le soir où elle a vu Lou Reed écraser sa cigarette dans une bouteille de champagne à Manhattan, je saisis l'ampleur de ce qui sépare la jeune fille en col roulé qui chantait timidement J'ai raté ma vie en deux temps/Trop occupée à faire d'autres plans de la jeune femme super à l'aise dans ses boots noires qui chante malicieusement et avec fougue Don't say nothing/I speak for two. Elle ne parle quasiment pas entre les chansons et pourtant, il y a un lien très fort avec le public, créé uniquement par la force harmonique et visuelle du concert. C'était absolument décoiffant.

(Après)
KA participait à une séance de dédicaces mais j'ai appris comme ce genre de proposition peut être source de remords infinis d'où la décision partagée de retourner au Jéroboam vérifier que c'était vraiment un chouette endroit.
Sur la table, du jus de Cox Orange, un chocolat chaud servi sans ciller, un verre de vin rouge, des fromages subtils, des charcuteries triées sur le volet, quelques noix. C'était assez délicieux et réjouissant. En dessert, avec le vin chilien, il y avait une marquise au chocolat et aux éclats de speculoos vraiment pas mal.
Evidemment, on n'a pas arrêté de parler de KA. Je suis archi admirative de sa trajectoire, j'ai presque envie de devenir chanteuse. En fait non, je me demande plutôt, à l'aune de sa transformation, elle qui ne cesse d'évoquer sa disparition dans ses chansons, si moi aussi, dans dix ans, je m'approcherai de ce à quoi j'aspire, vraiment. Cela passe par des questions assez simples, aurai-je toujours les cheveux longs? Aimerai-je toujours les mêmes chansons? Lirai-je les vers de Sylvia Plath avec autant de frissons? Saurai-je maquiller mes yeux, jouer Les variations Goldberg, faire des canelés parfaits? Oserai-je, l'hiver, porter un manteau jaune? Aurai-je abandonné mes sacs en tissu coloré?
Mais derrière arriveront les vraies questions, ai-je été fidèle à mes aspirations? Qu'en est-il de mes convictions? Est-ce que je me suis attelée, vraiment, à ce qui comptait pour moi, au fond? Me suis-je mentie à moi-même pendant tout ce temps? M'écriras-tu encore, longtemps?
J'ai eu comme un vertige.
Le plus souvent, c'est vrai, je préfère les choses après, mais parfois non.
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Peut-être nous croiserons-nous un jour au Jéroboam, au 21 rue Léon Blum à Nantes.
Tous les disques de KA sont extras mais j'aime particulièrement La disparition et Nolita.
Je sais que j'avais promis de parler de livres mais ce concert m'a vraiment fait de l'effet... Il y aura bientôt quelques idées de cadeaux pour Noël, avec des livres donc!
(Ah, j'allais oublier, j'ai aussi une question technique suite à de nombreuses plaintes concernant la lisibilité de ces pages: comment faire pour qu'en bas de page s'affichent "Messages plus anciens" et "Accueil" afin que plus jamais vous ne soyez obligés de parcourir les archives pour retrouver ce que je raconte, par exemple, sur Millenium Mambo*? Je précise que j'ai l'ancienne version de Blogger... Merci d'avance!)
*private joke

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dimanche 27 novembre 2011

Hier soir j'ai trouvé ça bien (côte fleurie et carrot cake)

J'ai mis trop de temps à écrire ce billet, rapport aux nouveaux horaires de travail assez harassants. Quand j'étais ado, je rêvais à une vie d'urgentiste survoltée où l'on est déjà ravi de voler un moment pour traverser la rue qui sépare l'hôpital de la gargote qui sert des doughnuts pâlots et du café tiède dans un gobelet en plastique que l'on jette dans la poubelle de l'hôpital en s'impatientant déjà du prochain doughnut. Il se trouve que je ne suis pas urgentiste et que je n'aime ni le café ni les doughnuts mais désormais, je maîtrise la sieste debout dans le bus et si j'ai une minute pour avaler deux gorgées de thé, il m'importe peu qu'il soit de médiocre qualité et mal infusé. Je m'habitue peu à peu et développe quelques stratégies pour améliorer ces inconforts, je n'ai presque plus besoin de m'offrir la futilité indispensable de fin de journée qui permet de mieux appréhender la suivante. Sûr qu'après les vacances de Noël, j'aurai un sourire neuf plus souvent! Surtout si comme vendredi soir, G. m'attend avec des burgers maison et des chips au cheddar quand je rentre vers 21 heures...
Ainsi, je ne savais plus si j'avais envie d'évoquer notre échappée belle en Normandie qui me paraît si lointaine ou le charme des émissions radiophoniques de Laure Adler, dont je rêverais, un jour, de prendre la place. Dans une interview donnée à Télérama*, Vincent Delerm ( oui ...) dit cette chose tellement juste "Les gens imaginent souvent qu'on choisit son style, alors qu'en fait on fait ce qu'on peut, on suit sa pente naturelle."*****

Il faisait vraiment très froid dans les rues de Trouville même s'il porte désormais une épaisse écharpe bleue qui m'avait appartenue autrefois car J'aime t'avoir à mon cou.
Le premier refuge fut le bar provisoire de Merci (oui, Merci à la plage), où l'on vous sert en fronçant des sourcils étonnés votre thé vert avec un morceau de fromage (indispensable car nous n'avions pas déjeuné et il était environ dix-sept heures), la confiture de fraises était quant à elle plutôt aimable. Aux autres tables, une femme seule cheveux blonds lâchés et manteau en drap de laine bleu marine grille des cigarettes élégantes au-dessus d'un manuscrit, une jeune fille avait assorti sans réticence un col claudine, des derbies vernies et un manteau léopard, les garçons portent tous des doudounes. Je garde mes mitaines rose pâle autour de la tasse de thé.
J'ai eu un petit choc, outre le froid et la foule qui aime se regarder et vérifie qu'on la regarde, lors notre passage à ce qui était autrefois
Topolina, un moment qui n'aurait pas déparé dans un film de Bunuel (j'ai dit Lynch mais il m'a gentiment corrigée. Par ailleurs, je me suis récemment aperçue qu'en fait, je n'aimais pas trop David Lynch -on a (re)vu Twin Peaks). A la place de la table d'hôtes où j'avais tant aimé dîner sur des fauteuils dépareillés, dans la chaleur rassurante du grand feu de cheminée, devant le piano à queue où s'accumulaient des partitions de J-S Bach, cet endroit dont je me souviens aussi très précisément du menu (une soupe de chou-fleur, un rôti de veau avec plein de jus, une tarte aux pommes croulant sous les fruits bien caramélisés), il y a désormais une sorte de brocante franchement inquiétante dans son accumulation discordante et, ce soir-là, une jeune femme y apprenait très laborieusement à chanter avec une professeur maniérée. Il y avait quelque chose d'effrayant et de très violent dans cette voix qui s'époumonnait vainement.
La chambre d'hôtel était au dernier étage d'une immense maison normande pleine de couloirs, de recoins et de papier peint fleuri. On voyait les toits, le clocher de l'église et les mouettes capricieuses depuis les petites fenêtres. En attendant d'aller dîner, il m'a tendu un petit paquet et sous le papier kraft bleu, il y avait
un coffret Sophie Calle. Alors, allongés sur la couverture matelassée, nous avons contemplé ses cadeaux d'anniversaire scrupuleusement photographiés car Sophie craint toujours d'être oubliée. Ainsi, à partir de 1980, jusqu'en 1993, et ce tous les ans, elle organise un dîner avec un nombre d'invités égal à celui des années fêtées. L'un des invités convie un invité mystère et Sophie compile et photographie tous les cadeaux reçus: des bouteilles de champagne et du chocolat suisse mais aussi un dessin de Topor, des oeuvres d'Annette Messager ou, dans un autre style, une fricassée de langoustes. J'aime les cadeaux de ses parents (une gazinière, un aspirateur...), cela me rassure.
Bientôt, il fut l'heure d'aller dîner aux Quatre Chats. Plein, plein de monde à chaque étage du restaurant, petit manchon en fourrure pour certaines, foulard en soie pour les garçons. Sous les suspensions en forme de nuage des cuisines, on s'agite sec. Le patron a toujours cette familiarité peut-être défensive, il n'est jamais avare en tapes dans le dos et compliments sur le sourire mais peu importe, on nous dresse une table dans un petit coin caché et, assis sur les banquettes moelleuses, nous observons les présentations tapageuses des autres dîneurs.
Aux Quatre Chats, la cuisine est sensuelle et précise. Le pain arrive entier, tout chaud dans la corbeille, le coeur d'aloyau rôti pour deux est parfaitement saignant et comble toutes les impatiences carnassières, les pommes de terre sautées servies sur une assiette brûlante sont rustiques et ravissantes. Je n'aime rien tant que ces nourritures simples et percutantes et la glace au chocolat au lait du dessert restait dans un même ordre d'idée, moelleuse, onctueuse et intense de manière inédite.
Absolument ravis par ce dîner plein de bonne humeur, nous avons profité de la plage déserte sur laquelle flottait presque irréelle la lune pâle et pleine. Nous avons beaucoup marché, discuté et ri avant de rentrer à l'hôtel au milieu de la nuit, trouvant encore le courage de nous arrêter contempler quelques vitrines.
Le lendemain, sillonnant tranquillement la jolie côte fleurie normande, je garderai l'odeur de la cire fraîche croisée dans une droguerie, la fraîcheur d'une tarte à l'orange, le chocolat sombre et mousseux dans la carafe en céramique blanche, les piles de pommes et les gros fromages au marché de Honfleur, la crêpe au citron du goûter, la mer partout tout le temps.
C'était le petit répit avant la grande rentrée!
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Rien à dire d'autre sinon que
l'entretien en deux parties de Laure Adler avec Philippe Garrel est absolument indispensable si comme lui, comme moi, vous pensez que les films de la Nouvelle Vague aident à vivre.
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Indispensable aussi, le carrot cake acidulé des soirées qui se prolongent.
J'ai gardé la base du
coconut carrot cake de Lilo en remplaçant le coco par de la poudre d'amandes et en ajoutant des zestes et du jus de citron, du gingembre râpé et de la vanille.


*pendant très longtemps, j'ai été abonnée à Télérama. L'un de mes grands plaisirs était de le découper pour en faire divers collages jusqu'au jour où je me suis aperçue que je le découpais avant de le lire, de plus en plus agacée par des partis pris et certaines couvertures. Mon abonnement a pris fin. Je n'avais pas feuilleté un Télérama depuis au moins cinq ans. Dans l'article consacré à Vincent Delerm, il y a une note de bas de page qui précise ce qu'est la cold wave, de façon pour le moins condensé. Je ne relirai probablement pas de Télérama. Mais la prochaine fois, j'aurai plein de lectures à évoquer! En attendant, j'ai (un peu) remis à jour
l'index des recettes...

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dimanche 13 novembre 2011

All the beautiful girls, they wanna stay late

Un taxi attendait en bas de la rue où l'on n'entendait que le souffle froid de la nuit.
A l'aéroport, au milieu des costumes sombres, des attachés-cases maussades et des cravates serrées, je traîne mes collants lie-de-vin dans des ballerines bleues et je lis
le journal d'Italie de David B., troublée par la ressemblance de son visage dessiné et de celui de G., qui ne le savait pas quand il me l'avait offert la veille.
Dans l'avion, je regarde s'éloigner les routes, les lumières, les toits et les vies de la ville endormie. Je m'endors aussi au passage du panier de viennoiseries ramollies.
A Toulouse, M. avait préparé le petit-déjeuner sur la table basse du salon. L'appartement m'impressionne par son silence, on n'entend que les arbres de la cour carrée qui secouent leurs feuilles rousses et dorées. J'aime bien voir étalés sur la table de la salle à manger ses stylos, ses dessins, ses couleurs, son travail qui toujours m'a fascinée.
Ce furent trois jours absolument réjouissants pendant lesquels j'aurai dîné dans de la vaisselle de poupée, j'aurai trouvé un poisson en plastique jaune et rose sur une pomme cuite super parfumée, j'aurai dégusté en compagnie douce et bavarde une bisque de crustacés où se prélassait une énorme raviole au crabe, j'aurai goûté des fromages délicieux (dont un vieux Salers assez impressionnant), j'aurai picoré avec une maladresse dûe à l'émotion des dim sum délicats, j'aurai bu du champagne dans une maison très belle et le même soir, il y aura la sophistication rustique d'une soupe de chou-fleur au cumin, toute blanche dans le bol blanc, il y aura aussi la chair orange vif, fondante et rassurante, de la patate douce rôtie au four.
J'aurai sympathisé avec le chef de
Motchiya, un endroit absolument indispensable si vous passez à Toulouse. Le jour où j'y suis retournée pour le goûter, nous avons beaucoup discuté et il m'a dressé une très jolie assiette de pâtisseries. Leur cheesecake est comme un nuage.
J'ai parcouru la ville dans tous les sens, j'ai longé le fleuve et j'ai admiré des cours arborées, j'ai essayé un manteau bleu avec un col en (fausse) fourrure qui était trop grand, j'ai traîné des heures à
Ombres Blanches et aussi dans une papeterie qui avait un choix vertigineux de carnets coréens (lieu de perdition qu'elle m'avait judicieusement conseillé alors que nous devisions au-dessus d'un superbe chirashi sushi à Motchiya. J'avais alors adoré le gingembre frais mélangé au riz parfait, les éclats de framboise et les dés de mangue au milieu du poisson nacré).
Le dernier soir, avant de repasser une ultime fois à
la Fondation admirer les autels de Martine Camillieri, je suis restée un long moment dans un salon de thé désert et désuet à feuilleter le livre de photographies argentiques de Vincent Delerm. Sur les tables en bois ciré, avec un thé élégamment servi, j'ai découvert les néons tristes de la fête foraine de sa vie d'avant, les peluches un peu sordides, les promesses de repas médiocres, quelque chose qui me touche secrètement en lisant Probablement les choses joyeuses de l'enfance ne sont jamais très éloignées des choses tristes. Le propriétaire du salon de thé a dû sentir une mélancolie passagère envahir mon regard puisqu'il m'a discrètement offert, au moment du départ, deux macarons dans leur sachet un peu chic.
Mais plus tard, j'étais définitivement consolée de cette tristesse douce et mystérieuse (sans doute le prix à payer quand on a toujours préféré le probable au certain) devant une assiette fumante de spaghetti alle vongole en bonne compagnie.
Le lendemain, j'ai repris un avion. Alors que les autres passagers mâchaient en rythme les viennoiseries luisantes, j'ai sorti de mon sac les macarons, jaune et vert, précieusement emballés. Ils avaient le goût délicieux, impatient et un peu inquiet de la vie qui allait désormais commencer.


Le Journal d'Italie de David B. est aux Editions Delcourt, dans leur collection Shampooing.
L'exposition de Martine Camillieri, Banalités, est jusqu'au 31 décembre à la Fondation Ecureuil au 3, place du Capitole.
Motchiya se cache au 10, rue Palaprat.
Les jolis carnets coréens sont à la Mucca au 23, rue des Lois.
J'ai feuilleté le livre de photographies de Vincent Delerm, intitulé Probablement, aux Editions Actes Sud, chez Debailleul au 2, place Saint Etienne.
Les dim sum, suivis d'une brioche à la vapeur fourrée au taro, se dégustent chez Cha Yuan au 16 rue Cujas.

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mercredi 2 novembre 2011

Martine Camillieri (et moi)

Au printemps, j'ai pris un train pour Malakoff.
Invitée à déjeuner chez Martine Camillieri, j'avais prévu de lui offrir des biscuits fourrés avec une ganache chocolat et framboise. J'avais réquisitionné pour leur transport une boîte à chapeau qui avait contenu autrefois un petit béret en tweed fabriqué en Allemagne par des filles qui avaient baptisé leur jolie marque The girl and the gorilla. Cette boîte, fermée à l'époque par un large ruban en satin gris et dont la conservation avait toujours paru douteuse surtout après deux déménagements, trouvait là une seconde vie inattendue.
En longeant les jardins fleuris de Malakoff, dont les murs sentaient régulièrement la glycine et laissaient déborder les branches indisciplinées de cerisiers prometteurs, j'avais une petite appréhension liée au sentiment, que je connais si bien, qui affleure lorsque je m'apprête à rencontrer quelqu'un que j'admire.
De Martine Camillieri, j'avais le souvenir de petites théières creusées dans des écorces de citron ou de mandarine. Le souvenir aussi de tarte en fils (de la pâte feuilletée passée au presse-ail puis recouverte de lemon curd, d'éclats d'abriots sec et d'amandes effilées), de dîner-palindrome et de hamburgers pour doudous. Les pétales d'anémones fanées se glissent entre les assiettes des invités et les lego font de jolies étagères Charlotte Perriand. Je savais que d'un geste, elle pouvait déplacer un objet de sa position de déchet à celle d'un prototype design. Grâce à elle, le quotidien perdait de son évidence et gagnait alors une poésie infinie.
Arrivée à sa porte, j'ai timidement sonné.
Dans son atelier, puis autour d'une salade ultra-verte, d'un parmesan très bon avec la marmelade d'orange maison, des petites blettes du jardin à la vapeur presque sucrées sous l'huile d'olive triée sur le volet, mon appréhension s'est dissipée. Je crois qu'elle a trouvé les biscuits pas mal!
Ce moment, précieux et si doux, s'est terminé quelques mois plus tard quand j'ai écrit un petit texte* pour accompagner la très prochaine exposition de Martine Camillieri à la Fondation Ecureuil, à Toulouse.
Si vous êtes dans les parages, le vernissage de cette installation intitulée Banalités, aura lieu le mercredi 2 novembre à partir de 18h30, et vous aurez jusqu'au 31 décembre pour venir y voir les autels éphémères de Martine Camillieri.
Ainsi, juste deux jours après avoir soutenu ma thèse, je prendrai l'avion très tôt le matin pour ne pas rater ce moment qui s'annonce gracieux.
Un merci infini à Sylvie Corroler, la directrice de la Fondation Ecureuil, pour m'avoir fait confiance, et pour tous nos échanges.
Un merci aussi à Martine Camillieri, pour sa gentillesse pétillante, et toutes les photos qu'elle m'a laissée faire chez elle.
A bientôt pour le récit de mes journées toulousaines!

*vous pouvez le lire sur le site des jolies Editions de l'Epure

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mercredi 26 octobre 2011

Distraction

Il y a plusieurs mois déjà, j'avais commandé le joli et graphique Sundays are for lovers, édité chez la si délicate Lena Corwin.
Je ne vais pas tout vous révéler mais il y est question d'habitudes dominicales chez des gens dont le style me fascine comme Molly Wizenberg ou Maria Alexandra Vettese. Vous trouverez également au gré des pages en papier un peu épais des photos de boulangeries japonaises, de dîners londonniens éclairés à la bougie, de préparation de Vespa Martini. Vous serez mis en appétit par la recette en images des curry breads et je suis sûre que vous aimerez le dessin du vinyl sur fond fleuri. Vous me direz.
Le petit questionnaire est tellement charmant qu'il donne envie d'y répondre:

Là où j'habite: Rennes, dans une rue piétonne, avec vue sur les vitrines de boutiques féminines
Si je n'avais pas exercé mon métier j'aurais été: réalisatrice de films (ou scénariste, ou monteuse), grand reporter et, dans une ambition définitivement impossible, pianiste
L'année prochaine, je voyagerai: sur la côte amalfitaine au printemps, à New York et Venise à nouveau, à Berlin, sur les îles Lofoten (ce sont des espoirs)
Le dimanche représente pour moi: l'ennui des villes de province mais aussi le petit-déjeuner qui traîne en longueur, les vide-greniers, les grosses chaussettes en maille, un départ pour la côte, le film le soir au cinéma
Et j'aime manger ce jour-là: un croissant avec mon chocolat chaud, des oeufs brouillés et de la truite fumée, un peu de fromage, au dîner un plat que nous aurions cuisiné ensemble, une part de gâteau maison
Et je me lève: rarement après 9h30
Et je m'habille: un peu après 9h30 (il faut s'habiller pour aller chercher les croissants!)
Et je sourirai quand: je découvrirai qu'il est déjà parti en douce chercher les croissants
Et je me surprendrai à rêver: à un deuxième dimanche le lendemain
Et quand lundi arrivera: je grillerai puis tartinerai de beurre et de confiture une tranche du pain précieux acheté la veille, avec les croissants


Je prépare péniblement la soutenance (je vis ce moment détestable où je relis ma thèse et m'aperçois de ses nombreuses faiblesses) en repensant au week end dernier.
Nous avons marché longtemps sur le sentier le long de la côte déchiquetée, croisant de temps en tant des promeneurs ravis qui nous saluaient en souriant. Le ciel vira du bleu au rose, le vent s'intensifia sur les dunes, il était l'heure de repartir, un dîner à Tanpopo nous attendait. Je ne cesse d'être éblouie par les progrès esthétiques à chacun de nos passages. Et le goût n'est jamais en reste, toujours très précis.


Prenez par exemple cette réinterprétation du chou farci: l'enveloppe est élastique comme celle d'un mochi, le chou ayant été concassé pour être incorporé à la pâte. A l'intérieur, on trouve une farce très fine faite de porc fermier, de veau haché et d'oreille de porc pour le croquant. Le tout est surmonté de gingembre fraîchement râpé et repose au milieu d'un bouillon où infusent de minuscules éclats de feuilles d'épinard.
Les cuissons sont parfaites comme pour ce saumon confit surmonté d'une saint-jacques à peine grillée.


Ce que j'aime aussi, c'est la rituelle promenade nocturne sur les remparts ou jusqu'à la fin de la jetée, devant les lumières tremblantes des côtes voisines, dans la nuit bercée par les vagues.
Le lendemain, j'ai essayé de travailler (je crois que j'ai un problème avec le passage symbolique qui s'annonce) mais nous avons aussi préparé un super ragoût de queue de boeuf à la Nigel Slater. Impossible de servir ça avec autre chose que de la purée.


(Dans le prochain billet, une surprise)
(Pour l'instant, je retourne travailler)

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mardi 18 octobre 2011

La vie a passé comme ça (raviolis arméniens et cinéma)

Un vendredi soir, à bout de souffle, je traverse au rouge et mon pas avale frénétiquement la dernière volée de marches du cinéma. J'articule difficilement à l'ouvreur "Un garçon a déjà pris une place pour moi pour Vivre sa vie". Plus tard, devant les larmes d'Anna Karina, elle-même au cinéma, je retiens les miennes. Rarement je crois, j'ai vu une femme filmée avec autant d'amour.
La même semaine, beaucoup plus de monde pour L'Apollonide. J'aime les détails (le savon, les parfums), la texture des textiles, le sourire pâle de Céline Salette, mais j'en ressors extrêmement angoissée et des petits pains au lait furent réquisitionnés avec quelques carrés de chocolat pour oublier mon malaise.
Le lendemain, impossible de remettre la main sur le carnet de tickets de l'Arvor, à peine entamé. Il n'est ni dans la trousse suédoise ni dans les poches de la veste en laine, pourtant ses lieux d'élection. Devant l'ouvreuse, je suis un peu désemparée. En fait, elle nous voit si souvent et elle a tellement aimé le film qu'elle nous offre les places. Je ris nerveusement à plusieurs reprises pendant We need to talk about Kevin.
Si G. a beaucoup aimé le visage tellement gracieux d'Anna Karina, il est beaucoup moins convaincu par les films de Philippe Garrel, alors je vais toute seule et le coeur battant voir Un été brûlant. La voiture de Louis Garrel qui file à toute vitesse sur la route pleine de virages m'hypnotise. Plus tard, j'aimerai aussi les sandales rouges de Céline Salette (encore!), le grand plat fumant de spaghettis à la tomate apporté à table par une Monica Belluci étrangement supportable grâce à son hiératisme et la scène de fête un peu folle. J'ai trouvé que c'était un beau film sur les malentendus de l'amour.
En revanche, G. était très enthousiaste pour aller voir Portrait d'une enfant déchue à cause d'une photo de Faye Dunaway croisée dans un magazine que je boude. Pour une fois, nous sommes en avance et nous prenons le temps de choisir un goûter chez
Cozic (franchement, il n'y a pas de meilleur pain que le Lodève -un pain au levain qui me fait penser au pain Passion de son enfance, avec une croûte à peine plus dorée ou le pain T80 coupé à la demande avec sa mie crémeuse). Nous grignotons un pain au chocolat et un petit cake à la carotte et à l'orange en attendant que les lumières s'éteignent. A condition de supporter les caprices de Faye Dunaway, le film vaut la peine par sa photographie vraiment belle. Et aussi le spectacle des vêtements vintage.
Un soir, c'est moi qui abandonne toute réticence et consens à aller voir Drive. Je soupirais pourtant d'avance devant ce qu'on m'annonçait comme une histoire de vengeance d'un cascadeur. Pour se mettre dans l'ambiance (le film passait à
l'affreux cinéma vulgaire), nous sommes allés chercher une pizza que nous avons dévorée à même la boîte autour de la table basse. Elle venait de La Pimprenelle et figurez-vous que nous avons ensuite croisé la dame qui y fait les pizzas, dans la salle de cinéma (un jour, je ferai un billet sur "Où bien manger le dimanche soir à Rennes". Cela ne devrait pas me prendre trop de temps). Les pizzas de la Pimprenelle portent toutes un nom de fleur et sont faites avec de la farine complète qui donne un goût très subtil à la pâte mais pour en revenir au film, j'avoue que j'ai très régulièrement mis les mains devant mes yeux et enfouis mon visage au creux de l'épaule de G. Les bruits de chair écrasée étaient assez rudes. Même si l'histoire était palpitante, évidemment mon genre, c'est plus Garrel quand même.
Il n'y avait que le cinéma qui apaisait l'angoisse de l'attente mais un jour, ma tristesse anxieuse prend soudainement fin: j'entends la voix de mon directeur de thèse à travers le téléphone que je serre nerveusement. Après, tout est allé très vite, dernières corrections, impression, reliure, envoi définitif.
Je suis épuisée.
Ceci dit, j'ai aussi pu expérimenter deux autres dérivatifs délicieux à l'attente: les
raviolis arméniens de Sonia Ezgulian et un dîner en terrasse avec une jeune fille qui portait des boucles d'oreille bleues (elle les a aussi en vert).


Pour les raviolis, je vous laisse suivre la recette de
Sonia Ezgulian, parfaitement expliquée. J'ai aimé pétrir la pâte en pensant à sa grand-mère arménienne lui confiant le secret du lobe d'oreille. C'était un plat que je fantasmais depuis longtemps déjà, chaque fois que je l'avais croisé dans l'un de ses livres, surtout dans les jolis plateaux-télé des Editions de l'Epure où leur simple dessin donnait déjà très faim. C'est une recette très apaisante et poétique, et j'ai bien aimé le moment où j'ai apporté à table ces cercles concentriques de raviolis si appétissants et délicieux recouverts de yaourt battu bien frais parfumé à la menthe. J'ai trouvé que le bouillon brûlant que l'on utilise est crucial, je l'ai fait un peu corsé, avec une carcasse de poulet rôti, des légumes, et des herbes assemblées en petit bouquet improvisé par les mains fatiguées d'Annie Bertin.


Le dîner en terrasse, contrairement aux raviolis auxquels je pensais depuis longtemps, était une pure improvisation, ce qui est assez troublant quand on connait ma timidité et quand on sait que ce soir-là, j'invitai pourtant une fille que je n'avais jamais rencontrée à goûter les crêpes de ce qui est désormais notre crêperie préférée.
Il se trouve qu'elle vient d'emménager à une dizaine de minutes de chez moi, c'est tout droit. On passe devant la petite fontaine de la piscine puis devant les maisons immenses qui dressent leurs façades macaronnées face au grand parc.
Ce soir-là, nous avons choisi la même galette ("La tomme de Savoie, ça change tout", nous étions d'accord), j'ai raconté mon lamentable échec de tarte aux pommes boutons de rose (je ne m'avoue pas vaincue!), elle a évoqué des clés laissées à l'épicier et un amoureux qui risquait de rester dehors. Nous avons alors confié notre table et la bouteille de cidre débouchée à la serveuse amusée et nous avons filé chez l'épicier.
Une demi-heure plus tard, nous étions trois autour de la table carrée, de retour. La serveuse a apporté nos crêpes: frangipane-chocolat, pommes caramélisées-chocolat, banane rôtie-chocolat. Le lendemain, G. était jaloux de n'avoir pas été avec nous et il était impossible de ne pas l'inviter à une session crêpe en terrasse. On est resté là des heures à discuter, bien après avoir terminé une pommes-caramel beurre salé-glace vanille-chantilly et, plus sobrement, une chocolat-chantilly.
La vie peut recommencer.

La vie qui recommence, même s'il me reste la soutenance à préparer, est dans le plaisir retrouvé de se brûler les lèvres sur le chocolat du matin sans avoir peur de la journée qui commence. Elle est aussi dans les pots de crèmes caramel de Pascal Beillevaire et dans la purée de
Chris au beurre Bordier. Chris précisera ce soir-là qu'il a appris à cuisiner avec Raquel. Elle est aussi dans la soirée passée à dévorer des galettes à la ciboule en fantasmant les voyages à venir et dans les très longues promenades nocturnes dans la ville assoupie. Elle est dans le thé à la menthe servi après un couscous d'anthologie. Elle est dans les jolies nouveautés des Editions de L'Epure. Elle est dans la douceur rassurante de son nouveau cardigan en maille épaisse. Elle est dans le prochain spectacle de Vincent Delerm. Elle est dans le plaisir d'enfiler une nouvelle robe. Elle est dans cette sensation inédite, cet après-midi, d'entendre une patiente dire "Vous avez changé ma vie" et ce fut sur cette parole que s'est terminée la dernière, la toute dernière, de mes journées d'interne.

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mardi 27 septembre 2011

Tu n'as même pas vu que j'étais partie alors (je suis revenue -avec des empanadas)

Dimanche après-midi, après un vide-grenier où nous avons constaté les constantes modifications du visage des poupées Barbie au fil des décennies, nous avons décidé de prendre le large. La voiture a filé vers notre plage préférée, je ne pensais pas que j'aurais eu l'occasion d'enfiler à nouveau mes sandalettes qui se sont par ailleurs admirablement patinées. Nous sommes passés devant un hôtel aux volets violets où un soir de juillet, lors d'un lointain été, on nous avait servi une soupe de poissons brûlante assortie des croûtons et du fromage râpé de rigueur. Plus tard dans la soirée, nous avions fui le feu d'artifices qui assourdissait le port et avait déserté la plage, ce qui fut bien agréable.
Dimanche, il y avait quelques chars à voile et des cerf-volants, l'ombre d'une jonque à l'horizon et un cadeau qui m'attendait dans le sac de G. Les pieds régulièrement effleurés par les petites vagues, j'ai découvert deux nuages poétiques précieusement cousus par la délicate
Masami. A la maison, chacun de nous possède dans son bureau respectif l'un de ses jolis végétaux en tissu, la branche haricot magique pour moi et l'arbre d'hiver pour G., je les aime beaucoup. Cette fois-ci, il s'agit de Nuageux, parfois la pluie. Un résumé sublimé des temps passés, bien que dimanche ait été assez grandiose, les cheveux au vent et plein de soleil partout.



Septembre en pointillés
J'ai lu The Great Gatsby presque trop vite, comme on avale une bouchée qui manque de vous étrangler.
J'ai découvert que les journaux de Sylvia Plath étaient publiés expurgés de ce que son amie, Frances Mc Cullough, et son mari, Ted Hughes, ont considéré comme des "descriptions excessivement détaillées", des passages "trop érotiques" ou "trop méchants". Je n'ai pas trop apprécié.
J'ai acheté une paire de bottes gris éléphant dans une boutique microscopique où un petit garçon très blond ne voulait rien chausser d'autres qu'une paire de Ugg, ce qui a laissé tout le monde perplexe. Le même jour, j'ai aussi trouvé une robe à pois en soie très bien pour la soutenance (sauf que je n'ai aucune nouvelle de mon directeur de thèse que je ne cesse pourtant d'harceler. Evidemment, je me dis que mon travail est trop nul pour qu'il daigne se manifester)
Nous avons dégusté la guimauve au vinaigre balsamique et au grué de cacao de Mélanie à l'Arsouille, la fabuleuse crêpe banane-chocolat de Ki Ka Faim (ce nom de crêperie est très moche mais on y mange très bien. La complète à la tomme de Savoie y est hautement recommandable aussi) et une poire Belle-Hélène complètement décadente à la maison un soir où nous avions besoin de réconfort (qui plus est, le sirop vanillé qui a servi à pocher les poires est tout à fait recyclable dans du rhum pour l'arranger de façon express. Haut pourvoir réconfortant également).



Le jour de sa sortie, je tends un peu timidement à la libraire le livre de Melvil Poupaud (oui, je suis terriblement prévisible). Je ne sais pas bien pourquoi mais je suis un peu gênée. La libraire qui comprend tout me dit en rigolant "Non mais ça va, c'est pas comme si c'était un truc de Pierre Perret hein!" Après, je rentre en vitesse à la maison et je le dévore en une heure sur le canapé de mon bureau, c'est tellement chouette que j'en oublie de me refaire un thé.
Melvil, baby-sitté par Isabelle Adjani, est allé manger des spaghetti chez Marguerite Duras, s'est fait photographier par Hervé Guibert, a fait du bateau avec Chiara et Marcello qui l'emmène à la Cinecittà déserte quand ils ne se faisaient pas alpaguer tous les trois par Fellini à une terrasse du Trastevere. Il parlait trop dans sa barbe pour Eric Rohmer et Jane March, sa partenaire dans L'Amant l'a beaucoup fait souffrir. J'ai adoré aussi lire son rapport à la caméra.
Vous allez trouver que mon snobisme ramollit mais en plus, un jeudi soir, je suis allée voir Restless toute seule à la séance de 22heures. G. refusait catégoriquement d'y aller parce qu'il n'aime pas les films qui parlent de maladie mortelle. Il s'est gentiment moqué de moi quand je lui ai dit d'une petite voix "Bah ce soir comme t'es pas là, je crois que je vais aller voir Restless" parce que je n'ai pas arrêté de récriminer contre La guerre est déclarée et, même s'il adore lui aussi Gus Van Sant (enfin, celui de Last Days, Paranoïd Park ou Elephant, pas celui de Will Hunting -enfin, je n'ai rien contre Will Hunting), parce que Restless est un film de commande...
Cinq personnes dans la salle, le sac blindé de mouchoirs en papier. Je suppose que l'effet est en partie dûe à ma sensibilité à fleur de peau du moment (la fin de mes études de médecine me chavire un peu) mais j'ai trouvé ça rudement bien. J'ai bien aimé la cabane en crackers, les jolis vêtements vintage (chemise à lavallière, manteau en tweed trop grand, redingote bien coupée, cardigans en maille épaisse, veste pied-de-poule) et dans un même ordre d'idées les intérieurs chaleureux, plein de feux de cheminées, de tables en bois brut, de couvertures en patchwork et de gratins de pommes de terre. J'ai aimé les derniers plans, la neige partout où l'histoire nous avait emmenés, le printemps qui n'est finalement pas arrivé plus tôt. J'ai aimé aussi les silences de Henry Hopper, un garçon vraiment gracieux, et sa voix tristement déterminée qui marmonne au-dessus du chemin de fer sur lequel il se penche presque trop
"J'en ai fini avec ça".

Un billet parce que tu m'as demandé Comment s'est passé ton mois de septembre?
****

Sinon, j'ai aussi fait des empanadas. Très bons, à servir impérativement avec du yaourt battu aillé avec plein de ciboulette et de persil.
La pâte se travaille hyper facilement, c'est une recette de l'infaillible
Loukoum°°°.
La farce se cuisine selon les goûts de chacun, ici le boeuf haché est parfumé à l'oignon, au poivron et à la saucisse piquante.

La pâte
-350g de farine
-175g de beurre fondu refroidi
-1 oeuf battu
-1/2cc de sel
-100mL d'eau chaude
-un peu de lait pour dorer

Mélanger la farine et le sel.
Faire un puits, y verser le beure fondu et l'oeuf battu.
Mélanger à la cuillère en bois et ajouter juste assez d'eau pour obtenir une pâte ferme.
Travailler cette pâte une dizaine de minutes puis la rouler en boule et la laisser reposer une demi-heure à température ambiante.

La farce
-350g de boeuf haché
-2 gousses d'ail écrasées
-2 oignons finement émincés
-2 poivrons (moyens) en brunoise
-un morceau de saucisse piquante italienne d'une douzaine de cm en petits dés
-du piment en poudre, du cumin et du paprika

Faire revenir le tout dans de l'huile d'olive. Arroser d'un filet de sirop d'érable et quelques gouttes de Maggi. Goûter pour bien assaisonner

Etaler la pâte sur 3 mm d'épaisseur, découper des cercles de la taille que vous préférez. Faire des petits chaussons en soudant bien les bords avec une fourchette. Dorer avec un peu de lait. Faire cuire une vingtaine de minutes à 180°. Très bons tièdes avec le yaourt précédemment cité.

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mercredi 7 septembre 2011

Que nos vies aient l'air d'un film parfait


Indices
Un garçon au regard clair a remonté le col de son pardessus en laine bleu marine. Presque debout sur sa bicyclette, il traverse à toute vitesse les rues de Londres couleur brique et gris orage, le cheveu en désordre.
Cinq hot-dogs, avec de la moutarde, achetés au marchand chinois ambulant devant la porte très surveillée du club privé trop cher.
Un grand verre de chocolat glacé surmonté d'un épais nuage de chantilly siroté à la paille devant le regard aigri de la caissière un peu ronde et vengeresse tandis qu'un ouvrier repeint en rouge sang les murs vert crasseux des bains publics.
Un manteau jaune très long, en vinyl, qui se détache sur un paysage enneigé.
Une jeune femme au teint diaphane et cheveux roux grignote des sandwiches au fromage à l'heure du déjeuner sur le bord de la piscine.
Le diamant d'une bague de fiançailles perdu dans la neige.

Vous voyez de quel film je veux parler? (c'est une réédition en copies neuves sortie cet été)
****

Réponse
Les lumières sont revenues presque trop vite à la fin de Deep End. J'étais encore sous l'effet vertigineux des dernières images de cette histoire d'amour insaisissable. Devant nous, un couple d'environ soixante ans a l'air visiblement ravi. Je croise le regard du monsieur au moment de nouer mon foulard à pois. Sans raison apparente, hormis celle trop évidente d'une transmission complice, il me dit dans un grand sourire "C'était aussi bien que la première fois".
La première fois, c'était en 1970, et j'adore cette confidence parce que je suis super émue par cet homme qui a dû apprendre avec une joie qu'il me semble comprendre, la sortie de Deep End quarante ans plus tard.
Dans le hall du cinéma désert, je reste un peu devant le panneau d'affichage, ce monsieur à mes côtés. Je cherche à prolonger l'éblouissement que j'ai ressenti pour ce film que G. avait vu il y a longtemps aussi, dont il m'avait souvent parlé, persuadé qu'il me plairait. En lisant les articles jaunis des journaux de l'époque, j'imagine que le monsieur les avait alors lus et peut-être même qu'il les avaient découpés pour les scotcher devant son bureau. Il me fait en tout cas un dernier sourire mystérieux en partant.
A la sortie du film, en 1970, Etienne Daho avait 14 ans. Il ne s'était pas remis non plus de cette histoire aux motifs étranges et envoûtants dont le héros, alors à peine plus âgé que lui, découvre l'impasse de l'amour physique.
Dans un article de Libé, Daho raconte que plus tard, quand il était étudiant à Rennes, il avait des affiches et des photos du film dans son appartement et que Deep end constituait à cette époque pour lui un test infaillible d'affinités électives. Je suis très touchée par cette anecdote parce que pendant de nombreuses années, je confiais systématiquement aux gens que je m'apprêtais à fréquenter de plus près les VHS de Conte d'Eté et de Comment je me suis disputé... (ma vie sexuelle). J'étais déjà un peu snob et affectivement très exigeante car s'il se révélait que les personnes concernées n'éprouvent rien pour ces films, j'étais persuadée que nous ne pourrions pas nous entendre, qu'ils ne m'aimeraient pas non plus, tant ces films parlaient de moi (plus tard, G. m'a fait remarquer que je m'identifiais toujours à des personnages masculins -Paul Dédalus, Gaspard, Antoine Doinel, Alvy Singer etc.)
Après, j'avais très envie d'écouter quelques chansons d'Etienne Daho.
Ce billet a été écrit de la place 65, voiture 6, du TGV qui reliait Lorient à Rennes. Angoissée et épuisée, je venais de passer une journée chez mes parents.
Depuis, il y a eu le tournage d'un petit film en bord de mer (j'ai quelques progrès de cadrage à faire mais c'était un moment très chouette), une part trop petite de bavarois au matcha délicatement parfumé au rhum et sobrement nappé de chocolat au lait, une pellicule très réussie, la re-lecture de "L'image-fantôme" et une tablette de chocolat formidable, au goût de vacances new-yorkaises, envoyée par Virginia, qui a une mémoire sensible et un sens aigu de la surprise. A côté, un bagel pour le moins discutable (au pastrami sauf qu'ils avaient oublié l'indispensable salade), mais je voulais un déjeuner New York Revival.

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lundi 22 août 2011

D'ici l'on voit, les amours, la presqu'île (maquereau délicat)

La boulangerie reste fermée mais les voisins sont revenus. La librairie a installé les nouveautés de la rentrée en vitrine. Le mercredi, au marché, il y aura à nouveau la vendeuse de fruits cyclothymique dont j'aime les petites poires parfumées, les pommes replètes et le raisin croquant. Déjà les fruits de l'automne!
Pendant cet été sans bains de mer (mais la seule idée de me retrouver sur une plage bondée apaise immédiatement ce regret. Par contre, j'aimerais tellement débarquer au bord d'un lac désert entouré d'une forêt de résineux. Il y aurait un petit ponton et l'eau serait juste tiède. C'était juste comme ça en Suède au mois d'août l'an dernier, un soir par hasard, quand nous nous sommes décidés à quitter la grande route et à emprunter un chemin poussiéreux. Je portais un pull couleur carott cake, j'avais pris le maillot à fleurs et on pouvait indéfiniment s'éloigner du bord sans jamais perdre pied), il y a eu la séance de Melancholia (j'ai adoré la simple idée du fil de fer enroulé sur la branche de bois pour savoir si Melancholia s'éloigne ou pas, comme à la Renaissance) suivie d'un burger/champagne en terrasse, il y a eu son retour et les canelés parfaits qu'il a sortis de son grand sac, il y a eu des moments de désarroi immense pendant lesquels, allongée sur la couverture bleue décorée de fleurs japonaises, je me suis écroulée en fixant le plafond de mes yeux épuisés.
Lui a quand même su enchanter l'air de rien cet été immobile et concentré. Il a monté des étagères dans mon bureau et j'ai pu empiler mes livres de photos, il a trouvé un miroir de sorcière comme j'ai toujours rêvé (il adore l'idée de se voir dedans sans en être en face), il nous conduit à Tanpopo le samedi soir goûter le menu intitulé Promenade des émotions de l'été, il offre sans raison apparente un livre sur New York et surtout, il ne laisse transparaître aucune angoisse alors même que la situation est parfois critique.
Un samedi après-midi, dans une jolie boutique avec du parquet ancien très épais et de belles orchidées à côté des présentoirs à bijoux, la vendeuse nous fait respirer des bougies parfumées. Elle retourne d'un geste sec et précis chaque pot de verre sur un petit coussin en velours côtelé très fin et nous présente le fond du bougeoir. Les parfums délicats évoquent à chacun un souvenir personnel "Des petits pois que l'on vient d'écosser" "Une plage dans les Landes" "Le mimosa du jardin" "Un balcon fleuri". J'ai un peu hésité mais je ne regrette pas d'avoir choisi Freesia. Je n'aime rien tant que les grands bouquets de fleurs blanches.


Une recette aussi rapide que le temps que vous aurez pris à lire ce si court billet, une recette éprouvée par Camille, qui n'est pas sans aimer les choses désuètes, je crois. Une recette parfaite pour les retours de marché, radio forcément allumée dans la cuisine dont vous aurez ouvert la fenêtre en grand.

Le maquereau laqué comme une anguille unagiPour 2 personnes

-2 maquereaux dont vous aurez levé les filets
-0,5dL de sauce soja
-1 CS de vinaigre de riz
-1CS de sucre

Faire bouillir le soja, le sucre et le vinaigre jusqu'à ce que le mélange réduise de moitié. Laisser refroidir.
Lever les filets ou se concentrer sur la radio (ah, la voix disparue de Maurice Garrel) si c'est déjà fait.
Faire mariner une demi-heure le poisson dans la préparation désormais refroidie.
Griller les filets une minute à feu vif côté chair puis une minute côté peau, hors du feu.
Servir avec du riz (cuit à la vapeur, c'est impératif!), quelques rondelles de concombre, une tasse de genmaïcha brûlant et le sourire.

Dans les évènements notables de la semaine, on va dire qu'il y a Les bien-aimés (j'ai envie d'aller voir l'avant-première demain mais ça ne serait pas sérieux du tout) et la fin de la rédaction de la thèse (aussi impérative que la vapeur pour le riz, d'où l'hésitation pour l'avant-première).

Edit du 22 août à 23h59: je n'aurais jamais dû sacrifier deux heures de travail aux Bien-aimés. Je crois que je n'aime plus beaucoup Christophe Honoré. Ca fait tout bizarre!

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mardi 9 août 2011

Ce pull à col en V, que tu portais souvent les jours fériés (billet à clés)

-un vase suédois qu'il avait trouvé à Paris quand il y passait quelques jours sans moi. Il l'avait immédiatement décrété comme indispensable et il donna un charme supplémentaire à nos retrouvailles. Plus tard, dans une boutique fermée à Amsterdam, le jour où nous allions quitter la ville, nous en avons croisés plusieurs de la même créatrice mais aucun n'égalait celui-là
-les journaux que je tiens depuis l'âge de douze ans parce qu'une prof de français toujours un peu trop fardée nous avait fait étudier un extrait des Mémoires d'une jeune fille rangée. Je l'avais naïvement crue quand elle avait affirmé d'un ton docte que tous les grands écrivains avaient tenu leur journal. Le premier cahier était violet et contient des anecdotes acides sur le quotidien de mon détestable collège ainsi que plusieurs pages assez tristes sur des amours déçues. Après, ce fut un cahier avec James Dean en couverture (n'importe quoi), un autre, très épais, avec un motif de tissu indien (?), plusieurs très simples de couleurs sourdes et juste lignés quand je me suis mise à détester les carreaux puis celui avec des coeurs (?) commencé pendant mes quelques semaines d'hypokhâgne, enfin les Moleskine impérativement noirs à couverture rigide
-une cape en laine bleu marine avec une capuche et trois boutons en bois, parce qu'elle est bien chaude et donne l'impression de vivre à une autre époque
-un bonnet en grosse maille grise, chaud, doux et solide
-mes mini instax préférés (la plage de Biarritz façon Martin Parr, le pique-nique le soir de son anniversaire, quand j'avais planté des bougies sur le crâne de nounours à la guimauve et que tous le square a applaudi quand il les a soufflées, tous les portraits, les rues, les nourritures, les cafés à New York, un bouquet de pivoines dans une vitrine parisienne etc)
-une théière Acapulco qui, à l'occasion, peut servir de vase. Mais je me demande si je ne préfère pas la théière chinoise couleur jade en forme de potiron
-le premier disque de Vincent Delerm parce qu'il est dédicacé (ahem). Ce jour-là, il m'avait dit qu'il aimait bien Conte d'Eté aussi même s'il y avait Melvil Poupaud. Le lendemain, il me dira "Ah, c'était toi hier, la fille qui aime Rohmer! Comment tu vas?"
-Cinema Table parce que j'aime sa lumière, ses cadrages, son mystère. J'aime les pancakes et la tasse de café sur la nappe en crochet, j'aime les oeufs brouillés qui patientent sur la gazinière, j'aime les eggs sandwiches à côté du petit bouquet de tournesols. Et puis il réunit deux de mes principales préoccupations!
-deux clichés de lui, un cornet de glace devant le carroussel un jour où j'avais le polaroïd avec moi et à la station Notre Dame des Champs déserte au milieu de la nuit devant une affiche qui annonce la prochaine expo du Palais de Tokyo
-la lampe à abat-jour bleu ciel rapportée précieusement de Budapest, on l'avait trouvée chez un antiquaire qui avait aussi un formidable ventilateur en plastique blanc et rouge
-la lampe trouvée à Deauville dont j'aime le bois couleur miel, la peinture grise sur le socle et l'interrupteur qui ressemble à un microscopique gâteau
-la carte au dos de laquelle il avait dessiné une poupée et un petit robot
-mes photographies les plus chères prises avec le Minolta (menue monnaie américaine sur la table du dinner en Louisiane à côté du flacon de sirop d'érable et du pot de sucre cabossé, photomaton qui tombe dans le réceptable prévu à cet effet -Your pics here in four minutes- à la Cinémathèque française le jour de l'expo Kubrick, accumulation de caissettes et de napperons en papier de pâtissier chez Martine Camillieri, et d'une manière générale, toutes les images new yorkaises comme la façade du beau cinéma à Brooklyn Heights)
-un robot en caoutchouc, fluorescent!
-le livre de cuisine de Marguerite Duras parce qu'il est rare et avait été recherché et offert avec les plus affectueux sentiments
-mon sac en cuir violet que j'avais choisi après beaucoup d'hésitation parce que j'aimais bien aussi le vert jardin et le bleu foncé. Il peut contenir l'indispensable: un porte-monnaie, un baume à lèvres, une paire de clés, quelques mouchoirs, un passeport
-mon Minolta acheté par mon grand-père quand nous sommes arrivés en France dans les années 80, mon polaroïd offert par G. et dont j'adore le bouton rouge du déclencheur, l'instax de mon anniversaire, emballé par ses soins dans du papier rose et déballé par mes mains fébriles dans le petit salon du Coquillage -des enveloppes Bookbinders à fleurs bleues très britanniques mais pourtant achetées à Stockholm
-des lettres de personnes précieuses (il ne figure sur la photo qu'un échantillon des deux immenses sacs que j'ai à cet effet dans mon bureau)
-ma petite baleine en cuir rose, dont j'aime le large sourire, avait été désirée un soir dans une vitrine et retrouvée le lendemain à côté de mon assiette dans du papier orange retenu par des rubans très fins

C'est Emilie qui a égayé une nuit de garde pas tout à fait réjouissante en m'envoyant un lien vers ce site. J'aime l'idée de transformer une représentation angoissante en une accumulation revivifiante dans les souvenirs qu'elle fait affleurer.

A bientôt! (je ne suis pas précisément très en avance dans la rédaction de ma thèse)

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